Naufrages, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité. Également sur son site greekcrisis.fr

Modes d’automne. Hivers qui surgissent, nuages qui se déplacent… comme les truismes. Épris… d’exotisme par oisiveté obligée, nous observons nos touristes, parfois venus de l’hémisphère austral, s’extasier devant l’immuable beauté des paysages et des temples de jadis. Dieu(x) merci, nous les distinguons aussi.

Nos touristes venus de l’hémisphère austral. Cap Sounion, novembre 2017

En ces temps bourbeux, le métacosme des politiciens égal à lui-même, s’agite dans sa mélasse et autant dans la boue des inondations. Cette semaine, les “cadavres” du PASOK ont réélu l’insignifiante Fofi Genimata, à la tête de leur variante de PS avarié, renommée pour les circonstances “Gauche du centre”. Le tout, après avoir organisé bien entendu leur “primaire ouverte”. Le ridicule tue finalement, et d’abord, il tue le sens. Guarda e passa.

“En ces temps et lieux, il n’y a plus de bonnes nouvelles”, affirme non loin du Cap Sounion, notre petit pêcheur, rencontré sur le port de Lávrion, au Sud-est d’Athènes, alors qu’à l’ouest de la capitale, on dénombre actuellement 21 morts et un disparu, après les inondations du 16 novembre, plus exactement, faisant suite à l’hybris des hommes. “Nous allons venger nos morts, les politiciens devront faire attention”, entend-on depuis la zone inondée. Dégâts, disons des eaux, naufrages.

Nous établissons alors bilan sur bilan, car les bilans… s’imposent plus que jamais dans l’ordre du jour (pour ne pas dire de la… décennie). Comme l’autre soir chez nos voisins: “Tant d’années de travail, tant d’années de luttes, tant d’années de cotisations… alors évaporées (les années, comme les cotisations), tant d’années sous la Troïka, tant d’années encore pour espérer la retraite… décidément d’argent de poche, tant d’années trahies, tant d’années au chômage, tant d’années sans queue ni tête.” Guarda e passa !

Cap Sounion. Novembre 2017
Touristes de l’hémisphère nord. Cap Sounion, novembre 2017
Touristes de l’hémisphère sud. Cap Sounion, novembre 2017

Et de ce fait, tant d’années extraites de toute chronométrie humaine potentiellement espérée, tant de mois déjà, depuis la dernière (?) métastase de la pseudo-démocratie actuelle (et même plus ancienne), nommée gouvernance SYRIZISTE, voire, tant d’années encore à tirer peut-être… avant le collapse. Qui sait ?

Nous nous donnons d’ailleurs rendez-vous dans le modeste café du coin, à cinq minutes à pied, “histoire de nous dire qu’enfin, nous sortons un peu de chez nous”, comme le fait remarquer le voisin Kóstas. Nous évoquons toutefois l’actualité, et alors autant, nos insoutenables migraines et atonies de la semaine dernière. Elles ont duré ente deux et trois jours, selon les personnes concernées, cette sensation de sentir l’horizon (piètre horizon déjà) s’effondrer, ou “se tordre” devant nous. Météo, orages, ondes ? Car nous ne trouvons pas d’explication bien précise, sauf que les… symptômes ainsi largement partagés ont été bel et bien réels.

La semaine s’est terminée sous la pluie, les inondations, la douleur et l’atonie. Et à un certain niveau de responsabilité avérée, c’est bien l’administration de la région d’Attique qui est en charge du programme et des infrastructures (insuffisantes ou inexistantes) de protection (et prévision) contre les inondations et d’évacuation des eaux pluviales.

Sous la présidence de Rena Doúrou (SYRIZA) depuis 2014, la région Attique n’a pratiquement rien fait pour mettre en place ce qui pourtant était dit et répété via de nombreux rapports et plans. À l’instar des précédentes directions régionales élues, cette dernière, a parfaitement copié, l’immobilisme existentiel, le népotisme, sans oublier le sens des affaires… privées d’abord, au détriment bien entendu des citoyens.

Rena Doúrou le 17 novembre à Mandra (presse grecque)
Rena Doúrou… marketing politicien habituel (presse grecque)
Rena Doúrou… dansant (presse grecque)
“Rena Doúrou… Venus de la boue”. Quotidien “Kathimeriní” du 18 novembre à Mandra (presse grecque)

Rena Doúrou a visité la zone sinistrée en accompagnant Alexis Tsipras, sauf qu’ils n’y sont restés que brièvement et sans vraiment quitter la rocade. Ils n’ont surtout pas pénétré la ville endeuillée de Mandra. Par les temps qui courent et qui pleuvent, les services de sécurité et de renseignement ont certainement mis en garde la marionnette Tsipras devant la colère populaire qui franchement, elle s’est déjà transformée en haine. Et la haine… peut certainement s’avérer plus redoutable que le ridicule, c’est bien connu.

Pour une fois, la lamentable parure de Rena Doúrou en ce 16 novembre n’avait plus rien de son image marketing, tout le monde en Grèce l’aura remarqué. Le cynisme de Tsipras ne passe pas non plus inaperçu. De passage seulement par la zone inondée, son avion l’attendait à l’aérodrome proche d’Éleusis, destination Göteborg en Suède, pour se rendre au sommet pseudo-social “européen” (le terme exact, c’est “européiste”) du 17 novembre.

Épris… d’exotisme sans doute, le touriste Alexis Tsipras s’est amusé en réalisant ses selfies aux côtés de sa ministre du Travail mort comme de la Sécurité Sociale défaite, la “bimbo” politique Efi Achtsioglou. Insouciance, inconscience et cynisme, au temps de la sur-médiatisation à répétition de l’image.

Rena Doúrou et Alexis Tsipras le 16 novembre à Mandra (presse grecque)
Alexis Tsipras et Efi Achtsioglou. Selfies en Suède (presse grecque du 16-19 novembre 2017)
Pendant ce temps à Mandra. Presse grecque, 17 novembre
Pendant ce temps à Mandra. Presse grecque, 17 novembre
“Nous venons de Syrie. Et vous ? De Mandra” (près d’Athènes). “Kathimeriní” du 18 novembre

C’est alors ainsi, que la très supposée mémoire politique et sociale de la révolte des étudiants de l’École Polytechnique (novembre 1973) contre l’autre dictature, celle des colonels, n’a été célébrée à l’exacte manière… d’une caricature de plus.

Sous la pluie, près de dix mille manifestants seulement (ceux de SYRIZA ont été d’ailleurs hués par tous les autres), le bâtiment historique de l’École Polytechnique (bâtiment publique, joyau de la ville d’Athènes de la fin du 19e siècle, aujourd’hui classé… sans suite), restant occupé et saccagé par une déferlante (désormais historique) d’individus se réclamant d’un certain “anarchisme” (de façade), occupation qui concerne autant le quartier proche d’Exárchia, devenu ainsi zone de non-droit et de désolation, de décrépitude, de crime organisé et de déculturation, dans un pays déjà sans-droits et sans Constitution. Naufrages… Guarda e passa !

On se souviendra tout de même des rêves de ceux, ayant à l’époque cru et lutté, ce que d’autres de leur génération (les chefs et cadres par la suite Pasokiens et Syrizistes notamment), ont converti en cauchemar pour cette Grèce de l’après Colonels. C’est le plus grand échec… pourtant calculé (comme calculateur), de la part des gauches grecques (comme de sa droite). Une situation désormais… irréversible, éventuellement pour la Grèce et certainement pour ses Gauches, en dépit même de la figure, en somme tragique, d’un Manólis Glézos encore debout sous la pluie, et à l’École Polytechnique en ce 17 décembre 2017.

Ce 17 novembre 2017 s’est ainsi achevé par la petite guerre rituelle, entre “anarchistes” et policiers (une juriste est depuis grièvement blessée après avoir reçu un projectile enflammé… destiné aux forces de l’ordre), commémoration autant achevée sous la pluie comme dans la boue de notre temps.

Modes d’automne. Hivers qui surgissent, nuages qui se déplacent… et les truismes avec. À Trikala, ville de la Thessalie profonde, l’hommage supposé solennel des officiels (députés SYRIZA compris) devant la mémoire de ceux de 1973, n’aura pas suscité la moindre curiosité des passants qui n’ont même pas eu la curiosité d’aller observer la “cérémonie” de plus près. Les Grecs, épris… d’exotisme comme d’oisiveté souvent obligée, ne peuvent plus sentir… leurs touristes, issus de l’hémisphère antarctique des politiciens.

Étudiants de 2017, célébrant la révolte des étudiants de 1973. Athènes, 17 novembre (presse grecque)
La guerre… habituelle entre “anarchistes” et policiers. Athènes, le 17 novembre 2017 (presse grecque)
Le ridicule solitaire des officiels. Trikala, 17 novembre 2017 (presse locale)
Manólis Glézos sous la pluie. École polytechnique, 17 novembre 2017 (presse grecque)

Le soleil déjà météorologique est malgré tout de retour. Il a pourtant neigé près d’Athènes (à 1.600 m d’altitude), l’air est frais, et le “soleil a toutes ses dents”, comme on dit parfois en Grèce par ce type de temps. Épris… d’exotisme comme d’oisiveté obligée, nous observons nos touristes, parfois venus de l’hémisphère austral, s’extasier devant l’immuable beauté des paysages et des temples de jadis, comme nous regardons aussi, ce… morceau d’un cargo, sorti des mers récemment, et depuis entreposé sur une plate-forme dans le port de Lávrion. Un déchet, d’après le jargon des assureurs et des armateurs.

“Cabrera” de son nom, est ce navire échoué la veille de Noel de 2016, au nord de l’île d’Andros. Tous ses marins avaient été sauvés. En quelques semaines, le navire condamné a fini par se briser, et c’est sa poupe qui vient d’être remontée à la surface. En ce temps des naufrages, “Cabrera” incarne sans doute le naufrage le mieux… innocent des eaux grecques. En attendant les prochaines tempêtes à affronter, d’autres navires poursuivent leurs routes et le soleil revient.

Le ‘Cabrera’. Port de Lávrion, novembre 2017
Le ‘Cabrera’ avant son accident.
L’échouage du ‘Cabrera’ sur l’île d’Andros (2016 – presse grecque)
Le ‘Cabrera’. Port de Lávrion, novembre 2017
Le soleil revient. En Attique, novembre 2017

Car sur le port de Lávrion, on admire encore dans un sens, les débris métalliques des installations héritées de la première Révolution industrielle.

“En ces temps et lieux, il n’y a plus de bonnes nouvelles”, affirmera finalement notre petit pêcheur, sauf que le voisin Kostas estime de son côté “qu’il va falloir désormais économiser nos forces, rester en forme et en alerte, éviter les interactions négatives, et si possible… essayer d’inventer ensemble et autrement, déjà, sans aller voter. Même si, très probablement, le futur renouveau du renversement sera celui des enfants actuels. Avant ou après le collapse, qui sait ?”

Sur le port de Lávrion, les vieux migrants qui travaillent à bord des caïques de pêche depuis les années 1990, font depuis sécher leurs vêtements comme ils le peuvent… entre la première, et l’ultime Révolution industrielle. Ceux, autres migrants venus dernièrement depuis les pays d’Asie, ils divaguent, et ils divagueront probablement encore longtemps, entre leur campement en ville et le port, largement accrochés à leurs Smartphones et peut-être à peu de l’espoir, du moins numérique.

D’autres navires au large. Cap Sounion, novembre 2017
Installations de la première Révolution industrielle. Port de Lávrion, novembre 2017
Vêtements qui sèchent. Port de Lávrion, novembre 2017
Port de Lávrion. Novembre 2017

En ces temps bourbeux au métacosme des politiciens égal à lui-même, nous établissons alors bilan sur bilan, comme sans doute pour le naufrage du ‘Cabrera’.

Modes d’automne. Hivers qui surgissent, nuages qui se déplacent… autant que les truismes finalement.

Épris… d’exotisme comme d’oisiveté obligée, nous observons surtout nos chats, animaux par définition adespotes (sans maître), venus comme on sait de l’hémisphère des mystères.

Chat, animal adespote. Port de Lávrion, novembre 2017

* Photo de couverture : Le ‘Cabrera’. Port de Lávrion, novembre 2017

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Commentaires récents

  1. Paul, Je n’ai vu de ce film, il y a longtemps, que ce passage (au début du film, je crois)…

  2. Faut reconnaitre que le site fait positiver … du moins la première illustration du vivant.

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