Retranscription de Le nouveau « réalisme » : sauver le genre humain. Merci à Cyril Touboulic !
Bonjour, nous sommes le mercredi 12 septembre 2018, je suis à Strasbourg. Et si vous êtes à Strasbourg ou dans les environs, vous pouvez venir m’écouter tout à l’heure, à 20 heures, aux Bibliothèques idéales. Je serai interrogé par Thierry Jobard, de la librairie Kléber. Et je ne suis pas seul, c’est un événement important chaque année où il y a beaucoup de monde qui est invité. Dans le train qui m’a mené de Paris à Strasbourg, hier, il y avait à quelques mètres de moi, Étienne Klein. Et au moment de descendre du wagon, nous nous sommes dit exactement la même chose : « Je t’avais reconnu, mais je ne voulais pas te déranger ! » Voilà, on a quand même pu discuter un petit peu, en particulier du temps… et du vide ! auquel il va consacrer son prochain bouquin. Il m’a d’ailleurs fait une petite plaisanterie quand je lui ai dit que moi je travaillais sur Trump, il m’a dit : « Je travaille sur la même chose : j’écris un livre sur le vide. »
Vous avez dû voir, si vous avez consulté mon blog, qu’on a mis les petits plats dans les grands, pour m’inviter à Strasbourg. Ça fait très plaisir ! Le livre dont je vais parler tout à l’heure, mon dernier, qui s’appelle Défense et illustration du genre humain (2018), a l’air d’être pris très au sérieux, ce qui me fait plaisir parce que c’est un de mes livres que je considère comme important. Important surtout parce que j’y ai consacré beaucoup de temps à la rédaction, à la documentation, à mettre ensemble des choses qui, voilà, dont j’espère qu’elles font sens, comme mon livre Principes des systèmes intelligents (1989), ma contribution à l’intelligence artificielle il y a pas mal d’années, comme Comment la vérité et la réalité furent inventées (publié en 2009) et qui est le fruit d’une vingtaine d’années de travail, comme mon livre sur Keynes, Penser tout haut l’économie avec Keynes (2015), qui lui aussi m’a demandé de lire les œuvres complètes de Keynes qui sont nombreuses et puis de mettre tout ça ensemble avec mon expérience personnelle de Cambridge et de l’Angleterre, et pour essayer d’en faire quelque chose… d’aller au-delà, c’est ce que j’ai essayé de faire : d’aller au-delà de ce que Keynes avait pu faire et de renouer quelques fils qui pendaient, et d’aller prolonger un peu sa réflexion, en particulier sur le taux d’intérêt.
Défense et illustration du genre humain, c’est un prolongement de Le dernier qui s’en va éteint la lumière (2016). Il y a une différence : Le dernier qui s’en va éteint la lumière, c’est un livre relativement vite fait. C’est un livre provocateur dans le ton. C’est un livre qui honnêtement ne m’avait pas demandé beaucoup de temps à écrire. C’était un cri d’alarme : je sonnais l’alerte et j’essayais d’attirer l’attention sur des choses importantes, comme le risque de l’extinction. Défense et illustration du genre humain, c’est sur le même thème mais c’est un livre plus sérieux. Et curieusement, il irrite davantage, parce que bien qu’il soit beaucoup moins provocateur dans le ton – peut-être le fait qu’il ne soit pas provocateur précisément –, c’est qu’on ne peut pas écarter ses thèses peut-être aussi facilement qu’on aurait pu le faire ou qu’on a pu le faire avec Le dernier qui s’en va éteint la lumière, tout ça c’est du bien étayé, voilà, ça renvoie à beaucoup de choses (beaucoup de lectures, beaucoup de personnes, beaucoup de personnages historiques, beaucoup d’éléments d’information mis ensemble) et c’est peut-être ça qui irrite particulièrement et qui provoque dans certains quartiers un très grand silence. Si on en parle, on ne peut qu’en parler très sérieusement et en particulier de ce qui est dit : de cette alerte qui doit être lancée, de cette alarme qui doit être sonnée.
Et de ce point de vue-là, il y a des choses très rassurantes, parce que quand Le dernier qui s’en va éteint la lumière est sorti en 2016, il y a eu des réactions disant : « Qu’est-ce que cette histoire de parler de l’extinction du genre humain ? » c’était seulement il y a deux ans et c’était considéré comme une thèse un petit peu farfelue. Alors que maintenant, eh bien tous les jours, je reçois dans mes mails des gens qui disent : « Il existe un grand danger, vous n’êtes pas au courant mais signez la pétition ! Rassemblons-nous ! » etc., et il se fait que je suis au courant [rires] puisque j’ai été un des premiers à sonner le tocsin. Mais ça me fait plaisir ! Ça me fait plaisir que tout le monde se mobilise.
Vous avez vu cette pétition qui a été signée par des acteurs, par des auteurs. Ce n’était pas un niveau, je dirais, d’analyse très poussé, ce n’était pas un texte véritablement programmatique, mais c’est bien ! C’est bien que tout le monde se mobilise, dise : « Maintenant il faut absolument faire quelque chose. »
Et, vous vous souvenez, c’est la démission de Nicolas Hulot qui a été le grand déclencheur de cette alerte récente. Il a compris qu’il n’y avait pas moyen de faire grand-chose à l’intérieur d’un gouvernement de type classique. Et quand je dis ça, je ne veux pas dire qu’à l’intérieur d’un gouvernement populiste, on puisse faire mieux : ça serait sans doute encore pire.
Il y avait, on me l’a signalé et je l’ai signalé aussi, ce film qui a été fait il y a quelques années – je crois que c’est un film de 2014 – sur Yannick Jadot au Parlement européen. Film un peu désespérant qui montrait qu’au Parlement européen, il n’y avait pas moyen de faire grand-chose, non plus. Donc ce n’est pas à cet endroit-là qu’il faut mobiliser.
J’ai, sous forme un peu de boutade, lancé un appel à créer un lobby. Pourquoi ? Parce que justement l’événement qui avait conduit Hulot à démissionner, c’était son écœurement devant le fait qu’alors qu’il venait avec des politiques très importantes, la veille du jour où il a démissionné, un lobby relativement peu important – celui des chasseurs –, peut-être pas en termes de votes mais par rapport aux enjeux, et surtout au fait que c’est un des lobbies lié à un type de groupe de pression qui justement ignore les enjeux ou fait de l’humour noir en disant depuis longtemps que les chasseurs sont les porte-paroles de la nature, et, bon… ils savent qu’on s’esclaffe quand on le dit : ce ne sont pas eux qui vont se battre pour la biodiversité. Ce ne sont pas eux qui ont une réflexion sur ce qu’il faudrait faire. Leur justification, en général, c’est que quand on dit qu’il faut éliminer deux cents loups parce qu’il y en a un peu trop, eh bien, ils disent : « On va le faire nous-mêmes ! », mais ce ne sont pas sur ces gens-là qu’on puisse compter véritablement pour redresser la barre, pour relancer les choses dans la bonne direction.
Voilà : nous sommes nombreux, ça, c’est bien ! On commence à être nombreux à demander, à exiger que les choses se fassent autrement. Quand j’ai lancé cette idée de lobby, c’était une blague, c’était une sorte de boutade à partir de la réflexion sur la démission de Hulot. Mais il est vrai qu’il faudrait qu’il y ait des milliardaires qui mettent des milliards sur cette cause-là pour que le rapport de force à l’intérieur de nos sociétés, pour qu’on ne puisse pas dire : « Ah oui, non, le réalisme, c’est qu’il faut s’occuper de ceci ou de cela », que le réalisme, eh bien, ce soit qu’il faut sauver l’espèce sur notre planète et toutes les espèces autour : ça devrait être ça qui devienne le réalisme. Et malheureusement, dans le monde où nous sommes, le réalisme c’est le nombre de milliards que vous avez à votre disposition pour essayer d’inverser la tendance.
Alors, il faut que nous nous mobilisions de la même manière que ce banquier avec qui j’avais un jour discuté dans une émission de radio : il m’avait dit : « Vous avez entièrement raison, Monsieur. C’est pour ça que je vous ai donné raison pendant toute l’émission, ce qui est assez paradoxal, bien entendu, mais le jour où le marché se rendra compte que ce sont vos vues qu’il faut suivre, eh bien, il suivra, il s’embouchera dans la voie ouverte ! »
Alors, et c’est pour ça que j’avais lancé cette boutade de « Avez-vous pensé à l’impact de l’extinction de l’humanité sur votre chiffre d’affaire ? » qui avait conduit d’ailleurs l’un d’entre vous à faire de très beaux signets qu’on peut imprimer et glisser dans ses livres et distribuer tout autour de soi : que sauver l’humanité, c’est bon pour le business ! Malheureusement, ce sera peut-être le seul argument qui marchera, à l’arrivée. Ce sera la ruse de la raison [rires] que ce sera, une fois de plus, l’argent qui aura conduit, mais cette fois-ci, l’humanité dans la bonne direction : que pour faire des affaires, on se rend compte qu’il faut des consommateurs et que ce ne sont pas les trois milliardaires ou les quatre milliardaires sur une île au milieu du Pacifique ou au milieu de l’Océan indien, qui se seront barricadés dans un fort chabrol, ce ne sont pas eux qui feront tourner le business.
Voilà, une réflexion qui m’encourage à vous faire venir tout à l’heure à Strasbourg, si vous êtes dans les environs, venez à 20 heures, je ne sais plus exactement où ça se passe mais c’est la plus grande salle apparemment disponible. Soyez nombreux, soyez nombreux… et qu’on réfléchisse à ce lobby qu’il faut mettre en place pour être plus forts que les gouvernements impuissants, pour être plus forts que les parlements européens impuissants, pour que nous arrivions à faire – comme je le disais dans cette petite vidéo que j’ai faite l’autre jour sur la plage d’Ostende – que la fête continue.
par Fock (https://fr.wikipedia.org/wiki/Espace_de_Fock), si on dit qu’il n’y a qu’un et un seul photon, il n’a point de phase, tant…