Je m’amuse un peu en examinant sur un mode sérieux une hypothèse assez fantaisiste mais je voudrais être certain que mon analyse tienne la route dans la comparaison homme/machine. Merci d’avance aux informaticiens pour leurs observations ! Ouvert aux commentaires.
De manière paradoxale sans doute pour des personnes s’affirmant matérialistes et se conduisant en tout point comme si elles l’étaient, les transhumanistes semblent convaincus de l’existence d’une instance semblable à une âme, susceptible d’exister en ayant comme support un autre corps que celui d’origine, corps naturel ou synthétique, voire même indépendamment de tout support matériel, en tant que base de données, autrement dit en tant qu’information stockée.
Cette conviction procède d’une analogie non-formulée assimilant le corps à la « quincaillerie » (hardware) d’un ordinateur, et la conscience humaine à un logiciel (software). Et de même qu’un logiciel peut être conçu en vue de fonctionner sur différentes machines par l’intermédiaire d’un système d’exploitation ad hoc, la conscience humaine est représentée par les transhumanistes comme un logiciel « multiplate-forme », l’expression « plate-forme » renvoyant à la combinaison d’une quincaillerie et d’un système d’exploitation.
Une telle hypothèse en suppose implicitement d’autres qui sont ses présupposés. Par exemple qu’une personne s’assimile à son sentiment d’exercer sa volonté et que sa conscience est l’organe de cette volonté. Et aussi que le cerveau seul dans le corps est le support (quincaillerie) de la conscience. Autre hypothèse impliquée enfin, que le cerveau siège de la conscience peut être représenté de façon complète comme une base de données contenant l’information moléculaire entière des neurones constituant le cerveau.
Ce dernier présupposé a pour implication qu’une personne pourrait être stockée indéfiniment en tant que somme d’informations sous la forme d’un disque électronique, disque dur ou CD, jusqu’à sa résurrection, tout comme sa tête cryogénisée, dont elle serait le strict équivalent quant à leur capacité à l’une et à l’autre de constituer cette personne.
Notons qu’une base de données n’offre encore que la garantie d’être une mémoire et non pas un logiciel mobilisant l’information stockée pour tel ou tel usage propre. Autre hypothèse présupposée donc, que le corps, en tant qu’entité distincte de la tête, contienne toute les instructions nécessaires à constituer une personne identifiée à sa conscience à partir de l’information stockée dans les neurones de son cerveau. À moins bien entendu de supposer que celui-ci contienne à la fois une mémoire et l’ensemble des instructions relatives à l’utilisation d’une mémoire dans la manière dont opère une conscience. Si la reconnexion d’une tête conservée à un corps donneur ne poserait donc aucun problème de principe pour reconstituer une personne, puisque la distribution judicieuse des fonctions de quincaillerie, de système d’exploitation jouant le rôle d’interface entre ce dernier et le logiciel, et ce dernier, se trouveraient rassemblées dans l’ensemble reconstitué, tout au contraire, la connexion d’un disque contenant les données auxquelles une personne est assimilée dans l’hypothèse transhumaniste, à un corps synthétique, nécessiterait que celui-ci puisse assurer à la fois les fonctions de quincaillerie, de système d’exploitation jouant le rôle d’interface entre ce dernier et le logiciel, et de logiciel au cas où les informations stockées représentant celles contenues dans les neurones de la personne clonée n’équivaudraient à rien de plus qu’une mémoire. En termes informatiques, il faudrait qu’une compilation adéquate soit assurée des informations en provenance du « cerveau » vers le « corps ».
Il faut encore ajouter que si les thèses de la psychanalyse (« métapsychologie freudienne ») sont exactes, à savoir que ce que le sens commun appelle « volonté » est en réalité distribué dans le corps tout entier (l’« inconscient ») et que la conscience ne dispose par ailleurs que d’un pouvoir de décision limité, c’est-à-dire n’assure que partiellement la fonction que nous attribuons spontanément à la volonté, alors le corps donneur constituerait lui aussi un élément décisif de la personne reconstituée et celle-ci serait un hybride original entre la tête et le corps rassemblés, plutôt que de reproduire telle quelle la personnalité de l’ancien détenteur de la tête greffée sur un corps qui serait lui sans influence aucune sur la personnalité de l’ensemble.
Une bonne illustration de ce qu’on pourrait qualifier de « conception transhumaniste de l’âme » est offerte par le commentateur Ludovic Louis écrivant ceci : « Supposons que nous prenions 100 milliards de pieuvres (représentant mes neurones) et qu’elles soient capables de communiquer entre elles. Alors nous pourrions supposer que toutes ces pieuvres aillent créer une conscience. Si leur agencement était parfaitement exact à mon cerveau, alors cette conscience serait identique à la mienne » (2017). Si une conscience est attachée à un corps physique dans sa totalité, tête et reste du corps, alors la conclusion du commentateur est manifestement fausse : la conscience en question ne sera pas celle attachée au corps de Ludovic Louis mais celle, collective, d’un ensemble constitué des corps de 100 milliards de pieuvres. Les capteurs que sont les organes des sens de ces mollusques céphalopodes veilleront à corriger peu à peu cette conscience inexacte, et à lui procurer une mémoire mieux en phase avec la collection d’animaux constituant son véritable « corps ».
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Ludovic Louis, « Conscience artificielle n’est pas l’intelligence artificielle forte », Siècle Digital, 1er décembre 2017
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