Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Bienvenus en Absurdistan ! Le monde magique où la richesse ruisselle vers le haut, où les impôts sont dégressifs, où le précariat remplace le salariat et où, fort logiquement, les pauvres sont stigmatisés.
Ici, demain n’existe pas ! Peu importe si le prix à payer pour la jouissance immédiate et sans entrave des dominants passe par la destruction de nos sociétés et de l’avenir de nos enfants. Et MM. Trump et Macron, chacun dans une couleur locale dictée par l’imaginaire national, représentent formidablement l’immense régression qu’ont connue les démocraties libérales depuis les débuts de la contre-révolution des ‘élites’. L’un s’appuyant sur le mirage du self-made man, du pays de tous les possibles, l’autre sur une incarnation d’une néo-royauté de carton-pâte. Mais tous deux par une politique mettant l’État au service des plus riches. Difficile dans ce cadre de décider quel est le plus cynique : celui qui parle et agit brutalement en transformant le bureau ovale en un reality-show permanent, ou celui qui tente de cacher sa brutalité et son mépris de ceux-qui-ne-sont-rien sous les grands principes républicains ?
Et il n’y a pas qu’en France et aux États-Unis où toutes les images pieuses vendues par le néolibéralisme s’effondrent une à une. L’Allemagne hier encore citée en exemple, ne peut plus dissimuler les fissures de sa société : le parti d’extrême-droite AfD fait son entrée au Parlement, pendant que la Chancelière Merkel court après une coalition improbable et que le fameux consensus allemand est mis à mal par les menaces de grève du puissant syndicat IG Metall.
Même le Saint des saints de la démocratie libérale, le fameux modèle scandinave, ne parvient plus à contenir l’effondrement démocratique. Ainsi en va-t-il de la Norvège qui autorise l’exploitation pétrolière en arctique pendant que sa justice condamne – tant qu’à faire – Greenpeace et les autres plaignants déboutés à rembourser près de 60.000 euros de frais judiciaires à l’État.
Maintenant, il est permis de douter que la culpabilisation et la stigmatisation des pauvres suffiront à maintenir la paix sociale dans ce monde néo-féodal où le travail précarisé devient la norme. Sans doute assisterons-nous alors à une autre phase de la globalisation, celle qui verra se rapprocher jusqu’à se confondre, les différents régimes politiques sévissant actuellement. Le mariage en quelque sorte de la NSA étasunienne avec la société de surveillance chinoise, où la police peut retrouver un individu dans une mégalopole de plusieurs millions d’habitants… en sept petites minutes !
Mais pour que cette suave dictature fonctionne, encore faut-il que les gens soient convaincus qu’ils ont plus à perdre collectivement et individuellement à se révolter plutôt qu’à se soumettre. Car s’il est envisageable, et même nécessaire, de réprimer sans réserve certaines minorités servant de victimes expiatoires, le maintien coller-serrer de la majorité demande un maniement subtil de la carotte et du bâton. Et les exemples concrets se multiplient, certes par petites touches impressionnistes, mais dont le tableau au final révèlera les barreaux de la cage.
Ainsi la baisse de 5 euros des APL a-t-elle, entre autres fonctions, de faire comprendre aux bénéficiaires que leurs droits peuvent être remis en cause à tout moment. Remise en cause à relier à l’inflation de normes et de lois de plus en plus difficiles à respecter pour une part croissante de la population, non pas par incivisme mais par faute de revenus. Ainsi, alors que la Sécurité routière estime à 600.000 le nombre de conducteurs sans permis et à 700.000 ceux qui n’ont pas d’assurance, un nouveau contrôle technique automobile, plus cher, fréquent et contraignant, va-t-il entrer en application dès le 20 mai prochain. Il impactera principalement les plus démunis des conducteurs, ceux vivant hors des grandes agglomérations – rurbains et banlieusards – et obligés faute de transports en communs fiables et pratiques, à de longs trajets quotidiens à bord de véhicules âgés et diésélisés pour se rendre sur leur lieu de travail. On peut donc aisément imaginer qu’à la cohorte des sans-permis ni assurance, se joindront prochainement les sans-contrôle technique…
On peut également imaginer que des dirigeants prouvant tous les jours par leurs décisions politiques le peu d’importance qu’ils attachent à l’avenir de l’espèce, se moquent de la sécurité routière comme de leur premier million d’euros ou de dollars ! Que le véritable objectif est de faire vivre les gens – comme aiment à le rappeler les DRH – en dehors de leur zone de confort. Et quelle meilleure assurance pour obtenir l’obéissance, que de faire peser sur le précariat de « la start-up Nation » de constantes épées de Damoclès ?
Ne restera pour rendre ce modèle de « civilisation » parfaitement opératoire, qu’à rendre indispensable à la survie d’une majorité le revenu universel versé par un État privatisé. Vous n’êtes pas un premier de cordée ? Vous êtes trop bête et trop fainéant pour devenir milliardaires ? Vous vivez aux crochets de la collectivité en profitant de la générosité de l’État et de son revenu universel ? Alors le moins que vous puissiez faire est de vous tenir tranquille ! N’oubliez pas qu’au moindre écart nous avons les moyens de vous tuer socialement et de vous jeter à la rue !
Et ce qui est magique en Absurdistan c’est qu’il n’est nul besoin de théories du complot pour en arriver là, il suffit de poursuivre simplement les logiques actuellement à l’œuvre.
Einstein disait de l’espèce humaine que son destin sera celui qu’elle aura mérité. Pas mieux.
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