Animation par Sora
Captain America vs Red China Man
Pas évident à première vue de trouver matière à se réjouir dans le grand jeu de chamboule-tout dont Trump a donné le coup d’envoi à son arrivée à la Maison Blanche ! Son terrain de jeu n’est rien moins que la planète entière et il n’a ajourné notre propre punition, mise sur pause, que de 90 jours. Nous disposons donc de 90 jours pour être spectateurs de son échauffement, à savoir la partie de bras de fer à laquelle il a, sans préavis et à la hussarde, convoqué la Chine.
Ne jouons pas les nés de la dernière pluie : il y a déjà un bon moment qu’on pressentait qu’au palmarès des grandes puissances la place de N°1 exclut la notion d’ex-aequo. Et qu’il y aurait donc, un jour, un duel façon close combat entre Captain America et Red China Man (comme disait William Klein dans « Mister Freedom » dès 1969). Beaucoup de nos observateurs flairaient en Taïwan le prétexte rêvé pour faire parler la poudre et voyaient déjà le vainqueur du Pacifique monter sans contestation sur la plus haute marche du podium. Il n’est guère étonnant que Trump ne manifeste aucun enthousiasme à se soucier de Taïwan. On le sait, les Occidentaux (les Européens auxquels il faut ajouter les Démocrates américains) ne font de Taïwan leur championne en matière d’indépendance et de démocratie que par rejet de la Chine continentale qui a fait le choix, détestable entre tous, de tolérer à sa tête depuis trois-quarts de siècle un Parti Communiste !
Trump n’a pas plus lu Marx qu’aucun autre penseur. Si l’existence d’une Chine « rouge » le démange, ce n’est pas pour une question de couleur, c’est parce qu’elle a grimpé trop vite à l’échelle capitaliste et qu’il a la fâcheuse impression qu’elle lui pique des sous : l’homme d’affaires qu’il est, même s’il est calamiteux, sait d’expérience qu’on ne s’enrichit qu’en volant les autres et en les truandant ! D’où des droits de douane à 145% (et pourquoi pas 200% ou 300% ?). Ce qui, sur cette planète cul par-dessus tête, me donne une menue raison de me réjouir, c’est que nous, pays européens qui venons de comprendre que les bras de l’Oncle Sam ne s’ouvriront plus pour servir de refuge à nos peurs, allons enfin pouvoir regarder le monde sans ce prisme déformant. Le monde entier enfin tel qu’il est. Aucun enclos de Bisounours à l’horizon, nul pays de Cocagne, pas d’Empire du Bien !
Une partie de go à l’échelle planétaire avec trois ou quatre très grosses mises et une foule de tout petits joueurs. Et dans ce tableau d’ensemble peut-être allons-nous enfin regarder la Chine pour ce qu’elle est. Sur nos planisphères la carte de Chine est oblitérée d’une faucille et d’un marteau, certes à l’état d’ombres, mais toujours postés en nos arrière-plans mentaux. Depuis le début de ce siècle, il est vrai que cet a priori (en place depuis 1949) tangue un peu et qu’on ne sait plus toujours très bien à quoi s’en tenir : la Chine, par ses nombreuses et performantes « Zones Economiques Spéciales » et sa focale réglée sur Singapour, a inventé en quelques décennies une version boostée du capitalisme qui sème tous ses concurrents. La « rationalité » occidentale déteste qu’on brouille les cartes à ce point-là !
Ce pourquoi il est bon, et même indispensable, de remettre en mémoire à tous, façon piqûres de rappel, qu’un abominable Parti Communiste est toujours aux affaires : pour servir ce dessein, on amplifiera volontiers les coups de projecteur sur les marges du vaste territoire chinois, comme le Tibet et le Xinjiang, où le maintien des cultures autochtones n’est pas toujours garanti face au rouleau compresseur Han et où le pouvoir de Pékin, sur ces limites de son limes, peut effectivement se montrer plus irascible qu’ailleurs. Taïwan sert aussi ce même dessein : l’île est la « République de Chine » bien élevée et propre sur elle qui fait pendant (fréquentable) à la vilaine Chine rouge qui ose faire fi de la démocratie et des droits de l’homme. Soit dit en passant, cette vision manichéenne a pris du plomb dans l’aile depuis les dernières élections taïwanaises (en 2024) : si le Président élu est bien un indépendantiste bon teint, il n’a pas de majorité au Yuan (le Parlement) où dominent les partisans d’une coexistence pacifique win-win avec Pékin.
C’est dans ce tableau que Trump fait irruption en renversant la table ! Et nous, les sous-fifres, nous avons 90 jours devant nous pour enlever nos œillères et nous laver de nos préjugés pour apprécier la rencontre dans sa réalité. La partie est d’autant plus intéressante que jamais dans l’histoire un affrontement n’a mis en présence des adversaires cumulant tant de différences ! La plus ancienne civilisation (sans solution de continuité) dans le monde contemporain avec ses quatre millénaires au compteur face à la plus jeune qui n’aligne guère, péniblement et en comptant large, que deux siècles et demi dans le jeu des nations ; l’une, enracinée en profondeur par une immense chaîne d’ancêtres et bien enclose dans ses rituels et son immémorial territoire de toujours et l’autre, « melting pot » à base de gens de partout, composite, mixée et remixée, d’entrée de jeu fabriquée au jour le jour par des « hommes neufs » lancés, arme au poing, sans rien à perdre, à la conquête d’un « Nouveau Monde » inconnu et hostile. Peut-on imaginer match plus passionnant ?
Après les éprouvantes années de quasi arrêt du Covid 19 et la crise de l’immobilier qui l’a plombée en freinant lourdement la consommation intérieure sur laquelle le Parti comptait pour réaliser son objectif de « petite prospérité généralisée » en 2049 (année du centenaire de la RPC), la Chine peut sembler en petite forme. Sa démographie est en berne, les jeunes générations redoutent un chômage qui, ces dernières années, semble s’installer dans la durée et l’on peut craindre qu’elles ne donnent dans un « à quoi bon ? » de mauvais augure pour un Parti dont le volontarisme et la mobilisation vers « les lendemains qui chantent » restent encore le carburant principal. Mais je doute qu’il faille la voir de sitôt au tapis.
La population chinoise est passée par tant de vicissitudes et a connu tant de hauts et de bas depuis un siècle qu’elle est surentraînée à résister à tous les vents mauvais : son aptitude à faire bloc, jeunes générations comprises, dans l’adversité pourrait encore nous surprendre. Surtout depuis que la petite phrase de JD Vance sur « ce peuple de paysans » a mis le feu aux poudres en giflant carrément « la face » ! Si j’étais Trump (Dieu m’en garde !), je ne serais pas si sûr de n’en faire qu’une bouchée. Si la Grande Muraille douanière persiste, l’économie chinoise y perdra nécessairement des plumes, mais qui nous dit que la nouvelle configuration de l’échiquier mondial ne lui offrira pas des opportunités nouvelles ou n’accélérera pas des reconfigurations jamais envisagées : si c’est le cas la Chine s’y engagera car elle ne se fixe pas d’interdits.
N’oublions jamais qu’elle est (et non seulement depuis les premiers jours du régime en 49, mais bien en amont pour préparer son avènement) tout ce qu’on n’imagine pas d’un pays étiqueté « communiste », à savoir pragmatique, empirique, plastique, souple, matoise, habile et parieuse. En un mot souvenons-nous bien qu’au fond, on le sait depuis que Deng Xiao ping a vendu la mèche au début des années 80, elle se fout de la couleur du chat du moment qu’il chasse les souris ! D’ailleurs quand on a affaire à une langue où le mot « gouverner » (c.à.d. avoir en charge la vie d’un état) est exactement celui qui sert aussi à dire « soigner » (c.à.d. avoir en charge la vie d’un patient) et quand on se souvient que la médecine traditionnelle chinoise faisait (et fait encore) reposer ses traitements sur des procédés d’activation/désactivation de circuits d’énergie appelés par nous « méridiens » et dont l’existence n’a jamais été à ce jour scientifiquement prouvée, on ne devrait pas s’estimer gagnant trop vite !
Animation par Sora
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