Je publie en feuilleton la retranscription (merci à Éric Muller !) de ma très longue conférence le 29 novembre 2018. Ouvert aux commentaires.
Question de la salle : Bonsoir, merci pour votre exposé. Dans le monde d’aujourd’hui, il y a des pouvoirs qui sont évidents, militaire, politique, médiatique, et financier naturellement. Alors sur le plan militaire, politique et médiatique, ça me paraît assez transparent – quoique ça dépende des régimes politiques, ça dépende les médias – mais sur le plan financier, ça me paraît très obscur. Je voulais savoir quelle était la place des banques centrales, quelle est la place de la Fed, du FMI, et surtout la place des richesses privées vis-à-vis de toutes ces institutions qui ont le pouvoir financier.
PJ : C’est une question très très vaste. Je faisais allusion, tout à l’heure, à ce que font les banques centrales – et qu’elles font bien – qui est leur rôle, essentiellement de maintenir la stabilité du système économique, la stabilité des prix. La Federal Reserve a, dans la définition de sa tâche d’assurer aussi le plein emploi, c’est une différence par rapport à d’autres banques centrales. Il y a une référence à ça aussi dans les devoirs de la Banque centrale européenne. Il y a dans l’activité des banques centrales, il y a une part, je dirais, empirique, qui vient des siècles précédents et qui est une espèce de colbertisme, de gestion dans l’intérêt général des ressources de la Nation. Ce type de savoir est un savoir empirique : il n’est pas très lié à des dogmes de type économique.
Ceci dit, il y a effectivement des dogmes, comme la primauté de l’offre sur la demande, mais il y a une chose qu’il faut dire, c’est que si on réfléchit à la théorie économique et à la théorie financière en particulier, dans la pratique des banques et dans la pratique des banques centrales – j’ai eu l’occasion de le voir parce que j’ai eu la chance de faire des choses un petit peu de l’intérieur – il y a tout un savoir qui circule et qui est un savoir qui n’est pas un savoir de type universitaire.
Pourquoi est-ce qu’il y a une telle culture orale, je dirais, par rapport à une culture écrite à l’intérieur de la banque, c’est en raison des intérêts commerciaux. Je vous donne un exemple : ça m’est arrivé plusieurs fois, avec des collègues ou moi-même, de dire à notre patron à l’intérieur d’une banque « Tiens, ça c’est quelque chose de très intéressant qu’on a trouvé. Est-ce qu’on ferait pas, par exemple, un article qu’on publierait dans une revue universitaire ? » et là, le patron a toujours la même réaction : « Non, non, non, il ne faut surtout pas que la concurrence sache un truc qu’on a découvert, nous, et qui est tout à fait fondamental » et cela fait qu’il y a, dans le fonctionnement des banques centrales et des banques commerciales, un tas de savoir qui est transmis simplement, je dirais, par apprentissage, et qu’on ne peut pas savoir si on n’est pas à l’intérieur de l’institution, parce que dans les livres, ça ne va pas apparaître.
Un exemple : c’est une discussion que j’ai avec un économiste, un économiste d’université qui me dit : « Vous dites que les marchés au comptant, par exemple sur les matières premières, s’alignent sur le marché à terme. Or pourquoi ? Ce sont deux modèles entièrement différents qui permettent de calculer un prix au comptant et un prix à terme. » Je dis « Oui mais, à l’intérieur des banques, les prix des marchés au comptant s’alignent sur les prix de marché à terme. » Alors ce monsieur revient la charge en disant « Mais vous êtes quand même d’accord que les modèles sont différents; etc ». Je dis « Oui tout à fait », et alors il me pousse dans mes derniers retranchements et il me dit « Mais pourquoi vous dites ça ? » mais je dis « parce que dans toutes les banques, au desk, c’est-à-dire au comptoir où les gens sont assis, il y a le type des marchés à terme et le type de marché au comptant, et le type du marché au comptant dit au type du marché à terme « Où est le prix pour que j’aligne le mien ? ». C’est quelque chose qu’on ne peut pas savoir si on n’est pas dans les salles de marché, à l’intérieur des banques. Effectivement, par ce qu’on lit dans les livres, par les modèles qu’on peut regarder, la réalité est tout à fait différente. Mais à l’intérieur des banques, ça ne fonctionne pas nécessairement de cette manière-là. Et quand je dis « le type », c’est parce que traditionnellement, c’était, bien entendu, à l’époque où je commençais à faire de la banque, on ne voyait pas de femmes dans les salles de marché. Maintenant, c’est en train de changer.
(à suivre…)
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