Catastrophes… mutationnelles, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité. Également sur son blog greekcrisis.fr

De la pluie et du beau temps. Histoires… à finir mouillé. Depuis déjà trois jours, les médias annoncent le “passage sur la Grèce, d’une tempête anormale, porteuse de phénomènes extrêmes, tel un ouragan méditerranéen”. Jargon catastrophe, comme pour en rajouter sur la peur dans l’âme. Puis, vint l’orage, et dans la matinée du 15 novembre sur l’Attique, toute une bande côtière non loin d’Éleusis, dans le grand Ouest athénien qui se transforme en déversoir de la boue et des eaux… fuyant la montagne proche et balayant tout sur leur passage. Bilan : 16 morts et 4 disparus. Catastrophe dite “naturelle”.

Ciel depuis les quartiers sud d’Athènes. Le 15 novembre 2017

Sauf que les Mystères d’Éleusis de jadis, représentaient une des formes les plus élevées de la spiritualité grecque, étaient traditionnellement consacrés, non seulement à Déméter et à sa fille Perséphone, mais aussi aux divinités de la terre et des morts, tel Hadès.

Le ciel était pourtant beau depuis les quartiers de la bande côtière du grand Est athénien, et les catastrophes dites “naturelles” ont concerné, concernent et concerneront, plutôt l’ouest de l’agglomération, les quartiers pauvres, ceux davantage paupérisés. Les medias se sont aussitôt adonnés à une entreprise de dramatisation à outrance, les reportages radiophoniques et télévisés passaient en boucle les scènes (et les sons) de la “catastrophe”, les cris, les larmes, la colère des femmes et des hommes.

Les premières photos des victimes ont été repérées et ainsi rajoutées au montage des vidéos et des reportages. Êtres souriants à l’humanité guillerette, et parfois rajoutée pour les besoins ardus de l’iconographie… des réseaux sociaux, ainsi récupérée et rattrapée pour une seule et ultime fois par “l’actualité”. Pauvres gens, riches souvenirs… au numérique post mortem.

En Attique de l’ouest, le 15 novembre (presse grecque)
En Attique de l’ouest, le 15 novembre (presse grecque)
En Attique de l’ouest, le 15 novembre (presse grecque)

Tout avait été pourtant dit et prévu. Dimitris Papanikoláou, professeur émérite de géologie à l’Université d’Athènes, joint par les médias depuis hier à plusieurs reprises, avertit en tout honnêteté que si rien ne se fait immédiatement, nous revivrons une nouvelle catastrophe majeure comme celle en l’Attique de l’Ouest et cela très probablement au même endroit.

Cet universitaire s’occupait déjà de la région de Mandra, au funeste titre d’une ‘étude de cas’ des inondations à craindre et notamment… à prévoir. Une ‘étude de cas’, proposée aux étudiants en master se spécialisant plus exactement dans la prévention des catastrophes dites “naturelles”. “Ce fut un exercice de base sur la question des inondations, et nous avons choisi cette localité et région, car elle réunit toutes les caractéristiques d’ailleurs aggravés de tous cas similaires, lorsque par exemple l’intervention humaine, l’ignorance, l’indifférence ou le manque de connaissance comme le défaut de traitement significatif du sujet, sont évidemment de nature criminelle.”

Les données fournies choquent, comme elles provoquent autant de la colère. Dimitris Papanikoláou a conclu que “les preuves sont disponibles pour établir les responsabilités des uns ou des autres, et ce qui doit être fait, devient clair pour tous ceux qui désirent alors voir. Il y a eu enfin d’autres inondations, celle de 1996 avait fait deux victimes au même endroit. La nature nous avait ainsi mis en garde devant ce qui est arrivé finalement hier à Mégara et à Mandra, et sur cette partie nord de l’autoroute, à 1-2 km de Mandra. Car le problème en amont, il se situe exactement en ces lieux.”

“Les ruisseaux et les canaux évacuant l’eau depuis le mont Pateras, ont tout simplement cessé d’exister, et ceci en moins de vingt ans. Et c’est de la pure intervention… anthropogénique. Certaines personnes qui possédaient alors des terres à l’est du ruisseau et près de l’autoroute, à l’époque c’était la route nationale, ils ont tout… empli et vendu sous forme de terrains devenus ainsi constructibles. Des entreprises s’y sont installées, et l’affaire la plus tragique, c’est que même la municipalité a participé à ce processus effarant en y bâtissant ses propres entrepôts.” (médias grecs du 15 et 16 novembre 2017)

La route… vers Corinthe à hauteur de Mandra. Presse grecque, le 16 novembre
Monument des héros du pays, de jadis… et de notre temps. Mandra en Attique, le 15 novembre (presse grecque)

Le problème est politique, moral, civilisationnel, et les apories augmentées, par exemple ce ‘chacun pour soi’ (et la pluie pour tous), l’ont définitivement aggravé. Depuis que notre univers crisique a imposé la… grande mutation des modes de chauffage, surtout via la quasi-généralisation du chauffage au bois, de bien nombreuses pentes ont été impitoyablement dégarnies de leurs arbres et arbustes. Tel fut le cas du Mont Pateras, depuis près de cinq ans, et encore cette année, entre août et novembre, en attendant le… grand froid.

“Nous vérifions alors chaque jour, cette part de nous-mêmes, celle qui a peur ou qui ne réfléchit plus, et qui vise avant tout, le profit personnel,” avait déclaré le compositeur Mános Hadjidákis lors d’une interview accordée en 1993, quelques mois seulement avant sa disparition physique. C’est toujours vrai, encore plus vrai qu’en 1993, et la situation crisique grecque, n’aura en rien amélioré les attitudes humaines. Question d’ethos peut-être, et qui n’est pas comme on sait… de la toute dernière pluie chez l’Homme.

Mános Hadjidákis (deuxième à gauche) en Crète en 1979 (source: Dimitris Kalokyris)

Beau pays, asséché de ses ressources morales, humaines, économiques… ainsi inondé. L’annonce faite par le “gouvernement” de la distribution de “la part sociale” (voir le billet précédent de ce blog), tombe également et littéralement dans l’eau. Les Tsiprosaures viennent de décréter le deuil national, en attendant, la pseudo-commémoration (celle des officiels), de la révolte de l’École Polytechnique (17 novembre 1973). Des individus (venus en partie des quatre coins de l’Europe) se réclamant de l’anarchisme, occupent (en partie) les lieux, le bâtiment historique de l’École Polytechnique est… très historiquement saccagé (cette situation dure depuis près de trois décennies), le nihilisme triomphe, d’en bas comme d’en haut, avec en prime nos dernières pluies. Ambiance très tendue donc à Athènes en ce moment.

Ainsi, et surtout, le licenciement de la journaliste Panagióta Bitsika peut passer presque inaperçu… actualité oblige. Elle travaillait pour le journal “To Víma” depuis plus de 20 ans, et ce journal (avec l’ensemble du groupe de presse DOL) vient de passer sous le contrôle de Marinákis, armateur, magnat de la presse et cogérant de l’équipe d’Olympiakós du Pirée. La nouvelle direction impose de bien… nouveaux et novateurs contrats de travail. “Vous les signez, sinon, c’est la porte”, voilà ce qu’a été expressément imposé aux salariés (essentiellement journalistes).

En somme, ces nouveaux contrats de “travail”, imposent aux journalistes le statut de… l’équipier polyvalent, leur spécialisation, ainsi que la description précise de leur tâche ne sont plus mentionnées. Les journalistes devront aussi accepter de travailler pour l’ensemble des journaux du nouveau groupe (DOL et Marinákis réunis), d’après les besoins de l’entreprise. Et à part la baisse de leurs rémunérations, ces “journalistes” du troisième millénaire… bien suranné après Hérodote, devront signer un document déchargeant leur patron de toute responsabilité pénale, en cas de poursuites, en rapport aux textes que les journalistes auront publié aux quotidiens du groupe.

Beau pays. Golfe Saronique, novembre 2017

“Au nom de la morale et de la dignité je ne peux pas signer ce texte”, déclare Panagióta dans sa lettre ouverte, adressée à la profession. Hier, devant les nuages et le soleil couchant du Golfe Saronique comme autant du journalisme et de la Grèce, mon ami Th., journaliste au chômage, me disait qu’il avait échangé avec Panagióta au téléphone, et qu’à travers toute leur profession subsistante, les patrons viennent d’imposer simultanément la baisse des salaires de 30% à 50%. “Vous acceptez, sinon c’est la porte”.

Mon ami est désormais certain : “Le journalisme est mort. D’ailleurs, jamais dans ce pays les medias n’avaient été autant contrôlés et pour tout dire, laminés par le pouvoir (le vrai, pas celui de la marionnette Tsipras), qu’aujourd’hui. Ce n’est même plus le rédacteur en chef, ni même le patron du journal qui annonce ce chantage aux employés du journal – me disait Panagióta – mais un administrateur financier, dépêché par Marinákis et que nous n’avions jamais vu jusque là. Contemplons alors le soleil, la mer et les nuages… ailleurs il pleut, et aucune réaction pour l’instant de la part de l’Union syndicale des journalistes. Silence… orage.”

En Attique de l’ouest, le 15 novembre (presse grecque)

“La fosse Adriatique s’est dangereusement étendue, elle rejoindrait même la scission de la plaque anatolienne. La distance qui nous sépare ainsi du reste de l’Europe, socialement, psychologiquement, institutionnellement et politiquement, grandit jour après jour.”, écrit Takis Theodorópoulos dans sa chronique au quotidien “Kathimeriní” (15 novembre) . Pas tant que cela je dirais, question de rythme et peut-être de… pluviométrie.

Un habitant a sauvé deux animaux adespotes. Mandra en Attique, le 15 novembre (presse grecque et Reuters)

Les mondialisateurs de l’affairisme, ainsi que les irréfléchis locaux et nationaux des catastrophes dites “naturelles”, se disent sans doute avoir tout prévu. Nous vérifions alors chaque jour, cette part de nous-mêmes… et pourtant. Sous la catastrophe… mutationnelle, un jeune habitant de Mandra a sauvé hier, deux animaux adespotes (sans maître), un chat et un chien.

De la pluie et du beau temps. Histoires… à finir mouillé, sauf que la délivrance est quelquefois à portée de main.

Un habitant a sauvé deux animaux adespotes. Mandra en Attique, le 15 novembre (presse grecque et Reuters)

* Photo de couverture : En Attique de l’ouest, le 15 novembre (presse grecque)

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  1. @ Hervey Et nous, que venons-nous cultiver ici, à l’ombre de notre hôte qui entre dans le vieil âge ?

  2. @Hervey « Le principe est un concept philosophique polysémique qui désigne ou bien une source, un fondement, une vérité première d’idées…

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