Retranscription de Le temps qu’il fait le 12 janvier 2018. Merci à Catherine Cappuyns et Marianne Oppitz !
Bonjour, nous sommes le vendredi 12 janvier 2018 et aujourd’hui je vais vous parler d’un sujet : je vais vous parler de la vieillesse et de ses inconvénients. Mais alors là, vous me connaissez, si vous regardez un peu ces vidéos (rires) le vendredi, vous savez que si je parle d’un sujet sérieux, je n’en parlerai pas sérieusement.
Il y a quelques années, René Thom, le mathématicien dont le grand public a entendu parler par sa théorie des catastrophes – il ne s’agissait pas de catastrophes au sens où on l’entend : raz de marée, incendies etc. il s’agissait des modèles élémentaires de catastrophes en mathématiques – et René Thom était quelqu’un qui connaissait très bien la philosophie d’Aristote et ça lui donnait envie de temps en temps d’entrer dans des sujets un peu philosophiques mais de les traiter à sa façon en tant que mathématicien et en tant que mathématicien facétieux. Et alors, il avait une théorie sur l’immortalité qui était intéressante, c’était la théorie suivante : c’est que nous sommes tous en réalité immortels. Pour la raison suivante, c’est que notre perception du temps selon lui était liée à la vitesse de notre métabolisme, à la manière dont notre corps traite les différentes humeurs qui circulent à l’intérieur. Les « humeurs » au sens où on en parlait de cette manière-là au Moyen Age, d’un certain nombre de fluides – on appellera ça des hormones, on appellera ça le sang, etc. – à l’intérieur de notre corps. Il disait la chose suivante, c’est que le métabolisme ralentit – mais ça on le sait – avec le temps qui passe, avec l’âge. Le corps réagit de plus en plus paresseusement aux événements à l’intérieur de lui-même, qu’il s’agisse d’agressions par des microbes, ou d’autres éléments.
Et il disait : « notre perception du temps est liée à cela et plus le métabolisme ralentit, plus le temps nous paraît long ». Si bien que l’on pourrait imaginer que nous soyons dans notre dernière journée – à l’article de la mort comme on dit – et notre métabolisme ralentit de plus en plus et le temps que nous percevons en tant qu’individus nous paraît du coup de plus en plus long. Si bien que – subjectivement, de notre point de vue – la dernière minute nous paraîtra être une année, les dernières trente secondes nous paraîtront être un siècle et la dernière seconde correspondra pour nous au sentiment de l’éternité. Voilà. Donc, l’immortalité, il ne faut pas s’inquiéter, il ne faut pas demander aux transhumanistes de s’en occuper, ça nous viendra automatiquement.
Et ce M. Naftali Tishby dont je vous ai déjà parlé parce que c’est la personne qui a compris ce qui se passe réellement dans un réseau artificiel de neurones : un réseau neuronal artificiel. C’est lui qui a compris ce qui se passait, c’est-à-dire que dans la transformation d’informations extérieures qui contiennent plein d’informations et le diagnostic que nous on pose, de dire en voyant le chien : « eh bien, c’est un chien », c’est un processus de compression de l’information, d’élimination des éléments qui sont accessoires et qui nous permet finalement – avec toute cette information qui est la perception d’un chien à côté de nous – que ça débouche sur une seule étiquette qui dit : « chien » dans notre tête. Et j’ai vu et je ne l’ai pas encore lu parce que j’y ai pensé seulement à l’instant même (rires), un article de M. Tishby sur la perception du temps. Et sa perception du temps – individuelle : perception personnelle individuelle du temps – et son interprétation n’est pas dans les termes de métabolisme comme le disait René Thom : c’est en termes de l’information que nous devons traiter. Ça va me permettre de vous faire une petite réflexion sur la vieillesse et le système des retraites.
Moi j’ai vu, dans ma vie, j’ai vu mon père devoir prendre sa retraite qu’il avait repoussée le plus possible – avec des dérogations et des machins comme ça mais obligé de le faire – et se retrouver tomber dans une profonde dépression à la suite de cela. Il s’était dit qu’il allait peindre parce qu’il était un peintre du dimanche et il faisait ça finalement pas mal du tout mais ça ne l’a pas occupé suffisamment. Çà n’a pas retenu suffisamment son attention pour que voilà, pour que sa vie ancienne trépidante de professeur d’université, haut fonctionnaire, conseiller juridique sur des trucs particuliers etc. etc. ça lui plaisait, voilà, il avait la chance de faire un métier qui lui plaisait : d’enseigner, de s’occuper de la gestion des affaires, d’être parfois dans des cabinets ministériels. C’était son truc.
C’était son truc. Alors, moi je me suis dit, je me suis dit quand j’ai vu ça, j’ai dit : « Oh là là, pas pour moi, pas pour moi. Je n’ai pas l’intention de faire ça ! ». Alors, comment est-ce qu’il faut faire ? Et là, je vais vous donner quand même un conseil. C’est très simple : il faut s’arranger pour ne pas avoir une retraite quand on atteint l’âge de la retraite, pour qu’il n’y ait pas d’argent qui tombe automatiquement et pour ça, il faut, il faut aller dans un très grand nombre de pays, il faut se faire virer de la quasi-totalité de ses emplois. Je crois que j’ai quitté, oui, j’ai quitté un emploi volontairement sur les treize ou quatorze (rires) que j’ai eus. Pour les autres, j’ai été viré. Et tout cela fait que finalement, à l’arrivée, vous n’avez pas de retraite et que vous êtes obligé de continuer à travailler, c’est-à-dire d’essayer de faire rentrer de l’argent.
Je vous le recommande ! En plus ça va arranger nos affaires, puisque les régimes de retraite sont de plus en plus dépendants d’argent qui ne rentre plus. Non pas parce que nous ne sommes pas riches, bien entendu, mais parce que l’argent, on décide plutôt de le donner aux gens qui sont déjà extrêmement riches. Regardez ce que vient de faire Monsieur Trump aux États-Unis.
Il a perdu au passage sa base populiste parce qu’ils ont l’impression d’avoir été – si vous me permettez l’expression – cocufiés ou entubés, comme vous voulez, et du coup ces gens-là s’intéressent un peu plus à ce que peuvent dire des gens comme Bernie Sanders, ce qui n’est pas du populisme ! Bon, c’est quelqu’un qui parle au nom du peuple, mais ce n’est pas du populisme. Il n’y a pas de théorie du complot etc. etc.
Bon, mais ça me fait dérailler un peu de ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire, bien entendu, c’est une plaisanterie. Je n’ai pas décidé, bien sûr, de saboter ma carrière délibérément (rires) de façon à ne pas avoir de retraite mais j’ai le sentiment, j’ai le sentiment que le temps presse. Et j’ai de plus en plus ce sentiment que le temps presse, parce que, bien entendu, il faut être raisonnable, l’immortalité pratique – sur le plan pratique – ça n’aura pas lieu de mon vivant et donc il faut allouer le temps de la meilleure manière et comme je viens de le faire, vous le voyez, à l’instant : je vous ai parlé de choses très importantes sur le très long terme de l’espèce humaine et en même temps, je n’ai pas pu m’empêcher de vous glisser un petit truc sur l’actualité (rires) de Monsieur Trump.
Comment faire ? J’ai pensé, vous l’avez compris déjà, ces vidéos je vais les faire autrement : je vais les consacrer soit, peut-être, à des trucs d’actualité, soit à des choses de plus long terme qui me paraissent plus importantes et du coup je ne sais pas du tout – je vous l’ai dit la semaine dernière – si j’en ferai du coup plus ou moins mais ce ne sera pas sur une base hebdomadaire.
Alors, pour être sérieux sur cette histoire de mortalité et d’immortalité – en tout cas le sentiment qu’on a de l’être – ce qui est quand même, je dirais, peut-être une leçon sérieuse dans ce que je viens de dire, ce n’est pas d’essayer délibérément de ne pas avoir un plan de retraite, mais c’est d’utiliser au mieux le temps entre ces deux pressions qui sont les nôtres. Qui sont que nous avons, que nous vivons bien entendu dans le court terme, dans le moment que l’on appelle le moment présent, et où nous savons – ce sont les enseignements de la psychanalyse il y a une centaine d’années et confirmés au fil des années par la psychologie. C’est une chose qu’il faut noter quand même : quand la psychologie a évolué depuis disons 1900 – la date de parution de « La science des rêves », de l’interprétation des rêves, « Traumdeutung » de Freud – et maintenant la psychologie n’a pas trouvé d’erreurs – il faut bien le savoir – dans la psychanalyse, elle n’a trouvé que des confirmations et elle le fait à son rythme et elle le fait aussi en niant le fait qu’elle retrouve ce que la psychanalyse a déjà dit, bien entendu, parce qu’on ne peut pas se déjuger. Si un jour on retrouve le modèle de formation des prix d’Aristote, plutôt que l’offre et la demande, je vous assure qu’on dira qu’on l’a toujours su et que personne n’a jamais dit autre chose (rires). Ça, c’est garanti de ma part. Enfin, voilà !
Mais ce qui est important à faire, c’est d’utiliser le fait que nous avons deux déterminations à l’intérieur de nous-même : la détermination à court terme qui nous vient essentiellement de l’inconscient et les décisions sont prises de manière inconsciente, et j’insiste toujours sur cette découverte de Libet qui nous montre que cette idée d’une intention de faire maintenant quelque chose, eh bien, elle nous vient après que notre corps en mouvement a déjà initié la démarche. Nous sommes avertis après-coup de ça. Mais ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas aussi prendre des décisions sur le long terme. Comme l’exemple que je donne toujours : c’est aller chez le médecin la semaine prochaine. Oui, on arrive à faire ça. Même sans agenda, on arrive à se souvenir. Pourquoi ? Parce qu’on se crée délibérément un souci, le souci de devoir aller chez le médecin à la date prévue et de ne pas être en retard et ainsi de suite. C’est un souci que nous écrivons, que nous inscrivons, à l’intérieur de notre mémoire et il y a un gradient, comme disent les physiciens. Il y a quelque chose qui va nous entraîner dans la bonne direction pour qu’on arrive à le faire.
Et là, – je vais terminer par ça, je vais essayer de ne pas faire trop long aujourd’hui – mais je ne sais pas encore combien de temps je vais consacrer à ce sujet-là : il y a un choix à faire dans nos sociétés, il y a un choix à faire entre ce que nous laissons au spontané de la décision immédiate et ce que nous attribuons à la délibération. Et là nous avons inventé quand même une excellente méthode, deux excellentes méthodes : une qui s’appelle la rationalité – qui est d’utiliser des syllogismes pour arriver à des conclusions qu’on ne connaissait pas déjà – et de produire un discours qu’on appelle « la science » sur un mode axiomatique, de produire des démonstrations, en vérifiant dans le monde si ces démonstrations correspondent à des choses qui existent véritablement. Et donc nous avons un choix à faire, à tout moment, entre « est-ce qu’on va s’occuper de telle chose ? Est-ce qu’on va laisser la spontanéité, l’intuition s’occuper de ces décisions-là ? » ou bien : « est-ce qu’on va permettre à la délibération de prendre la décision et d’agir en fonction de ça – à partir d’une analyse de la situation, à partir de raisonnements qui sont faits à l’aide de la méthode scientifique où le syllogisme est un élément essentiel ? ». Hypothético-déductif dit-on à ce sujet, avec une partie inductive qui consiste à trouver que tous les chiens, il faut les mettre dans la catégorie des « chiens ».
Alors, vous le savez, nous avons deux grands systèmes politiques. Deux grands systèmes politiques : l’un qui met l’accent total sur la spontanéité, sur le laissez-faire : il faut que les institutions spontanées – comme la propriété privée – prennent le dessus sur les institutions qui sont le résultat de notre délibération, de nos calculs – comme l’État et ainsi de suite. Et ça, de ce côté-là, l’accent mis sur la spontanéité, sur le fait que si on ne réfléchit pas à quelque chose, eh bien, c’est beaucoup mieux. La main invisible d’Adam Smith : que chacun poursuive son intérêt bien compris et tout marchera très très bien, c’est bien entendu l’ultralibéralisme.
A l’autre bout : ne pas faire confiance du tout à la spontanéité, faire tout dans la réflexion, par le calcul, la démonstration. Ne rien faire qui ne soit pas la conséquence d’un plan qu’on a bien établi à l’avance et à ce bout-là, on a le communisme de type soviétique.
Alors, notre difficulté à nous, chers amis, vous le savez, c’est de trouver une voie moyenne entre ça.
Et ça, là, on retombe toujours sur cet ami Aristote dont je viens de parler : de trouver le juste milieu. Le juste milieu entre le trop de spontanéité et le trop de réflexion et le moment est venu que nous trouvions une méthode, que nous continuions à réfléchir sur quel est le meilleur moyen d’utiliser ça. Est-ce qu’il n’y a pas un moyen d’optimiser nos ressources intellectuelles entre le spontané et le délibéré, entre le trop spontané et le trop délibéré.
Alors, eh bien oui, je réfléchis là-dessus, j’en ai déjà parlé ailleurs. Je vais mettre ça soigneusement – ce que j’en pense – dans la conclusion de Qui étions-nous ?, le livre auquel je mets la dernière main, où je fais les dernières retouches. Et voilà. Je vais continuer de vous tenir au courant de ce qui se passe dans ma tête d’une manière, à un rythme, de plus en plus précipité ! Voilà. Allez, à bientôt !
Paul, Je n’ai vu de ce film, il y a longtemps, que ce passage (au début du film, je crois)…