Retranscription de Les temps qui sont les nôtres : la gratuité pour l’indispensable. Merci à Marianne Oppitz et Catherine Cappuyns !
Bonjour, nous sommes le 1er avril 2018 et c’est la fête de Pâques. Alors, quelle que soit la signification pour vous de la fête de Pâques, qu’il s’agisse de la Pâque juive, qu’il s’agisse du Nouvel An iranien-persan Norouz, qu’il s’agisse de la Pâque chrétienne : de la mort d’un prophète, – il faut bien le dire, tout à fait remarquable : inventeur avec son complice Paul de Tarse de la réciprocité positive qui est sans doute une des très, très grandes inventions humaines (avec les robots 😉 ) – ou qu’il s’agisse tout simplement comme pour moi, du retour de la lumière et du retour de la végétation ce qui est quand même quelque chose de remarquable et d’appréciable chaque année.
Alors, aujourd’hui, pas de Trump sauf une toute petite remarque, en passant, parce qu’il y a quand même quelque chose de très important qui est en train de se passer et qui est dramatique, tragique. Je ne sais pas, je dis ça sérieusement : je ne sais pas quels mots il faut utiliser. C’est le passage de bonnes opinions à l’égard de Monsieur Trump parmi les Américains : en un mois de 35 % à 42 %, un saut de 7 %. C’est-à-dire quelque chose qu’on a déjà vu ailleurs, à d’autres époques, que Monsieur Trump est un « goût acquis » comme on dit, c’est-à-dire que plus on en prend, plus on aime ça. 35 %, c’est un peu plus qu’un tiers. À 42 %, on se rapproche de la moitié. C’est absolument abominable parce que ça nous rappelle, bien entendu, la montée en puissance de Hitler, c’est à dire le fascisme, le fascisme. Un observateur extérieur dirait – comme moi – que Monsieur Trump pète les plombs de plus en plus et ce serait une observation tout à fait justifiée, mais ça plaît. Apparemment non seulement, ça plaît au public qu’il avait déjà, mais il en acquiert encore d’autres avec des machins comme ce protectionnisme de bazar et ses déclarations dans tous les sens sur tout. Mais, j’ai dit que je n’allais pas vous parler essentiellement de ça parce que j’ai envie de vous parler d’autre chose.
Je vais vous parler d’autre chose, je vais vous parler de la gratuité pour l’indispensable. Alors voilà, pourquoi est-ce que je vous parle de ça ? Je vous ai déjà parlé de ça, c’est un thème qui revient assez souvent dans des chroniques que je fais. J’en ai fait une, c’était à la fin de l’année dernière – si j’ai bon souvenir – sur ce sujet pour la revue, le magazine belge « Trends-Tendances », à l’occasion de la sortie d’un rapport par une équipe de University College à Londres, qui nous propose un projet de service universel de base – bien entendu, calqué sur le revenu universel de base – mais une solution qui, à mon sens, est bien meilleure, bien plus satisfaisante. Elle présente l’avantage de ne pas être naïve. Elle présente l’avantage de ne pas simplement essayer de régler des problèmes de société en donnant aux gens un chèque, ce qui n’est jamais, à mon sens, une bonne approche et, en plus, cerise sur le gâteau, d’après le calcul fait par les Anglais de manière très précise sur les deux budgets séparés – de revenu universel et de service universel – c’est-à-dire : extension de la gratuité à des tas de choses : le logement sous sa forme élémentaire, les transports, le retour à la gratuité pour l’éducation et la santé, le vêtement, le logement, l’alimentation de base et ainsi de suite, ça coûte six fois moins cher que le revenu universel. Pourquoi ça coûte six fois moins cher ? Parce que dans le revenu universel, on dépense des sommes tout à fait considérables à donner de l’argent à des gens qui n’en ont absolument pas besoin et qui vont probablement aller acheter des gadgets avec ça.
Alors, vous le savez, je suis passé – en gros – d’une absence d’opinion sur le revenu universel : un préjugé positif, à une analyse en termes de coûts, de prédation possible de tout type de chèque qu’on donne aux gens, par le milieu de la finance. Je parle là d’expérience. Je sais que les banquiers vont mettre automatiquement en place des comités en disant : « Comment est-ce qu’on va pouvoir piquer ça aux gens s’ils reçoivent tant d’argent en plus ? » Je ne plaisante pas, j’ai vu ça à l’intérieur de grandes banques qui n’étaient pas les pires de toutes, en plus.
Alors, pourquoi je vous parle de ça ? Parce qu’hier, j’étais à Paris : j’étais avec – ce n’est pas bien ce que je fais parce que je viens de me rendre compte tout à coup que je n’ai pas regardé le nom de tout le monde. Il y a des noms dont je me souviens : la présentatrice c’est Maylis Besserie – de France Culture – qui a introduit le débat et qui posait les questions. Il y avait Monsieur Raja Chatila à mon côté – à ma gauche – et puis, il y avait une représentante de l’industrie de la robotique en France dont, malheureusement, je vais devoir mettre le nom en-dessous parce que je ne m’en souviens pas [Catherine Simon, présidente d’Innorobo].
Alors, qu’est-ce qui se passait ? C’était l’enregistrement d’une série d’émissions pour France Culture et, dans les couloirs, j’ai eu l’occasion de voir des gens qui participaient à d’autres tables-rondes, des gens que j’ai l’habitude de croiser et à qui je donne toujours, soit une grosse bise, soit je serre la main, avec enthousiasme. Je pense à Étienne Klein et dans le premier cas, je pense bien sûr, à Cynthia Fleury que j’ai eu l’occasion, aussi, de croiser assez rapidement. Voilà !
Ça me fait penser, quand on parle d’intellectuels, en France, on vous dit des noms comme Michel Onfray, Bernard-Henri Levy, je ne sais pas encore qui d’autre, Finkielkraut et, en fait, il y a vraiment un circuit des intellectuels en France : on rencontre Étienne Klein, Cynthia Fleury, Bernard Stiegler, Annie Lebrun. Des gens qui sont vraiment des intellectuels et pas simplement des polémistes qui brassent du vent dans toutes les directions.
Enfin voilà, ce n’est toujours pas ça que je voulais vous dire. Nous nous sommes retrouvés à cette table-ronde sur l’intelligence artificielle et ses incidences sur l’économie. Et si vous n’étiez pas là, si vous ne faisiez pas partie des 900 personnes qui sont apparues soudain à moi parce qu’on était plongé dans le noir, parce qu’on est ébloui par des projecteurs et parce que vous êtes dans le noir et tout à coup, la lumière s’allume, on baisse les projecteurs et je vous vois là : 900 personnes dans la grande salle de la Sorbonne. Sous la coupole de la Sorbonne qui est quand même une salle assez impressionnante et où il s’est passé dans l’histoire – il faut bien le dire – des choses très importantes. Petit coup de chapeau, en passant, au 50 ans – bientôt – du mouvement de 1968, des événements de 68 dont on me dit : « Ça n’a pas eu lieu qu’en France ! ». Bien entendu, ça n’a pas eu lieu qu’en France : il se passait plein de choses en Allemagne, il se passait plein de choses aux États-Unis, il s’est passé plein de choses partout dans la jeunesse du monde, à ce moment-là. Ce n’est pas un truc, comme ça, en silo. Non, bien entendu, tout ça, on avait entendu parler des hippies quand même, en France, en 68 ! On savait que ça existait aussi ! On savait qu’il y avait des choses du même ordre qui se passaient un peu partout.
Et alors là, voilà, dans ce grand amphithéâtre, on nous a posé des questions sur la robotique, sur l’intelligence artificielle, sur l’impact que cela allait avoir, sur ce qui allait se passer. Et la discussion, elle a débuté bien calmement. J’ai fait quelques remarques sur le fait que l’idée qu’on se fait de l’intelligence artificielle, elle est double : il y a des choses qui sont inventées du côté de l’informatique et que l’on appelle « l’intelligence artificielle », mais aussi, à force d’en faire, une compréhension qui est en train de monter de ce qu’on appelait – et qu’on appelle toujours – « l’intelligence humaine ». Et qu’on est un peu obligé de rabaisser nos prétentions parce qu’on considère que c’est la plus belle chose du monde : l’intelligence humaine. Alors que, quand on a une formation de psychanalyste, on sait que c’est quand même composé essentiellement de choses qui ratent au moment où on essaye de les faire (rires). Et, que quand on analyse un petit peu les processus même de l’intelligence humaine, il y a quand même 99 % de choses qu’on appelle skinnériennes ou pavloviennes : du réflexe simplement conditionné.
Alors, ce qui rend ça particulièrement intelligent à nos yeux, c’est que beaucoup de ces réflexes conditionnés, beaucoup de ces réflexes pavloviens, portent sur des mots. Portent sur des mots et du coup, comme nous entendons prononcés ceux qu’on nous adresse – et que nous entendons prononcés aussi ceux que nous prononçons, nous-mêmes – cela nous paraît la plus belle chose du monde parce qu’essentiellement on ne comprend pas comment ça se fait : on ne comprend pas les mécanismes inconscients qui jouent sur un univers de mots que nous connectons de manière qui nous paraît intelligente. Voilà ! J’ai parlé de tout ça, il y a déjà bien longtemps, dans un livre publié en 1989 : « Principes des systèmes intelligents » et j’ai l’occasion d’en reparler de temps à autre.
Mais, ce qui s’est passé – à mon sens – hier, c’est la chose suivante : c’est que le public nous écoute très gentiment et, si vous étiez là, vous savez que ce que je vais vous dire, ça s’est vraiment passé. C’est la chose suivante ; c’est qu’à un moment donné, je dis quelque chose, justement – on arrive déjà vers la fin, on a épuisé – je dirais – un peu les banalités qu’on peut dire sur l’idée de l’intelligence artificielle – et on commence à s’attaquer au vrai… à la substance, au plat de résistance. On commence à parler revenu universel, gratuité pour l’indispensable, etc. et j’introduis cette idée. D’abord je défends la taxe robot dont mon voisin n’était pas au courant que c’était moi qui avait inventé cette histoire (rires). Et j’ai expliqué que je l’avais appelée plutôt « taxe Sismondi » au départ. Mais j’introduis l’idée de la gratuité pour l’indispensable. Et j’hésite une demi-seconde parce que je sais que voilà… il y a des gens qui n’aiment pas du tout ce mot, ils y sont vraiment allergiques, le mot de « Maximilien Robespierre ». Mais je parle quand même de son discours sur les subsistances et sur le fait qu’il a dit que la vie, c’est le seul bien que nous avons et que le minimum que nous pourrions faire, c’est d’assurer la subsistance de tout le monde autour de nous et que le moyen ce n’est pas de distribuer des billets mais c’est d’assurer la gratuité pour l’indispensable.
Et là, honnêtement, je vais vous dire, ça m’a ému, ça m’a un peu désarçonné : les gens qui ont dû me voir – et si la caméra à ce moment-là était sur mon visage, ça se verra aussi – il y a des applaudissements qui commencent dans la salle et ce n’est pas simplement des applaudissements, c’est une ovation. Qu’est-ce qui fait la différence entre une ovation et des applaudissements, c’est qu’il y a des cris aussi ! Il n’y a pas simplement les mains qui se rencontrent. Ce ne sont pas des cris de haine comme quand on chahute. Les gens ajoutent quelque chose, ils applaudissent mais ils disent aussi quelque chose. Et je n’ai pas pu m’empêcher de lever le bras pour saluer la salle que je ne voyais pas, à ce moment-là. Quand je suis revenu sur le sujet, il y a eu de nouveau une ovation. Et, il y en a eu une troisième, ça c’est amusant, c’est quand ma voisine, la dame qui représentait l’industrie des robots, a repris ce thème de la gratuité. Là aussi, le public a aimé ça. Et, après, dans le couloir, cette dame – dont je mentionnerai le nom – m’a pris à part pour dire : « Je ne connaissais pas cette idée, je n’y avais jamais pensé, mais c’est formidable ! ». Et, ça, ça m’a fait plaisir aussi. C’est pour ça que je suis particulièrement triste de ne pas me souvenir de son nom.
Et, c’est ça : cette idée vous plaît ! Je l’ai déjà lancée sur le blog et ça a fait un grand bruit (rires) : un grand bruit de pavé tombé dans l’eau, et la surface s’est refermée aussitôt. Mais l’idée a l’air de faire son chemin puisque… on est quoi ? On est 2 ans, 1 an plus tard du fait que j’en ai parlé pour la première fois. J’en ai parlé longuement dans ce manifeste que j’ai fait à la demande de Solidaris que je vais résumer comme étant l’aile gauche du parti socialiste en Belgique. Un long chapitre consacré à la gratuité pour l’indispensable. C’est très bien tombé – de mon point de vue – qu’au moment où j’ai commencé vraiment à parler de ça sérieusement, qu’il y a eu cette étude tout à fait chiffrée faite au Royaume-Uni, en Grande-Bretagne, sur combien ça coûterait la gratuité pour l’indispensable – service de base universel – par rapport au revenu universel de base. De voir que ça coûte 6 fois moins cher, que ça représente 2 points de PIB pour la Grande-Bretagne – le Royaume-Uni – ce qui est tout à fait de l’ordre de l’abordable. Alors que le 6 fois plus, le [13 %], ça n’a pas de sens. On ne peut pas dégager [13 %] comme ça de l’économie d’un pays comme la Grande-Bretagne pour distribuer des chèques aux gens. Comme je vous le dis, dès qu’on l’analyse un peu, cette idée est extrêmement naïve. Il y a des tas de choses auxquelles on ne pense pas : la prédation extérieure, le reproche qui pourrait être fait que les gens iront « boire leur paye » et ainsi de suite, enfin, il ne faut pas donner des chèques aux gens : il y a trop de rapaces qui tournent autour. Mais assurer la gratuité, comme on a essayé de le faire à une époque, et où il faudrait absolument y revenir comme sur la santé et l’éducation. Il faut absolument revenir à ça ! Dès qu’on sort de ça, on voit baisser l’espérance de vie. On voit les inégalités, la concentration de la richesse, accompagner le fait que les élites envoient leurs enfants dans des écoles de bonne qualité et que les autres peuvent se brosser. Bon, mettre tout le monde à l’école maternelle en même temps, c’est une bonne idée. Je signale ça en passant. Encore qu’il ne faudrait pas remonter trop haut : il ne faut pas mettre les enfants à l’école quand ils ne peuvent même pas entendre ce qu’on leur raconte !
La gratuité sur l’indispensable : une idée qui monte ! C’est de ça que je voulais vous parler. Je voulais vous parler du plaisir, de la joie qui a été la mienne de vous voir, vous qui étiez là dans la grande salle de la Sorbonne – lieu prestigieux – et qui m’avez manifesté que vous aimiez ça et que c’est une idée que vous alliez vous-même répandre de votre côté.
Allez, j’espère qu’on ira loin de ce côté-là, c’est une idée neuve qui date de quoi ? de 1791, 92, 93 ? Enfin, je ne sais plus exactement [1792] mais, voilà, les idées neuves, il faut qu’on en tire parti : le temps presse. Le temps presse ! Allez, à bientôt et Joyeuses Pâques.
@Garorock Rebelle à qui ?