Écorama, « La prochaine crise sera celle de la disparition de l’euro ! » alerte Paul Jorion, le 6 juin 2018

Retranscription de « La prochaine crise sera celle de la disparition de l’euro ! » alerte Paul Jorion, le 6 juin 2018. Merci à Catherine Cappuyns ! Ouvert aux commentaires.

David Jacquot – Et notre invité ce vendredi dans La Grande interview en direct sur Boursorama, c’est Paul Jorion. Bonjour, Paul Jorion.

Paul Jorion – Bonjour.

DJ – Merci d’être là. Anthropologue, essayiste, et ancien trader. On a toujours plaisir à vous avoir. Ça marche bien d’ailleurs, les gens vous apprécient parce qu’il y a de l’audience quand vous passez, hein ?

PJ – Tout à fait.

DJ – Vous avez votre communauté. C’est vrai, non ? Qui vous suit, hein ? Fidèlement. Je vois, il y a des commentaires et tout.

PJ – La dernière vidéo, c’est plus de 130.000 personnes qui ont voulu la voir. C’est formidable, mais c’est grâce à vous !

DJ – C’est grâce à vous. C’est sur YouTube et Boursorama c’est quasiment autant et peut-être même plus. Votre dernier livre Défense et illustration du genre humain chez Fayard. Dans le livre d’avant, vous étiez passé nous voir pour Le dernier qui s’en va éteint la lumière – titre d’ailleurs très bien bien vu –, vous prédisiez déjà l’extinction du genre humain. Vous rappelez dans ce livre-là, dans le nouveau, que votre but, ce n’est pas de vendre des livres mais d’éveiller un petit peu les consciences. Mais le constat que vous faites quelques années après, c’est que vous avez « un peu prêché dans le désert ». Vous dites : « Mes efforts sont restés vains. Le temps presse. Tout se défait autour de nous ». Vraiment rien n’a été fait ? Qu’est ce qui vous permet d’affirmer que la fin est proche là, honnêtement ?

PJ – Parce que plus ça va, plus on a des données sur le fait que ça va très mal. On parlait il y a quelques années d’une température qui allait peut-être augmenter de deux degrés au cours du siècle. Maintenant on dit quatre probablement, peut-être même six, etc.

DJ – C’est la catastrophe, ça !

PJ – Oui, catastrophe, mais entre le moment où à Kyoto on dit : « On va tous se mettre d’accord pour baisser l’utilisation des carburants fossiles etc. » Depuis qu’on se met tous d’accord, la consommation a augmenté encore de 60%. C’est-à-dire que même quand on dit qu’on va faire plein de choses, la machine est lancée à une telle allure que ce n’est pas possible. Et maintenant on parle de chiffres comme de la disparition entière des mammifères simplement parce qu’on va atteindre – et ça, ce n’est pas pour tout de suite, c’est pour le XXIIIe siècle – mais on va atteindre une température où les mammifères dans leur ensemble ne peuvent plus se refroidir, c’est-à-dire qu’il faudra vivre entièrement sous terre si on ne fait rien. Or on fait des choses mais ce n’est pas au rythme où il faudrait les faire.

DJ – La fin est proche, pardon, mais on est en nombre de générations. D’ailleurs on en avait parlé déjà dans votre dernier ouvrage : deux à trois générations ! Certains vont dire que voilà, vous voulez vendre des livres, vous sombrez dans le catastrophisme, non ?

PJ – Non, parce qu’ici j’essaie quand même de mettre tout ce qu’on a pu…, de mettre ensemble tous les types de solutions auxquels on a réfléchi. Je me suis dit qu’il fallait mettre tous les éléments pour composer une image, c’est-à-dire de produire quelque chose comme un programme pour relever la tête, pour essayer de renverser la tendance.

DJ – On va sûrement en parler, de ce programme mais dans votre nouveau livre justement, vous restez négatif mais parce que tous les ingrédients, vous dites, sont réunis, pour causer notre perte ; nous sommes, nous les humains, une espèce versatile, opportuniste et – pire de tout – une espèce colonisatrice qui envahit son environnement, le dévaste et le détruit. Qu’est-ce que vous faites de toutes les initiatives qui ont été lancées en matière sociale, environnementale, l’accord de Paris, l’économie solidaire ? Vous voyez quand même, les consciences sont éveillées, par endroits, non ?

PJ – Mais bien entendu, et je participe à tous ces efforts. Quand on me demande de participer, je le fais volontiers, parce que tous les petits rus font les grandes rivières mais il faudrait faire les choses à une échelle qui n’est pas du tout celle qu’on envisage en ce moment. On n’a pas conscience de ce qui est en train de se passer ! Il y a des choses catastrophiques. Même si on arrêtait toutes les bagnoles, tous les bateaux, tout ce qui consomme du pétrole aujourd’hui, eh bien, le paradoxe, c’est que ça accélérerait encore le mouvement parce qu’avec toutes les microparticules qu’on envoie dans l’atmosphère, en fait ça ralentit un peu le mouvement. Si on arrêtait, en fait on ferait baisser la pollution et ça accélérerait encore le mouvement. On réfléchit ici et là, il faut maintenant réfléchir à tout ça à une échelle mondiale. Et on voit des choses comme les États-Unis, c’est-à-dire le pays le plus riche du monde qui fait machine-arrière avec M. Trump. J’espère que ça ne va pas durer trop longtemps, mais qui fait machine-arrière même sur ces choses-là.

DJ – Et donc, encore une fois, je reviens sur cette idée que l’homme a toujours besoin d’un nouvel environnement à coloniser, c’est ça qui va causer notre perte ? Vous me direz : « Il reste l’espace » …

PJ – Il reste l’espace. A la fin du siècle – on est 7 milliards maintenant – si on continue sur la lancée, on est vingt-trois milliards. Et on est déjà beaucoup avec 7 milliards ! Et nous sommes tout à fait quand même déterminés par cette planète-ci : on a besoin d’oxygène, on a besoin d’eau, on a besoin de choses à manger. Avant qu’on n’aille reconstruire ça sur d’autres planètes, c’est un boulot énorme !

DJ – C’est quoi le programme de Paul Jorion justement pour éviter la catastrophe ? C’est revenir à l’âge de pierre … ?

PJ – Non, non, pas du tout, je crois qu’on a tous les éléments en main, on sait. Quand on dit avec la crise des subprimes, on dit : « on n’a tiré aucune leçon », ce n’est pas vrai, on a tiré plein de leçons : on sait ce qu’il ne fallait pas faire, on sait ce qu’on aurait dû faire. Simplement c’est qu’une fois qu’on analyse les choses qu’on sait qu’on devrait faire, on ne les fait pas parce qu’il y a une inertie dans le système, parce qu’il y a des tas de gens que ça n’arrange pas du tout, parce qu’il y a beaucoup de court-termisme et ce court-termisme ce n’est pas seulement dans la tête des gens, on l’inscrit dans la loi, on l’inscrit dans la comptabilité, dans les stock-options : les stock-options, c’est du court-termisme, c’est pour que la prochaine fois qu’on sorte des chiffres, ce soient des chiffres qui soient bons. Autrefois, au XIXe siècle, on projetait toute la vie d’une entreprise sur un siècle, sur deux siècles. Oui, oui.

DJ – Ça paraît loin, ça…

PJ – Oui, ça paraît lointain. Et tant qu’on n’avait pas gagné d’argent, on ne distribuait pas des dividendes parce que c’était considéré comme des parts de profit. Tant qu’il n’y avait pas de profit, on ne le faisait pas.

DJ – On distribuait des dividendes quand il y avait des profits, c’est le principe …

PJ – Mais non, la comptabilité au milieu du XIXe siècle se modifie pour qu’on puisse déjà distribuer des dividendes avant même qu’il y ait des profits, parce qu’on met entre parenthèses toutes les dépenses qui ont été faites. Ou maintenant, vous le savez bien, la comptabilité, on projette dans l’avenir, on compte le goodwill comme étant une richesse de l’entreprise, on actualise des flux.

DJ – Il faut peut-être expliquer ce que c’est que le goodwill : c’est, quand on rachète une boîte, c’est l’écart entre sa valeur de marché et sa valeur comptable. Je ne suis pas un expert …

PJ – Oui, on fait un calcul en comptabilité, de la valeur de l’entreprise et puis on regarde ce qu’il faut payer en termes de valeur actionnariale, ce qu’il faut payer pour l’avoir. Et en général, quand ça se passe bien, il faut payer davantage que la valeur de l’entreprise.

Autrefois, au XIXe siècle, la différence entre les deux, on le comptait en pertes, parce qu’on considérait que c’était une aubaine, que c’était une chance inouïe, qu’il ne fallait pas [compter] dessus. Maintenant, on l’introduit dans la comptabilité et on calcule les dividendes à distribuer sur cette somme qui est une somme imaginaire !

DJ – Le programme de Paul Jorion c’est quoi ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? On sait déjà ce qu’il faut faire ? Il faut juste avoir le courage de mettre ça en œuvre, mais quoi en l’occurrence ? Le programme protéiforme, c’est quoi ?

PJ – Non, il y a des tas de choses qu’il faut changer, en particulier notre conception de la croissance ; justement aussi, on vient de parler comptabilité : nous ne comptabilisons en aucune manière la destruction de la planète. C’est ce qu’on appelle les externalités négatives. Le type qui brûle des pneus et qui gagne sa vie en brûlant des pneus faisant de l’électricité, on ne compte pas tous les gens qu’il envoie à l’hôpital dans l’environnement parce que l’air devient irrespirable. On ne tient compte de rien, on ne fait pas la différence dans la comptabilité si on emploie une ressource renouvelable ou pas, de savoir si on l’a perdue une fois pour toutes en l’utilisant, parce qu’on l’a mis dans de petits machins, des composants, où c’est pratiquement impossible de les retrouver. Non, on détruit le monde et on n’en tient pas compte, ce n’est pas dans le calcul.

DJ – Ok, quoi d’autre ?

PJ – Ce qu’il faut faire ?

DJ – Oui. Vous nous parlez, Paul Jorion, de l’extinction de la race humaine, encore une fois de l’humanité, à l’horizon de trois générations, c’est ça ? Je veux dire : ça nous mène à la fin du siècle.

PJ – Oui, ça nous mène à la fin du siècle.

DJ – Donc, on peut vous croire dubitatif, mais après l’idée c’est quand même : est-ce qu’on a envie d’aller dans le mur si tant est que le mur soit si proche que ça ?

PJ – Eh bien, par exemple, quand on a d’un côté huit personnes qui sont aussi riches que la moitié de l’humanité, il faut se dire qu’on a un problème et qu’il faut le résoudre tout de suite et pas simplement… – dans le début de l’émission, on nous explique bien les changements sur la fiscalité, tout ça c’est une bonne chose et ainsi de suite, mais le problème ne se pose pas dans ces termes-là.

DJ – Ce n’est pas bien que la France soit, en matière d’investissements, en actions, qu’on soit surtaxés, c’est une bonne chose par rapport aux voisins ? Vous ne trouvez pas ça bien qu’on aille vers une taxation…

PJ – C’est formidable !

DJ – …du niveau des voisins européens ?

PJ – C’est formidable mais qu’est-ce que c’est par rapport au danger dans trois générations ?

DJ – Oui, je suis d’accord.

PJ – Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire des choses aujourd’hui pour améliorer la vie demain mais il faut réfléchir au fait qu’on est sur une lancée où la vie elle-même de l’espèce est absolument limitée. Il faut prendre ça à bras le corps et le paradoxe – vous avez dû le voir… dans le livre – le paradoxe c’est qu’il y a une nation, en ce moment, au monde…

DJ – … la Chine !

PJ – Voilà ! … qui tient compte de ça sérieusement.

DJ – Les droits de l’homme ?

PJ – Eh bien, le problème des droits de l’homme évidemment ! Mais il faut que nous trouvions – ça, c’est notre problème – …

DJ – Pourquoi la Chine ?

PJ – Parce que, à mon sens, c’est une question historique : c’est parce que ce pays est passé dans des drames abominables au XIXe et au XXe siècles. Ils en sortent tout juste et les dirigeants chinois ne veulent pas que ce soit simplement pour trois générations qu’on ait fait tous ces efforts. Ils voudraient que ça dure ! Eux, ils voudraient que ça dure, ils ont ça en tête. Alors, on s’étonne, quand on dit …

DJ – Mais c’est pollué : Pékin est hyper-pollué.

PJ – Non, ce n’est plus le cas, mais là, je vais vous répondre. Ça a baissé. Ils l’ont baissée de 20% en un an. Mais, comment l’ont-ils fait ? En allant casser les fourneaux chez les gens, en leur disant qu’on allait les remplacer le lendemain avec des trucs au gaz et le truc au gaz, il n’est venu que six mois plus tard. Ça c’est l’inconvénient et ça c’est un inconvénient qui sera général : c’est que quand nous nous rendrons compte du danger et de la vitesse où ça va, à ce moment-là, nous ne pourrons pas faire autrement qu’eux : nous ne pourrons pas faire autrement que le faire de manière autoritaire et on dira : « Ah oui, mais on a perdu les libertés individuelles ! ». Oui, c’est pour ça qu’il faut le faire maintenant.

DJ – Parce qu’on aura perdu trop de temps.

PJ – Voilà, parce qu’on a perdu trop de temps ! Si on ne veut pas perdre les libertés individuelles en route, il faut commencer vraiment maintenant.

DJ – Vous abordez un point très intéressant sinon, Paul Jorion, l’intelligence artificielle, avec cette question : « Notre destin est-il d’être remplacés par des machines ? Pardon, je schématise un peu votre pensée, mais selon vous l’homme sera remplacé par la machine le jour où des robots seront capables de fabriquer d’autres robots de manière totalement automatisée ? La question c’est : « On est vraiment en train d’atteindre ce processus, c’est pour quand, ça ? »

PJ – C’est ça le paradoxe : le paradoxe est qu’on est bien lancés, et là, on est en bonne voie. Ça va se faire très très rapidement de faire des pseudo-êtres humains qui seront ces robots qu’on voit là.

DJ – Un peu comme dans West World, la série West World, vous avez vu ?

PJ – Non, je n’ai pas vu ça, non, non.

DJ – C’est exactement ça. !

PJ – Ah bon, d’accord. Ça, on va arriver à le faire mais à renverser la température sur le globe, ou bien empêcher l’eau de monter, ça on ne pourra pas le faire.

DJ – Terrifiant ! Des robots avec des émotions ?

PJ – Oui, moi j’ai travaillé là-dessus personnellement, quand j’ai fait de la recherche en l’intelligence artificielle. C’est un petit peu l’originalité de ce que j’avais proposé, c’était d’introduire un système d’émotions à l’intérieur du logiciel et ça marchait très bien et en fait curieusement, si on mettait une dynamique d’émotions à l’intérieur de la machine, elle faisait des raisonnements, je dirais « logiques » automatiquement et elle avait envie d’apprendre, elle faisait de l’apprentissage automatiquement aussi.

DJ – Les robots encore une fois pourront nous remplacer le jour où ils auront éventuellement des émotions. On n’en est pas encore là, quand même ?

PJ – Mais, écoutez, j’ai écrit ça en 1989 donc ce n’est pas très compliqué (Rires). On peut le faire. C’est parce qu’on n’a pas encore eu envie de le faire, mais on peut le faire, on peut le faire facilement. Ça va très très vite, tout ça va très très vite.

DJ – Qu’est-ce qui va détruire le plus d’emplois, je reviens aussi là-dessus pour   Ecorama ? C’est l’intelligence artificielle ? Est-ce que ça va détruire les emplois ou est-ce que … ? Vous l’écrivez, hein : c’est l’informatique de base qui détruit beaucoup d’emplois. Mais justement, ce sera puissance mille avec l’IA.

PJ – L’IA va toucher d’autres personnes. Alors, les sténodactylos, c’est de l’informatique de base. Quand on a fait les logiciels de traitement de texte, c’étaient des bases de données, c’étaient de remplacer des caractères sur un écran, c’était de l’informatique, je dirais, de base, et toutes les sténodactylos ont disparu. Après on a remplacé les gens dans les chaînes d’assemblage avec des robots qui n’étaient pas nécessairement de l’intelligence artificielle. Maintenant, l’intelligence artificielle c’est quoi ? C’est quand on voit qu’un médecin oncologue – qui s’occupe du cancer – qui fait des erreurs de diagnostic de 5% et que le système d’intelligence artificielle, lui, il ne fait des erreurs que d’1%. Alors, on va remplacer rapidement le médecin. Pourquoi ? Parce que les 4% de différence, c’est une souffrance humaine extraordinaire. Et puis surtout, ça coûte très très cher de faire le mauvais diagnostic et de faire le mauvais traitement et ça va intervenir tout de suite. Et là, ce sont des gens qui ont fait parfois dix ans d’études qu’on va remplacer.

DJ – À quel horizon l’IA – l’intelligence artificielle – va détruire massivement des emplois haut de gamme ?

PJ – Haut de gamme là, oui.

DJ – Et quels autres, par exemple, en dehors de l’oncologue qui est quand-même assez frappant?

PJ – Prenons l’exemple des marchés boursiers. Moi j’ai fait partie des gens qui ont remplacé les traders par des systèmes automatiques et on m’avait fait venir parce qu’on croyait que j’allais mettre de l’IA là-dedans. Ce n’était même pas nécessaire. Et maintenant, on peut mettre de l’IA et on peut mettre de l’IA sur à peu près tout. On le met dans la « quincaillerie » des voitures.

DJ – Ça correspond à quoi mettre de l’IA sur les marchés ?

PJ – Eh bien, c’est-à-dire que les raisonnements qui seront faits seront des apprentissages qui seront de type qu’on appelle « boîte noire ». La machine va apprendre à faire les choses. De la même manière que la … on nous avait dit il y a quelques années : le « Go », le jeu de Go, vous savez, une machine ne pourra jamais le faire, un robot ne pourra jamais le faire parce qu’il y a de l’intuition. Alors, la machine maintenant, elle bat tout le monde : tous les champions, elle les bat de dix à zéro etc. Et on a demandé au programmeur : « Vous avez mis de l’intuition là-dedans ? » Il dit : « Non, ça, c’est venu tout seul ». Les grands champions de poker qui ont été battus maintenant par l’intelligence artificielle…

DJ – Donc des millions d’emplois vont être, seront sacrifiés ?

PJ – Oui, bien entendu SAUF, sauf si on a des politiques … Il y a deux possibilités : on fait des politiques pour empêcher de remplacer par des robots. Et d’une certaine manière, en France il y a moins de robots qu’ailleurs, c’est parce qu’il y a une politique : on essaie de garder les gens au boulot. Ça c’est une chose. Je voulais dire une deuxième chose qui ne me revient pas …

DJ – Bon, ça reviendra peut-être tout à l’heure. C’est intéressant, Paul Jorion, parce que vous parliez des marchés financiers. On sort un peu du livre mais j’aimerais avoir votre grille de lecture. On est quasiment dix ans après la crise financière de Lehman Brothers, on est six ans après la crise des dettes souveraines en zone euro, est-ce qu’inévitablement on se rapproche de la prochaine ou pas du tout parce que les banques centrales sont là, les banques sont recapitalisées, on a tiré les leçons, vous en pensez quoi ?

PJ – Regardez ce qui se passe avec l’euro. L’euro n’a pas été réparé après les crises de 2010 et de 2012 et regardez maintenant : il suffit qu’il y ait un gouvernement d’un autre type en Italie pour qu’on prévoie à terme la sortie de l’euro.

DJ – Parce qu’il n’y a pas assez de solidarité ?

PJ – Il n’y a pas de solidarité ! mais bien entendu !

DJ – Erreur consubstantielle, congénitale de l’euro, on a mis une monnaie sans avoir derrière …

PJ – Il y a des morceaux, des morceaux essentiels qu’on n’a pas mis comme la mutualisation de la dette, un ministre des Finances, un budget des finances…

DJ – D’où, encore une fois donc pour vous, chaque jour qui passe on se rapproche d’une prochaine crise, et personne ne sait encore une fois ni quand ni où, enfin d’où elle pourra venir

PJ – Si elle viendra de là, elle viendra de là !

DJ – Oui selon vous, la prochaine crise viendra de l’euro ?

PJ – Probablement, parce qu’on est dans un processus de décomposition. Il faut bien appeler les choses par leur nom : on est dans un processus de décomposition de l’Europe. En France on est passé pas loin quand même ! Alors on a encore un gouvernement, je dirais, de type traditionnel, centriste comme on dit, mais tout autour de nous, il n’y a pas que la Pologne et la Hongrie, il y a l’Autriche avec des gens d’extrême-droite au gouvernement, et maintenant en Italie.

DJ – C’est un pro-européen qui parle ? Vous êtes plutôt pro-européen, vous ?

PJ – Oh oui, moi, tout-à-fait, là tout-à-fait : il faut terminer l’Europe et non seulement il faut terminer l’Europe…

DJ – Et si on ne la termine pas, pour le coup ? La prochaine crise ce sera ?

PJ – Ce sera la disparition de l’euro, oui, bien sûr. Et si l’Italie sort, le système s’effondre. On va dire : « Nous, on va en garder quelques-uns ! ». Non, ce ne sera plus l’euro, non, ce sera une marche-arrière.

DJ – Personne ne parle de la dette, on n’a jamais eu autant de dette dans le monde qu’aujourd’hui. Est-ce que les économies, les marchés sont capables de supporter des taux d’intérêt plus élevés tellement il y a de dette. Parce qu’aujourd’hui avec les taux d’intérêt qui sont bas, on ne sent pas trop, il y a la morphine, on ne sent pas ou alors on est le Japon… L’Europe, les États-Unis comme le Japon avec des taux d’intérêt négatifs ;

PJ – Comme vous le savez, il y a deux raisons pour les taux d’intérêt : il faut que les taux d’intérêt ne bougent pas, qu’ils restent comme ils sont, parce que sinon ça coûte trop cher, les dettes comme on les a maintenant. Et quand on remplace de l’imposition, de la taxation par de l’emprunt, il faudra payer des intérêts là-dessus. Mais vous le savez, un taux d’intérêt, ça monte pour deux raisons possibles : ça monte si l’économie repart et là, on va avoir une catastrophe obligataire si l’économie repart et que les taux remontent. Mais les taux peuvent remonter aussi simplement…

DJ – … parce que les gens ont peur…

PJ – … parce que les gens ont peur : parce qu’on inclut des primes de risque de crédit : que les gens ne rembourseront pas ! Ou, dans le cas de l’Italie : on introduit dans les taux qu’on leur demande, une prime de risque de conversion, c’est-à-dire qu’ils sortent et qu’ils remboursent après en lires, avec une lire qui sera dévaluée, qui reflétera l’état actuel de l’économie et tous les prêts non remboursables de l’Italie.

DJ – Qui a sauvé la zone euro ? « Whatever it takes ! », on se rappelle cette phrase de Mario Draghi en été 2012. C’est les banques centrales comme la BCE qui les ont largement sorties de l’ornière lors de la dernière crise en zone euro. Est-ce qu’elles seront là au-delà de la BCE ou la Fed ? Elles feront de la réassurance, ce sera le prêteur en dernier recours ? Vous ne faites pas confiance, vous, aux banques centrales pour nous aider à sortir de la prochaine crise ? Elles seront toujours là finalement ?

PJ – Oui, mais ça dépend. Tout dépend du rôle que jouent les gens qui sont à la tête des banques centrales parce que si vous vous souvenez bien, quand M. Draghi a pris… en fait il a pris le pouvoir au niveau européen parce qu’il n’y a pas un président de l’Europe, parce qu’il n’y a pas un président de l’euro.

DJ – La nature a horreur du vide !

PJ – La nature a horreur du vide. Vous vous souvenez M. Weidmann à la tête de la Bundesbank, il a dit : « Qu’est-ce que c’est ce coup d’état ? ». Et il avait raison, c’était un coup d’état. Mais c’était un coup d’état…

DJ – … pour le bien commun…

PJ – … pour le bien commun, il l’a fait, mais ce n’est pas dans son rôle, ce n’est pas dans la description de son poste de faire ça ! Il faudrait qu’il y ait quelqu’un à qui ce soit dans la description de son poste de faire ce que Monsieur Draghi a fait cette fois-là. Et imaginons que Draghi soit remplacé par Weidmann et comme Weidmann avait critiqué Draghi quand il l’avait fait, Weidmann ne le fera pas, il ne jouera pas le rôle, il ne s’improvisera pas comme président européen… sauf à se dédire par rapport à la critique qu’il avait faite vis-à-vis de Draghi. Donc : non, il faut qu’il y ait quelqu’un qui ait le droit – voilà : il faut que ce soit inscrit dans les textes – qui ait le droit de dire des choses comme a dit M. Draghi.

DJ – Mais au-delà de la Banque Centrale Européenne, la Fed encore une fois, on se dit qu’elle remonte ses taux d’intérêt, la Fed, elle aura des marges de manœuvre et on fera des QE à l’infini s’il le faut pour relancer la machine et…

PJ – … et aux États-Unis, avec un président qui ne comprend pas du tout comment fonctionne une monnaie…

DJ – On parle de Donald Trump, là.

PJ – De Donald Trump qui dit : « Un déficit ! », alors il ne comprend pas que c’est parce que le dollar est une devise de référence. Il ne comprend pas que c’est pour ça qu’il y a un déficit, que c’est pour ça que les Américains doivent injecter des dollars en achetant quelque chose pour qu’il y ait des pétrodollars pour qu’il y ait des dollars qui circulent. Et ça, il n’y a personne autour. Pourquoi ? Parce qu’il s’entoure de gens absolument incompétents.

DJ – Le déficit américain vient du fait que les Américains vivent au-dessus de leurs moyens.

PJ – Oui, mais nous voulons ça ! Tant que nous achetons du pétrole avec des dollars, il faut qu’il y ait des dollars que les Américains injectent dans le système. Et ça, Trump, il ne le sait pas, et il a M. Navarro à côté de lui qui est un économiste de très bas niveau qui ne le sait pas non plus.

DJ – Mais, je crois, il y a le patron de la Fed qui lui pour le coup sera là lors de la prochaine crise encore une fois pour baisser le taux d’intérêt et pour refaire tourner la planche à billets, refaire des achats d’actifs classiques sur les marchés. Non, vous n’y croyez pas, vous ?

PJ – Eh bien, c’est-à-dire il faudra surtout s’arranger pour qu’il n’y ait pas un président qui puisse virer le président de la Fed quand il lui dit quelque chose qui le dérange !

DJ – Ce sera dans son intérêt, le président américain aura le même intérêt d’éviter une crise en laissant faire le patron de la Fed.

PJ – Oui, mais est-ce que ce bonhomme fait les choses en suivant son intérêt ? Ce n’est pas comme ça qu’il fonctionne, hein !

DJ – Bon, il y a un livre en tout cas. Celui de Paul Jorion vient de sortir chez Fayard. « Défense et illustration du genre humain » Anthropologue, essayiste et ancien trader. Merci, Paul Jorion.

PJ – Merci à vous.

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4 réponses à “Écorama, « La prochaine crise sera celle de la disparition de l’euro ! » alerte Paul Jorion, le 6 juin 2018”

  1. Avatar de Legget Hébert

    Pourquoi les sociétés echouent a resoudre les problemes
    echouent a percevoir les problemes

    1

    un conflit d »interet entre les interets a court terme ddes élites et les interets a long terme de la societe dans son ensemble
    specialement si les elites ont la possibilite de s’isoler des consequences de leurs actions

    elites du monde du business aussi font des choses bonnes pour elles sur le court-terme mais mauvaises pour la société sur le long terme

    2

    conflit impliquant des valeurs fortes
    qui sont positives dans beaucoup de circonstances mais negatives dans d’autres.
    => reticent aux changements
    p.e. Australie
    il est difficile de changer de direction quand les choses qui vous attirent des ennuis sont aussi celles qui font votre force

    Jared Diamond : Pourquoi les sociétés s’effondrent-elles?

  2. Avatar de G L
    G L

    « Nous sommes une espèce versatile, opportuniste et – pire de tout – une espèce colonisatrice qui envahit son environnement, le dévaste et le détruit. »

    C’est pas nouveau et au cours des siècles ça a provoqué des catastrophes entraînant la disparition de civilisations dont nous retrouvons les traces (parfois grandioses, mais personne ne connait le nombre de celles qui ont disparu sans laisser derrière elles des choses aussi visibles que les pyramides d’Egypte ou la Grande Muraille de Chine.)

    Ce qui est différent cette fois c’est que les catastrophes de toutes sortes que nous avons les moyens de provoquer sont d’un niveau qui n’a plus rien à voir avec les catastrophes provoquées dans le passé.

    Nous avons d’énormes difficultés à prendre conscience de notre invraisemblable puissance de destruction.

    1. Avatar de Paul Jorion

      « C’est pas nouveau ». Non : nous sommes nés comme ça.

  3. Avatar de B.M. Jefferson
    B.M. Jefferson

    Il me semble incohérent de consacrer tant d’énergie et de bonne volonté à alerter les consciences de l’absolue nécessité de stopper le train fou qui fonce dans ravin… et penser qu’une dissolution de l’euro et de l’UE irait dans le mauvais sens.

    L’euro est une monnaie inadéquate pour quasi tous les pays de l’UE: une structure politique non démocratique, ingouvernable par définition, qui impose aux démocraties sociales continentales les dogmes néo-libéraux de croissance sans fin.

    Des choix politiques décisifs doivent être faits le plus rapidement possible. L’UE et l’euro sont des obstacles, des moyens de neutralisation du politique, pas la solution. Vous semblez conserver un attachement sentimental envers la construction européenne sans avoir à l’esprit ni son origine, ni les intérêts qu’elle défend.

    Votre livre sur le prix est magistral. Je n’ai pu encore lire votre ouvrage sur l’argent, longtemps indisponible en librairie pour cause de réimpression (plutôt une bonne raison). Et je vous suis à 100% dans vos analyses sur la fin de notre civilisation. Vous n’avez aucune illusion sur l’ »autonomie du politique », cette vieille lune ressassée par les pseudo-historiens de Sciences-po: nos gouvernants n’ont aucune latitude vis-à-vis de la grande banque. Vous pensez vraiment que Goldman Sachs, JP Morgan, BNP-Paribas et la SoGé, la chimie allemande (Bayer-Monsanto…) etc. seront des alliés conséquents pour arrêter la machine folle?

    Autre question, plus théorique:

    Ne pourrait-on pas considérer que la dette publique joue le rôle de l’or dans notre monde post Bretton Woods?

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