Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Je suis né en 1961. Je suis informaticien. En 2000 je travaillais dans un grand groupe de communication (Lagardère pour ne pas le citer), à Nice, chez Nice-Matin qui appartenait à Hachette comme directeur de la filiale Internet. Un an + tard, j’ai rencontré le directeur d’Accenture à Sophia-Antipolis et très vite il m’a proposé de prendre la présidence d’une association qu’il avait fondée. C’est ainsi que je me suis retrouvé Président de « Créer ma Deuxième Vie », une association loi 1901 classique, dont le but était d’accompagner des cadres en vacances d’emploi. Et il y en avait des dizaines à la suite de l’explosion de la bulle Internet.
J’avais 40 ans, un bon job, une femme, un enfant, vivais dans le luxe,… Pour moi le mot retraite n’avais aucun sens, aucune signification… et tout à coup, je m’occupais deux fois par semaine de quinquas qui avaient été lourdés et dont certains étaient vraiment en piteux état.
J’ai pris ce « job » de président à cœur ! J’ai mis en place un bureau : un secrétaire, Patrick, un ex de Thales, Art & Métiers, un trésorier… et un plan d’action. Au début, il y avait 10 personnes aux réunions de l’asso. Puis 20. Puis 35. Puis j’ai été obligé de « louer » un amphithéâtre à Sophia pour organiser des réunions de + 100 personnes.
J’avais deux credo : le premier c’était de dire que la retraite = débandade, sic, retraite = repli, retraite = recul… bref que retraite = négatif… qu’on avait tous une deuxième vie aussi longue que la première ! à 40 ans on a 40 ans à vivre, non, etc. Le second c’était l’Apéro avec un grand A. Avec ma voiture de fonction et les cotisations (40 euros à l’année) des membres, j’achetais et transportais aux réunions des « tonnes » de cacahuètes, chips, saucissons, Coca, bières et bien sûr du pinard et des alcools.
Pendant deux ans l’asso tournait à bloc. Je passais à la radio, TV, of course dans Nice-Matin, on faisait plein d’actions… Bref c’était sympa !
Soudain, le PDG de Nice-Matin me dit : on va vendre la filiale Internet à Monaco Telecom et tu pars avec. Et là, illico, je lui dis : NON ! S’ensuit une période où je me « frite » grave avec la DG, en particulier le directeur informatique, les « huiles » et in fine je négocie un joli petit chèque et je me casse !
J’ai 42 balais, mon chèque, mes Assedic pendant 24 mois. Je décide i) faire du vélo et ii) faire un bébé. Et là, iii ) je me dis « Fred tu ne prendras jamais de retraite !! ». JAMAIS ! Tu bosseras jusqu’au dernier jour ! Et pour acter encore mieux ma détermination : tu ne cotiseras plus pour ta retraite. Bref tu fais tout pour ne pas avoir de retraite.
Aujourd’hui, j’ai 57 ans, et objectivement, j’ai réussi mon pari.
Pendant 15 ans j’ai « bricolé » dans des start-up. Quand ma fille Zoé – vie en grec – est née en février 2003, je me dis : ton nouveau job = Zoé. Évidemment je quitte « ma vie de luxe» au Majestic, résidence high-level sur les hauteurs de Nice chemin de Terron, je bazarde ma bagnole, je loue un trois pièces de 60 m2 en hyper-centre à Nice (900 € loyer). Pas de télé, j’ai Zoé en full time, 24/7, ma femme quitte son job de manager dans la grande distribution pour rejoindre une association qui s’occupe de la réinsertion pro des personnes au RMI.
On a maintenant 1500 €/mois, 900 € de loyer, on bouffe avec 100€/semaine. Plus de resto, plus de superflu. Plus d’amis ! Forcément j’ai plus de Cayenne ! Je voyage en bus – une première pour moi – on est 5 jours sur 7 à la bibliothèque de Nice, on loue gratos des vidéos, on se promène dans des parcs, des jardins, en été on est sur les galets de la Prom’ qui est devenue notre piscine, bref je passe ma journée à jouer avec Zoé, à faire de la cuisine, à lire et du vélo (on fera même en 10 jours Nice-La Baule, par Dax, +1400Km, moi en vélo, ma femme et Zoé en voiture).
Un jour, le téléphone sonne, le directeur de l’école de Zoé veut me parler !!!??? Il a quelque chose de très important à me dire et me prie urgemment de passer le voir. Je flippe grave !!! Le lendemain, et après une nuit agitée, je suis devant le type : Monsieur, vous savez, ça fait 30 ans que je suis dans l’Éducation Nationale, j’en ai vu passer des élèves,… blabla, blabla… et moi suis là devant lui, j’attends, j’attends qu’il lâche sa pastille Valda…. oui, oui, j’en ai vu passer des élèves, mais comme Zoé, jamais ! Les bras m’en tombent ! Je suis stupéfait. En fait, il m’a fait venir pour me dire que ma fille est vraiment, mais alors vraiment exceptionnelle, et blabla, blabla, qu’il faut la passer en classe supérieure,… je me lève et je me casse !… Il m’apprend rien ce con !
Je ne pense pas que Zoé soit exceptionnelle. Elle a tout simplement été désirée – elle se prénomme d’ailleurs Zoé Carlotta Désirée – elle n’a pas eu de télé pendant les 10 premières années de sa vie, ni de DS, ni de Nitendo – uniquement des livres- elle était avec son père 24/7 qui jouait avec elle et avait une maman attentionnée, douce, aimante.
En 2014 on a plus un rond ! Je deviens auto-entrepreneur. Je me forme sur un new framework américain, un CRM Cloud SaaS, Zoho en l’occurrence, et deviens un expert en Deluge (une sorte de lphp) ; et je bricole, par ci par là, pour ramener des clopinettes. Et of-course mes cotisations retraites tangentes toujours à zéro.
En 2018, ma fille à 15 ans, elle est en seconde : je ne m’occupe jamais de ses devoirs, sa mère idem, elle parle couramment l’anglais et l’allemand ! Elle veut être diplomate. So what ma chérie, c’est toi qui décide. C’est ta vie, ma chérie, …. je lui lance pour la 1 548 474 fois : sois le maître et le sculpteur de toi-même, on ne nait pas femme on le devient… l’excellence (pas la perfection) … Et ! une chose est sûre, mon amour, tu le sais, je ne pourrai pas te payer une Prépa. Bref fait ce que tu as envie ! Voyage….
En 2020, elle sera ou pas à Science Po. Ce n’est pas cardinal pour moi.
En 2023 Zoé aura 20 ans moi 62 ; elle sera à Paris, San Francisco, Londres ou Berlin, moi je serai toujours à Nice dans mon petit 3 pièces, devant ma bécane, en train de développer du code pour des start-up et des TPE pour récolter un peu de fric.
En 2033 Zoé aura 30 ans. Elle sera diplomate, manager, je ne sais pas…. elle ne sera plus avec nous,… j’aurai 72 ans – je banderai comme un foulard au vent – ma femme aura 66 ans, on vivra dans un petit studio 100% meublé IKEA avec des clopinettes. Je développerai toujours du code informatique, je transmettrai mes connaissances CRM, ma femme sera active dans une association.
Ma fille nous filera un petit billet pour boucler nos fins de mois. Sinon, de temps en temps, je chaparderai à Carrefour un bon bifteck si besoin… bref on ne sera pas à la retraite !
Je mourrai le 3 janvier 2052 à 7h42. Sans un rond ! Sans mobilier ! Sans immobilier ! Sans avoir préparé mes obsèques.
La veille je terminais un petit code informatique qui ne servait à rien.
Sur ma table de chevet : un livre de Cioran. De l’inconvénient d’être né.
Rideau !
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