Il y a quelques jours, Pierre-Yves Dambrine nous avait offert une ébauche de traduction de l’article du « Quotidien de Pékin » (Beijing Ribao), organe de presse du Comité du Parti communiste de la municipalité de Pékin (plus de 400 000 exemplaires), intitulé « Le capitalisme a toujours été un système instable », du professeur Madame Tong Jin, de l’Institut marxiste de l’Université du Commerce extérieur et de l’Économie. En voici le texte complet. Merci à Pierre-Yves ! Ouvert aux commentaires.
Le capitalisme a toujours été un système instable »
À l’étranger, les chercheurs * de gauche constatent un phénomène de crise du capitalisme contemporain
Le Quotidien de Pékin (Beijing Ribao), 12 février 2018, par Tong Jin
Avec l’apparition puis la persistance de la crise du capitalisme du début du 21ème siècle, les chercheurs de gauche ont analysé les causes profondes et les conséquences du surgissement de la crise à différents niveaux et dans différents domaines, ainsi que la destinée et la direction dans laquelle s’oriente le système capitaliste. Ces analyses de la crise du capitalisme se résument à cinq aspects : la crise du mode de production, la crise de la démocratie, la crise des valeurs, la crise écologique et la crise du système.
Le rétrécissement de la marge de manœuvre
La crise latente du mode de production capitaliste est la contradiction entre socialisation de la production et propriété privée des moyens de production.
Le célèbre penseur anglais, David Harvey, en procédant à l’analyse des contradictions entre formes du capitalisme dans l’espace et le temps et l’expansion du capitalisme, montre que le processus de développement du capitalisme est nécessairement le transfert croissant des contradictions internes vers l’extérieur pour tempérer l’aggravation des contradictions à l’intérieur des pays.
Paul Jorion, le célèbre anthropologue et économiste français (sic), considère que le système capitaliste est dans une situation très périlleuse. Le capitalisme a toujours été un système instable ; la concentration du capital ne cesse d’augmenter, avec pour conséquence ultime, une fin de partie. Or, l’amenuisement des ressources, la fin du colonialisme, la déflation par la dette des économies occidentales, l’irruption de nouveaux compétiteurs, restreignent de plus en plus l’espace disponible pour sa régulation.
Mary Warnock, de Girton College à l’université de Cambridge, dit que « dans l’économie capitaliste, la clé de l’existence des entreprises est l’accroissement des parts de marché, l’extension de la couverture du marché lui-même ; il faut croître ou mourir. » Avec la mondialisation, le domaine ouvert à la régulation du capitalisme s’amenuise. Dans ces conditions toutes les mesures qui ont été utilisées pour vaincre la crise sont vouées avec le temps à perdre de leur efficacité, prises qu’elles sont dans la contradiction entre socialisation de la production et propriété privée des moyens de production.
Une crise de la représentativité démocratique de plus en plus aiguë
Après la crise économique, de nombreux chercheurs de gauche ont procédé à un nouvel examen de la soi-disant démocratie libérale, considérant que la démocratie occidentale est devenue la démocratie d’une minorité, une démocratie de l’argent, une démocratie peu effective.
L’expression formelle ‘un homme, une voix’ ne suffit pas à dissimuler la partialité écrasante des politiques en faveur des intérêts capitalistes. L’effectivité du système ‘un homme, une voix’, est loin d’égaler celle du système ‘un dollar, une voix’, si bien que la crise de la représentativité démocratique est de plus en plus aiguë. Noam Chomsky, célèbre intellectuel de gauche américain, considère que la pré-condition pour réellement influer sur la politique américaine et participer à l’élaboration des politiques, est d’appartenir au groupe minoritaire des 1%. Le groupe des 70 % environ de la population et ses bas revenus a déjà perdu toute influence politique.
Les capitalistes en situation de monopole financent la politique, font des conférences, et effectuent des aller-retour entre Wall Street et le ministère des Finances américain, de sorte que l’objectif du pouvoir en place est de servir le capital. Les capitalistes en situation de monopole peuvent ainsi en même temps jouer les rôles d’arbitre et de sportif. Comme le dit Joseph Stiglitz, célèbre économiste de gauche américain, pour ces hommes riches, dépenser de l’argent pour façonner le processus politique est un investissement : « Ils en attendent (et en obtiennent) un retour. En fin de compte, le fait que la politique soit façonnée sur le mode de la satisfaction des intérêts particuliers, est pour eux chose naturelle. »
La fin du mythe de l’égalité et de la liberté
Dans le sillage de la crise du capitalisme, l’esprit de liberté et d’égalité que proclame avec force la classe capitaliste ne cesse de subir des coups de boutoir, tout particulièrement aussitôt que l’on réfléchit aux causes de la crise, ce qui naturellement fait naître le soupçon quant aux valeurs mêmes que prône le capitalisme.
Ainsi pour David Harvey, la place déterminée qu’occupent indépendance et liberté, les prétendues ‘liberté et égalité’ que proclame l’Amérique, qui se diffuse à travers la bannière de l’hégémonisme, « se sont substituées systématiquement au colonialisme et aux discours plaidant en faveur du néo-colonialisme, elles ont été reconnus comme étant des moyens légitimes de contrôle de nombreux endroits de la planète. Alors que l’Amérique revendique la valeur absolue de liberté et démocratie, elle n’exclut toujours pas le recours à l’usage de la contrainte et de la force. »
La liberté réelle dans la société capitaliste appartient au groupe minoritaire de la classe supérieure, tandis que la plupart des gens n’ont que de faibles revenus et une liberté contrôlée, confinée.
La prétendue égalité s’évanouit dans l’immense écart entre riches et pauvres et la pauvreté intergénérationnelle. Dans un environnement d’économie de marché capitaliste, les acteurs ont le droit d’entrer en concurrence au sein du marché, mais il faut accepter le principe que les participants ne partent pas du même point de départ dans la compétition. Une enquête d’opinion a montré que 61 % des Américains considèrent que le système économique profite aux riches ; seuls 36 % des personnes interrogées, soit 1/3 des Américains, trouvent que le système économique est juste.
La crise des valeurs met fortement en lumière la crise de l’affaiblissement des pays occidentaux. La crise des valeurs de liberté et démocratie, ne peut être atténuée à court-terme, il sera même très difficile de revenir à la situation antérieure dans le cadre des structures existantes.
Le capitalisme vert impraticable
Les chercheurs de gauche pensent qu’avec le système capitaliste le rapport entre l’homme et la nature a été distordu.
Andrew W. Jones du département de sociologie de l’université St. Lawrence (État de New York), considère que la croissance du capitalisme, les problèmes relatifs à la technologie, à la consommation, débouchent ensemble sur le problème environnemental, et que chercher une solution dans le cadre du système capitaliste est donc vain. « Quand la croissance se réduit à l’accumulation du capital, et que dans le même temps on ne réfléchit pas aux exigences qualitatives de la nature ou des humains, la croissance devient un problème. «
Lorsque la société capitaliste utilise de nouvelles techniques, il est question d’incorporer le coût des ressources, mais la ressource écologique ne saurait être intégrée au calcul. Le mode de production capitaliste détermine le fait que la crise écologique ne peut trouver de mode de résolution au sein du capitalisme. Le prétendu capitalisme vert est impraticable.
Richard Smith, dans ses recherches à Londres sur les politiques et le développement, considère que la croissance sur un mode de destruction écologique est un trait inhérent au capitalisme, il ne s’agit donc pas du tout d’un aspect sur lequel les individus puissent avoir un levier. C’est la rentabilisation du capital qui implique nécessairement cela. C’est la raison pour laquelle dans un système capitaliste, écologie et économie ne partagent rien en commun. C’est seulement en dépassant le capitalisme, en cherchant des réponses en-dehors de son modèle, en organisant la production à partir des besoins fondamentaux de l’espèce humaine, en limitant drastiquement la destruction des ressources naturelles, en nous efforçant de réduire la pollution et le gaspillage, que l’on peut résoudre la contradiction entre l’homme et la nature.
L’opulent capitalisme entre dans une crise systémique
Les chercheurs de gauche ont porté leur attention sur les structures propres au capitalisme après avoir d’abord focalisé leur regard sur les contradictions entre ses composantes. A l’arrière-plan de tout cela, ce qui se dégage comme cause fondamentale ce sont les limitations du système capitaliste.
Le célèbre sociologue américain Immanuel Wallerstein, qui avait annoncé une limite supérieure au développement du capitalisme, considère que le système capitaliste, dont la particularité principale est la poursuite infinie de l’accumulation du capital, est entré dans la phase ultime de sa crise structurelle, de sorte que le système va dans les 30 prochaines années atteindre les limites de son développement.
Le sociologue allemand Wolfgang Streeck examine cette crise de l’accumulation du capital sur la longue durée. Il considère que l’avenir du capitalisme (ou son absence d’avenir) concerne plusieurs problèmes de nature systémique : l’inflation ; la réallocation sur le mode de l’oligopole ; les pertes d’actifs publics ; la corruption et l’anarchie mondiale. « Ces quelques problèmes provoqueront l’effondrement du capitalisme dans un long et douloureux processus ».
L’américain d’origine japonaise Kozo Yamamura, considère que les riches pays capitalistes sont d’ores et déjà entrés dans une crise de nature systémique. Ils font face universellement à trois crises : la stagnation et l’anémie de l’économie sur la longue durée ; la très inégale répartition des revenus et des richesses qui génère une perte considérable de vitalité des démocraties capitalistes ; les grandes catastrophes environnementales irréversibles lorsque que l’on se rapproche des seuils. Face à ces difficultés et ces questions, les opérations ‘à l’intérieur du cadre’ en quoi consistent les politiques de réforme, qui s’attachent étroitement au fonctionnement actuel du capitalisme, ne peuvent être efficaces. Il est donc nécessaire de se tourner vers des politiques ‘en-dehors du cadre’ auxquelles s’assimilent les politiques de transformations systémiques.
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* Pierre-Yves Dambrine : j’ai traduit le vocable xuezhe, littéralement en chinois : « ceux qui apprennent », et qui peut se traduire par lettré, érudit, savant, sachant, tantôt par « chercheurs » tantôt par « intellectuels ». Il n’y a aucune traduction vraiment satisfaisante en français. Le mot anglais scholar, plus générique, aurait été plus approprié, mais il n’a pas d’équivalent dans la langue française.
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