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Le Pew Research Center a publié le 26 juillet dernier une étude qui avance que 7 Américains sur 10 approuveraient l’utilisation des technologies « d’édition » des gènes à des fins thérapeutiques sur les embryons et les bébés (Public Views of Gene Editing for Babies Depend on How It Would Be Used).
La réaction de Jean-Paul Vignal :
Cet optimisme riche en promesses est néanmoins inquiétant techniquement parce que les effets secondaires de CRISPR, l’outil qui permet cette édition ne sont pas encore bien connus (CRISPR Gene Editing May Have Unanticipated Side Effects).
Il l’est également socialement. Il est parfaitement compréhensible et normal que l’on place la santé, et particulièrement celle de ses propres enfants, au-dessus de toute autre valeur. Qui ne ferait pas un choix hasardeux pour soigner son enfant s’il estimait que c’est la dernière et unique chance de guérison ou, plus encore, de survie possible ? Mais cette attitude est révélatrice d’un « deux poids deux mesures » de mauvais aloi concernant les manipulations génétiques. On trouve normal d’appliquer les outils du génie génétique à la santé humaine mais on exige l’application du principe de précaution en contestant vigoureusement, et souvent à juste titre, leur application dans presque tous les autres domaines, alors que les risques pour les humains sont dans ce cas indirects, et donc en principe moindres.
Cette application sélective du principe de précaution est scientifiquement injustifiable. Elle l’est par contre parfaitement humainement, la vie et la santé des êtres chers valant bien une prise de risque quand il n’y a plus d’autre espoir.
Elle est aussi « justifiable » économiquement de façon nettement plus contestable. Le lobby de la santé est particulièrement habile pour imposer les biotechnologies, qu’il s’agisse de procédés de fabrication de molécules à usage thérapeutique en utilisant des microorganismes, des animaux ou des plantes transgéniques, ou des molécules elles-mêmes. On peut faire le même constat dans le domaine des semences: alors que le « riz doré » enrichi en β-carotène, mais « open source », n’est toujours pas diffusé presque 20 ans après sa mise au point, Monsanto est parvenu dans le même temps à imposer le soja et le maïs transgénique tolérant à son glyphosate, en bouleversant les rapports de force sur le marché de ces deux semences tout en accroissant significativement les ventes de cet herbicide.
Ce traitement préférentiel des applications à but lucratif pose le problème de la finalité de la recherche scientifique : doit-elle créer du profit pour quelques-uns, ou du mieux vivre pour tous. La réponse n’est pas simple parce que, comme on le voit à travers ces quelques exemples la science a perdu beaucoup de sa crédibilité en se laissant instrumentaliser soit par les intérêts privés soit, à l’inverse, par les idéologies précautionneuses et regrettablement trop souvent malthusiennes.
La réaction d’Arnaud Castex :
Jean-Paul Vignal a présenté les résultats sur un sondage concernant l’avis du public américain sur certaines utilisations de thérapies génique thérapeutiques. Ce qui m’a fait réagir c’était que sa critique me semblait focalisée sur les 70% de réponses favorables à une telle utilisation. Ce qu’il jugeait inquiétant.
Pourtant l’étude semblait plus mesurée :
Le point de vue des Américains sur l’opportunité de modifier les caractéristiques génétiques d’un bébé dépend en grande partie de l’objectif visé et de l’utilisation ou non d’embryons humains pour tester ces techniques. Une majorité d’Américains soutiennent l’idée d’utiliser l’édition génétique dans le but de fournir des bénéfices directs pour la santé des bébés, mais en même temps, une majorité considère que l’utilisation de telles techniques pour stimuler l’intelligence d’un bébé est quelque chose qui va « trop loin » (…)
Des proportions beaucoup plus faibles considèrent que les résultats positifs sont très probables si la modification génétique des bébés devenait largement disponible. Environ deux Américains sur dix (18 %) affirment qu’il est très probable que le développement de ces techniques ouvrira la voie à de nouvelles avancées médicales qui profiteront à l’ensemble de la société. Un autre 42 % disent que c’est assez probable, tandis que 38 % considèrent que ce n’est pas trop ou pas du tout probable. Seulement 16 % considèrent que l’utilisation généralisée de l’édition génétique est très susceptible d’aider les gens à vivre plus longtemps et à améliorer leur qualité de vie. Environ la moitié (48 %) disent que c’est assez probable, tandis que 34 % disent que ce résultat n’est pas trop ou pas du tout probable.
Le public américain a également tendance à être sceptique quant à savoir si les experts médicaux comprennent pleinement les conséquences sur la santé de la modification génétique. Une minorité de 36 % des Américains croient que les chercheurs médicaux comprennent très bien (7 %) ou assez bien (29 %) les effets de la modification génétique sur la santé des bébés, tandis que 62 % disent que les chercheurs médicaux ne comprennent pas du tout ou pas trop bien les effets sur la santé. (…)
(Traduit avec www.DeepL.com/Translator)
Ces résultats ne me semblaient dès lors pas surprenants ni particulièrement plus inquiétants que le passif de l’humanité vis à vis de la technologie en général.
Pas surprenant, par rapport au résultat du sondage, parce qu’il me semble « humain » que face à un grave danger pour la santé et l’avenir de son enfant, à moins d’avoir une très forte construction mentale adverse préalable, le choix « contre thérapeutique » n’existe même pas dans la pensée des parents. Je me dis que dans une question comme celle-ci on répond à l’affect (santé/morts/enfants). Dans ce contexte je pense que le taux de 70% approuvant l’utilisation de thérapie génétique me semble logique. Y voir une simple « naïveté du public » c’est se tromper. Tout simplement parce qu’on va mentalement se projeter dans une telle situation en ne voyant que la guérison. Ma remarque tient essentiellement de la psychologie de comptoir (avec un certain degré d’expérience) mais bon. Je voulais donc réagir à la critique de cette réaction humaine (les 70% favorables).
Par ailleurs le sondage ne me semblait pas plus inquiétant aussi car l’homme est souvent incapable de comprendre ce qu’il fait réellement (je pensais notamment à Principe de systèmes intelligents). L’homme peut-il vraiment saisir toutes les modifications sociales que peuvent entrainer telle ou telle découverte ? Et surtout sa capacité à agir avec éthique a été maintes fois démentie historiquement, pour éviter de faire de l’outil une arme.
Au-delà de ça les médecins et chercheurs quant à eux s’inscrivent dans une culture et une certaine société ou les acteurs de la santé privés, pilotés par des capitalistes pousseront à la roue, via think tank ou autres, jusqu’aux limites de la résistance politique, aiguillonnée par la société civile. Or celle-ci justement apparait dans le sondage : les 62% qui estiment que les médecins ne comprennent pas les effets sur la santé manifeste cela (même si ce n’est pas la signification exacte de la phrase).
C’est la construction mentale de la société et ses tabous qui prévient ou pas l’utilisation de la découverte (ex recherches sur les embryons). La ruse étant bien sûr de s’appuyer sur les affects humains pour tout se permettre (pour le pouvoir, le profit). Ce qui est l’exemple de ce type de sondage à mon avis.
Donc les découvertes du type de celle de CRISPER-CAS9 sont une question de plus pour notre civilisation. En plus de la supervision de la société sur les découvertes scientifiques et technologiques ce qui me semblerait nécessaire serait d’encadrer beaucoup plus fortement les sondages, outil évident d’influence voire de manipulation plus que d’information.
La réaction de Roberto Boulant :
Disons le mot. Les nouveaux outils tels que CRISPR-Cas9 ouvrent des perspectives inédites pour l’eugénisme en lui donnant une véritable assise scientifique. Naturellement l’eugénisme relèvera toujours de la politique, le gouvernement des hommes et l’exercice du pouvoir par quelques-uns à des fins précises, mais les nouveaux outils « d’éditions » génétiques permettront probablement de créer de nouvelles espèces humaines sur des durées temporelles beaucoup plus courtes que celles qui furent nécessaires pour la sélection et la domestication des animaux d’élevage…
Et comme il existe très peu de cas où une technologie fut « désinvitée », la question est : jusqu’où aller ?
Question à multiplier par le nombre d’états-nations en concurrence plus ou moins frontale sur cette planète, mais également par le nombre d’organisations sub-étatiques ayant les moyens financiers d’accéder à des technologies au coût finalement assez modeste. Si on songe tout de suite aux fantasmes nazi du surhomme et aux soldats « améliorés » génétiquement pour être plus forts et plus résistants, que certains régimes comme celui de la Corée du nord (mais pas que) seraient tentés de reprendre in extenso, on ne peut que s’interroger sur la capacité des « démocraties » libérales à légiférer sur un cadre encadrant strictement la recherche dans le domaine. Non seulement parce que la pratique a toujours un ou deux temps d’avance sur la loi, mais également au vu des énormes avantages stratégiques et financiers pouvant en être espérés par les gouvernements.
Pour les complexes militaro-industriels, ça n’est pas tant l’amélioration physique du combattant qui serait alors recherchée pour un gain somme toute assez marginal, mais son amélioration psychique qui lui permettrait de moins dormir, d’être moins sensible au stress, et surtout de pouvoir se rapprocher du « temps machine » afin de contrôler des nuées de drones coopératifs ou des SALA par exemple. Ou l’hybridation homme-machine non plus « simplement » au niveau neuronale, mais également psychique, celui ou l’humain ne contrôle plus un drone de l’autre côté d’un océan, mais EST physiquement ce drone …
Et pour le grand public ? Pour prendre un passé récent, celui de notre propre civilisation, il suffit de se souvenir que le mariage entre hygiénisme et préservation de la « race nationale » aboutit à des programmes eugénistes tant aux États-Unis qu’en Europe aux 19ème et 20ème siècles. Et si plus personne n’ose (en public) parler de pureté de la race, c’est tout de même le fondement de la politique « anti-migrants » prônée plus ou moins ouvertement par les pays du groupe de ViÅ¡egrad… et recueillant des échos favorables bien au-delà de leurs frontières. Ce simple exemple pour dire que le progrès moral, si tant est que l’expression ait un sens, n’est pas linéaire et que des retours brutaux en arrière ne sont certainement pas inenvisageables.
Bien sûr des objectifs politiques tendant vers une société uniformisée et obéissante, rendue possible par le mariage des technologies de l’information et de la génétique, ne seront jamais vendus tels quels au grand public, fût-il chinois. Il s’agira dans un premier temps de réparer l’humain avec des outils qui seront présentés comme une évolution des techniques médicales, afin de mieux cacher leur nature radicalement différente.
Et le ver est déjà dans le fruit car nous sommes tous immergés dans la société de la compétitivité, celle où il convient d’être toujours plus fort, plus rapide et plus jeune (parce que nous le valons bien !). Celle ou le citoyen, la fraternité et la communauté de destin, sont remplacés par le consommateur et les premiers de cordée.
Un exemple tout bête: si tout le monde s’offusque que les nouveaux gladiateurs montés sur roues se droguent pour escalader à 25 km/h quatre cols hors-catégorie sous 35° avant de recommencer le lendemain, frais comme des gardons, tout le monde trouve normal que les étudiants se shootent au café et autres produits énergisants plus ou moins légaux pour faire face au stress et au manque de sommeil. Sans bien sûr parler des cadres forcément dynamiques lancés sur les rails (de coke bien sûr) de la réussite professionnelle.
Alors, jusqu’où aller ? Si l’on en juge par les excès de l’industrie financière laissée la bride sur le cou par des législations dignes de provoquer un fou rire chez n’importe quel garde-champêtre normalement constitué, la réponse risque d’être : aussi loin que possible, et même au-delà !
Droit dans le mur et en klaxonnant, la marque de fabrique de l’espèce ?
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