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Cher Monsieur,
Je vous adresse deux questions que m’ont inspiré vos posts.
1) La première concerne votre post « Nous sommes cuits que faire ? » (j’ai un peu l’esprit d’escalier), où vous évoquiez pour finir les tentations individualistes du survivalisme, comme quelque chose à venir.
Ma question est la suivante : cette tentation du survivalisme n’est-elle pas à l’oeuvre depuis les années 1970 ? C’est en tout cas ce que semble soutenir Bruno Latour dans son ouvrage « où atterrir ? », où il établit un lien systématique entre les politiques néo-libérales de démantèlement systématique de tous les dispositifs de solidarité et la mise en place des stratégies négationnistes concernant la responsabilité humaine en matière de réchauffement climatique ? Les élites oligarchiques auraient reçu cinq sur cinq le message (malthusien) du rapport Meadows et en aurait tiré toutes les conséquences. Ce survivalisme serait alors le sens ultime de la « révolte des élites » décrite par Christopher Lasch. Or, il semble que le complotisme de M. Latour soit corroboré par plusieurs autres sources et auteurs. J’ai trouvé par exemple sur youtube un exposé de Pablo Servigne utilisant des projections faites à cette époque. Par ailleurs, Madame Pinçon-Charlot soutient qu’une major pétrolière (je ne me souviens plus de laquelle) a fait mener des recherches sur le réchauffement climatique en fin des années 70 puis financé un écran de fumé négationniste (je résume de tête et sans doute approximativement).
2) Concernant vos réflexions sur les formes de complotisme, et l’affirmation selon laquelle il existe une création monétaire d’initiative bancaire privée, au travers de l’octroi des crédits, j’ai été très frappé de trouver une telle affirmation sous la plume de Gael Giraud, « L’Europe financière et la privatisation de la monnaie » lors du colloque « revisiter les solidarités en Europe » (tout se tient !) organisé en juin dernier au collège de France ). Il utilise l’argument pour contester l’effectivité de la théorie du ruissellement. Ma question est la suivante : Cette affirmation n’est-elle pas l’expression d’un pragmatisme (philosophique) à l’oeuvre dans l’analyse économique, et que l’on trouve à l’oeuvre par exemple dans la théorie micro-économique des droits de propriété. Un juriste comme moi (je suis avocat) est toujours très frappé d’entendre les économistes affirmer que « des droits de propriété » ont été attribué là où le droit positif n’en reconnaît aucun. Il s’agit toujours de leur part d’un abus de langage, et il faudrait toujours rajouter un périphrase du type « Dans les faits, et toutes choses égales par ailleurs, tout se passe comme si …. », moyennant quoi ils s’assoient royalement sur le droit positif institutionnalisé et, la manière dont il nomme et organise la chose institutionnelle nommé abusivement par l’économiste. Ma question est donc la suivante : tout ne tient-il pas au terrain d’analyse sur lequel on se situe (celui du fait ou celui du droit). Le propos que vous contestez ne consiste-t-il pas à dire : « dans les faits, lorsque l’on confronte les règles prudentielles aux pratiques d’octroi de crédit, tout se passe comme si il y avait création monétaire d’initiative privée » ?
P.S. voici les liens vers deux de mes articles : « Genèse de l’Etat et droit des sols : l’empreinte de la dynamique institutionnelle sur la formalisation juridique de la propriété » et « La typologie de systèmes de propriété de C.R. Noyes : un outil d’évaluation contextualisée des régimes de propriété privée, publique et commune ».
Paul Jorion : Ma réponse à la seconde question.
Merci pour ces réflexions.
Pour ce qui touche à
Le propos que vous contestez ne consiste-t-il pas à dire : « dans les faits, lorsque l’on confronte les règles prudentielles aux pratiques d’octroi de crédit, tout se passe comme si il y avait création monétaire d’initiative privée » ?
C’est ça le raisonnement de Schumpeter (dans son livre publié en 1954) : « La manière dont cela fonctionne est trop complexe pour que nous la vendions au public, il est plus simple d’expliquer la vitesse de circulation de la monnaie en termes de « création monétaire » ex nihilo ».
Je commente de manière détaillée sa « démonstration » dans L’argent, mode d’emploi (2009 : 147-156 ; 2017 : 153-162) et j’y reviens, à propos de la querelle de Schumpeter avec Keynes à ce sujet dans Penser tout haut l’économie avec Keynes (2015 : 113-119 ; 122-124).
Sur Latour, etc. vous avez parfaitement raison. La thèse que je défends dans Le dernier qui s’en va éteint la lumière (2016) est la même.
J’aimerais creuser avec vous ce que vous dites sur la propriété privée.
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