Retranscription de Les vrais défenseurs du peuple, et les faux. Merci à Éric Muller et Grégoire Pichard !
Bonjour, nous sommes le dimanche 22 juillet 2018, et aujourd’hui je voudrais vous parler d’un sujet sérieux : les vrais défenseurs du peuple et les faux.
Et ce qui me conduit à vous parler de ça, c’est un mail que j’ai reçu ce matin, que je viens de lire, et qui m’a fendu à ce point le cœur que j’ai voulu y réagir immédiatement.
Voilà : c’est un monsieur qui m’écrit, et il m’écrit en disant : « Vous devriez moins parler de M. Trump… » -, et il ne me dit pas, comme certains des correspondants ces jours-ci, en disant : « Il faut parler moins de M. Trump parce que ça me fatigue ! ». C’est toujours ce mot fatiguer qui est amusant. Parce que, moi, j’ai entendu ça à une époque : quand je parlais avec des collègues qu’il y allait y avoir une crise des subprimes, il y avait parmi nous des gens qui disaient: « Oui, moi, ça me fatigue », et ce qu’ils voulaient dire, c’est « Ça m’irrite, ça m’inquiète, ça me fait peur ». Oui, il avait raison que ça lui faisait peur, puisqu’on allait tous perdre notre emploi un peu plus tard à cause de ça !
Donc, ce monsieur ne me dit pas « Ça me fatigue », il dit, il me fait comprendre que c’est pas une bonne chose de critiquer M. Trump, et c’est là qu’il dit la chose qui me fend le cœur : « parce que c’est un ami du peuple. Regardez, il se bat contre l’establishment, les pontes, le deep state, il se bat contre toutes ces choses qui sont très très mauvaises, pour défendre les emplois des Américains, et, voilà, il y a cette guerre commerciale, c’est pour ça, c’est pour défendre les emplois ! » Et à ça il faut répondre, bien entendu.
Je vais commencer par une illustration qui vient de cette émission dont je parlais l’autre jour, Ce soir ou jamais, qui était une bonne émission, dont il faut regretter la disparition, et dont j’évoquais la résurgence, peut-être pas au bon endroit… Et dans cette émission, c’est-là, je crois, que j’avais parlé pour la première fois, pour illustrer ce que je disais, des sténodactylos. J’avais dit, c’était dans le cadre, voilà, l’emploi disparaît, si j’ai bon souvenir c’était en 2012 ou 2011 [le 2 octobre 2012], j’ai dit : « Les sténodactylos qui ont disparu, elles ne sont pas en Chine. Ce ne sont pas des emplois qui ont été délocalisés. » Il n’y a pas en ce moment au Bangladesh, des gens, des femmes en général, qui sont là à mettre du papier pelure et du papier carbone dans des machines à écrire, parce que les usines à sténodactylos de chez nous sont parties se mettre là-bas. Non, non. Les sténodactylos ont été remplacées par le traitement de texte, vous le savez très bien. Et quand on regarde les emplois qui ont disparu aux États-Unis, il y a un chiffre – il y a sûrement un chiffre pour d’autres pays mais j’ai cité déjà ce chiffre – 87% des emplois qui ont disparu aux États-Unis, ce sont des emplois qui ont disparu du fait de la mécanisation. Voilà. Ça peut être des machines, ça peut être des logiciels, ça peut être des algorithmes… mais c’est le processus d’automation, de mécanisation qui fait que ces emplois ont disparu.
Il n’y a que 13% des emplois qui ont disparu aux États-Unis qui ont été délocalisés à proprement parler. Et là, si on parle de délocalisation, j’avais aussi – à l’époque, il y a longtemps, je ne sais pas, peut-être vers 2012 – donné un chiffre à propos d’une usine – je ne sais plus, je crois que c’était Apple – usine qui avait créé des emplois, qui employait un certain nombre de personnes aux Etats-Unis [P.J. : je mettrai les chiffres exacts quand je les aurai retrouvés]. On avait envoyé cette usine dans un autre pays, Si j’ai bon souvenir, à l’époque, c’était en Indonésie, et je donne les chiffres au hasard c’est simplement pour les ordres de grandeur : il y avait 3000 personnes aux États-Unis qui ont perdu leur emploi, quand on a créé l’usine en Indonésie, il n’y avait plus que 1000 emplois parce qu’on en a profité au passage, évidemment, pour mettre des robots, pour mettre des machines, et quand les emplois sont revenus – parce que la firme Apple était très fière de dire qu’ils sont revenus – il n’y en avait que 300, c’est à dire 10 % de ce qui était parti, à l’arrivée. Pourquoi ? Parce qu’au passage, chaque fois, eh bien oui, on introduisait de la mécanisation, de l’automation supplémentaire.
Les chiffres… il y a d’autres chiffres, et ces chiffres ont été cités. Il y a des tentatives qui ont été faites de mettre des barrières douanières – avant que ce soit M. Trump, je ne sais plus quel autre président avait fait ça… c’était Bush, c’était peut-être même le père Bush – où on avait effectivement essayé d’empêcher de la délocalisation en mettant des barrières douanières, et ces barrières douanières avaient détruit un nombre beaucoup plus considérable d’emplois aux Etats-Unis [P.J. : je mettrai les chiffres exacts quand je les aurai retrouvés].
On essayait de faire une chose, et bien entendu, l’augmentation des prix liée au fait de mettre des barrières douanières faisait que d’autres emplois tombaient par ailleurs, de manière collatérale, de manière dérivée.
Trump est entouré d’incapables : parmi ses économistes, il y en a sûrement un qui sait cela, qu’en essayant de mettre des barrières douanières, en disant au peuple : « Écoutez, c’est pour vous protéger qu’on fait ça », il doit savoir que c’est bidon. C’est simplement pour garder – M. Trump se soucie d’une seule chose: il se soucie de sa base et il dit : « Regardez, je vais des choses en votre faveur ! » Et par ailleurs c’est la personne qui a poussé à un changement du système fiscal avec une baisse considérable de l’imposition des entreprises. Si les banques, pour le moment, affichent des résultats mirobolants, c’est grâce à cette mesure de M. Trump. Alors tout le monde est content en principe parce qu’on a fait baisser les impôts. Puisqu’on ne va pas faire baisser les dépenses de l’État, on va emprunter davantage. Il va falloir payer des intérêts sur les sommes qui ont été empruntées et posez-vous la question : qui va payer ces intérêts ? Ce sont les gens qui sont véritablement imposés, pas ceux qui font de l’optimisation fiscale, c’est-à-dire qu’à l’arrivée la note sera plus considérable pour ceux qui, en bas de l’échelle, auront bénéficié peut-être de ce qui ressemblera un peu à une baisse d’impôts mais qui sera une baisse d’impôts essentiellement au sommet.
Alors dans ma dernière vidéo, j’attire aussi l’attention sur autre chose: c’est le fait que, quand M. Poutine donne une liste d’Américains qu’il voudrait interroger en Russie, les commentateurs découvrent très rapidement qu’il y a un lien entre tous ces noms qui ont l’air un peu disparates au départ. Ce sont tous les gens qui ont été impliqués d’une manière ou d’une autre dans le Magnitsky Act, l’Act – un ensemble de lois américaines – pour empêcher la circulation de l’argent sale.
Je vous le disais en conclusion de la vidéo précédente, il s’agit de part et d’autre, non pas de défenseurs du peuple mais d’autocrates qui prennent des mesures pour défendre leur fortune personnelle. Ce n’est pas nouveau dans l’Histoire: si vous pensez à la guerre de 1914, ces braves gens qui voulaient, à droite et à gauche, en Allemagne et en France, envoyer de gaîté de cœur des millions de jeunes gens aller se faire massacrer sur les champs de bataille et qui ont peut-être effacé une larme [projet fait le geste], savaient très bien pourquoi la chair à canon était là : c’était pour défendre leur fortune personnelle, pas pour défendre le peuple, pas pour défendre l’idée de la France, l’idée de l’Allemagne. Tout cela, c’est toujours bidon !
Les vrais défenseurs du peuple, qui est-ce ? Ce sont les gens qui votent la loi Magnitsky pour empêcher que l’argent sale, que l’argent fait sur la prostitution, fait sur la drogue, fait sur le trafic d’armes, fait sur la misère du monde, pour empêcher les gens de faire circuler cet argent fait sur la misère du monde. Les défenseurs du peuple sont de ce côté-là.
Les défenseurs du peuple sont aussi du côté des gens qui vous disent que l’emploi disparaît et que ce qu’il faut faire maintenant, c’est séparer une fois pour toutes les revenus des gens – ou leur assurer l’accès à l’indispensable par la gratuité – du travail, qui est véritablement effectué. Parce que les gogos, les gens que l’on essaie d’entuber, ce sont toujours les mêmes : ce sont ceux qui gagnent leur vie en travaillant et c’est eux qu’on roule, et c’est à eux qu’on raconte que M. Trump est un ami du peuple et qui sont prêts à le croire, qui vous disent : « Oui, vous parlez de M. Trump, mais vous ne parlez pas de Mme Hillary Clinton et du fait qu’elle a utilisé un autre ordinateur que celui-ci qu’on lui avait dit [d’utiliser] ! » Non : ce n’est pas le même ordre de grandeur, le fait qu’il y a des autocrates et qu’ils viennent au pouvoir dans nos pays, et parfois des autocrates manipulés par un autre pays ; ce n’est pas du même ordre de grandeur que la question de savoir si Mme Hillary Clinton a employé le bon ordinateur et si elle n’a pas essayé de cacher certains messages. Quand je réponds hier à quelqu’un qui me dit « Oui, vous parlez trop de Trump ». Quand je lui dis « Oui, mais Madame, imaginez bien que parmi les grands événements du XXIe siècle, le fait que, par exemple, la Russie soit arrivée à mettre un homme de paille à eux – que ce soit quelqu’un qu’ils font chanter ou que ce soit un de leurs agents, finalement n’a pas beaucoup d’importance – cette chose-là, cela apparaîtra au moins parmi les trois premiers événements au XXIe siècle ! »
Je me réserve un peu de la marge parce qu’on peut avoir une guerre nucléaire, on peut avoir une météorite qui tombe sur la Tour Eiffel, etc. Mais ce sera quand même parmi les trois premiers événements du XXIe siècle ! Donc il faut bien, et comme on n’en parle pas trop dans le journaux – quand je regarde les journaux français, il vous parlent plutôt de football ou de l’« affaire Ceci » ou de l’« affaire Machin », comme disait Dutronc – il faut bien qu’il y ait des gens qui vous parlent des événements importants qui se passent en ce moment.
La crise des subprimes, au moment où nous avons un collègue qui nous dit « Ça me fatigue ! », il se fait quand même que cela se trouve dans les livres d’Histoire, même si cela le fatiguait, lui ! Nous qui en parlions, nous savions que cela allait être un gros événement. Alors parler de la chute de M. Trump, cela va être un gros événement, de toute manière. Il faut bien que des gens en parlent. Pourquoi en parler toujours dans les livres d’Histoire ? il faut aussi qu’il y ait des gens qui en parlent au moment même.
Et maintenant, ayant dit ça, sur les vrais et les faux défenseurs du peuple, je vais terminer juste avec une petite information, quand même, quelque chose qui est de l’actualité sur M. Trump. Ce qui est important, c’est de voir dans les petites choses les événements importants, de déceler dans les anomalies, les choses qui passent inaperçues, les choses qui sont en train de véritablement se passer. Et vous allez voir, c’est un non-événement, une plaisanterie, sauf qu’elle nous dit énormément de choses. C’est le fait qu’avant-hier, M. Michael Cohen, avocat de M. Trump, a été vu publiquement – et ils l’ont fait délibérément, l’un et l’autre – prendre son déjeuner avec le révérend Al Sharpton. Le révérend Al Sharpton en a parlé à la télévision, il a dit : « Oui, c’est une chose que M. Michael Cohen voulait et il voulait qu’il y ait des gens qui nous voient. Moi, je suis allé en sachant que c’était pour que l’on nous voie ensemble en train de discuter. »
Alors qui est M. Al Sharpton ? Si vous ne le savez – il est révérend, baptiste – c’est une personnalité du mouvement noir aux États-Unis et c’est quelqu’un qu’on peut classer, je dirais sans se gratter le crâne, à l’extrême-gauche. C’est une personne qui a fait des grèves de la faim, qui a été en prison pour défendre des cas flagrants. C’est un héros (ou héraut !) d’extrême-gauche de la communauté d’origine africaine aux États-Unis. Alors pourquoi est-ce que M. Michael Cohen, avocat de M. Trump, a envie de se montrer en compagnie de ce monsieur dans un restaurant ? Le reporter qui interroge Al Sharpton dit : « Est-ce que c’était pour que vous lui donniez une bénédiction ? », l’autre sourit et dit « Oui, d’une certaine manière. »
Qu’est-ce que M. Michael Cohen essaie de lancer comme message en allant déjeuner avec cette personnalité noire d’extrême-gauche ? Il lance un message que tout le monde peut lire – enfin tous ceux qui s’intéressent à un fait divers aussi peu visible sur les écrans radar – il lance un message à M. Trump en disant : « Écoutez, je ne suis plus dans votre camp. Je suis dans le camp d’en face ! »
Et cela rejoint quelques remarques que j’ai déjà faites à propos de M. Michael Cohen, à savoir que son degré – c’est ce que j’avais dit la fois précédente, c’était à propos de lui – d’affolement ne correspond pas à une inculpation éventuelle pour lui sur une affaire de déclaration fiscale [trafiquée], de fraude, même de pots-de-vin ou de machins comme ça. Son affolement, sa panique, correspond à une accusation beaucoup plus sérieuse que cela qui pourrait tomber sur son ancien client. Alors « read my lips », comme disait M. Bush, est-ce que je viens de dire « haute trahison » ? Non, je ne viens pas de le dire donc ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Une accusation vraiment très, très sérieuse.
Et il y a un autre événement qui va dans le même sens que le déjeuner avec M. Al Sharpton : c’est une conversation avec un reporter de M. Michael Avenatti. M. Michael Avenatti est l’avocat de Stormy Daniels, la vedette du cinéma porno, qui est dans un différend avec M. Trump. Elle veut avoir la liberté de pouvoir parler de ce qui s’est passé, et bien entendu l’adversaire de M. Michael Avenatti, c’était, jusqu’à ce qu’il soit inculpé, M. Michael Cohen, qui défendait les affaires de M. Trump. Et là, le scoop de la journée de hier, c’est que le reporter qui parle à M. Avenatti à propos du fait qu’on a maintenant l’enregistrement d’une conversation entre Trump et son avocat Michael Cohen, non pas sur l’affaire de Stormy Daniels, mais sur l’affaire d’une autre personne, une Centerfold de Playboy, une playmate [Karen McDougal], une affaire différente et là la conversation dérive petit à petit, le reporter qui pose les questions les pose très bien et l’on finit par comprendre, parce que Michael Avenatti, poussé un peu dans ses derniers retranchement, finit par l’avouer : il a eu une conversation avec Michael Cohen, qui est donc en principe son adversaire dans cette affaire de Stormy Daniels – Mme Clifford de son vrai nom – et dans cette conversation, M. Michael Avenatti a accepté le principe d’être l’avocat de Michael Cohen. Il est son adversaire dans une affaire, il parle de lui depuis des semaines comme étant…, il laisse entendre que c’est un escroc, un type pas fiable mais maintenant que M. Michael Cohen affirme que pour protéger sa famille, il dira ce qu’il sait et qui le fait savoir officiellement en s’affichant avec une personnalité noire d’extrême-gauche – pas tout à fait la tasse de café de M. Trump.
On apprend aussi que M. Michael Avenatti, on a compris pourquoi il attachait autant d’importance à cette défense de cette star du porno, il lui semblait que c’était un moyen d’atteindre M. Trump. Il va peut-être se trouver en position d’être en même temps l’avocat de l’avocat de M. Trump. Et là, il dit une chose importante, il dit : « Si M. Trump avait été plus intelligent, il aurait pris un avocat plus intelligent. » Il ne le dit pas exactement comme ça mais regardez l’interview, c’est ça qui est véritablement dit.
Alors j’arrête là-dessus, vous avez compris : je ne parle pas de Trump et compagnie pour le plaisir d’occuper l’espace vidéo de l’internet, c’est parce qu’il y a des choses importantes qui sont en jeu, comme savoir qui est véritablement le défenseur du peuple et qui ne l’est pas.
Voilà, je continuerai là-dessus, à bientôt !
« Vladimir Poutine montre qu’il cherche à évoluer dans un cadre légaliste écrit normatif » Mais oui bien sûr ! Louis XIV…