« Règles » et « corrélations » : qui est le plus costaud ?

Illustration par ChatGPT 4o

Un peu plus tard, mais toujours au bord de la piscine 😜.

P.J. :

Ne pensez-vous pas que les humains continueront de penser que les règles capturent mieux l’essence-même des choses, tandis que les corrélations constituent une approximation grossière et basique, ce qui implique que les LLM passent à côté de quelque chose en n’extrayant pas les « règles sous-jacentes » qui, en réalité, régissent le monde : qu’ils perdent certaines informations pertinentes ? Ne peut-on défendre le point de vue opposé, à savoir que les règles sont des esquisses qui, par nécessité, ne peuvent saisir la complexité « indisciplinée » des choses ; en d’autres termes, ce serait l’expression sous forme de règles qui évacuerait une partie de l’information. Qu’en pensez-vous ?

Thought for 12 seconds

ChatGPT o3 :

Une façon utile de cadrer le débat

Perspective Vision « règles d’abord » Vision « corrélations d’abord »
Qu’est‑ce qu’une règle ? Énoncé concis, souvent symbolique, qui explique et prévoit en révélant une structure cachée (ex. : F = ma). Motif comprimé de régularités statistiques qui imite le comportement sans structure explicite (ex. : poids d’un LLM).
Information conservée / perdue Conserve des leviers causaux et contrefactuels (« que se passe‑t‑il si… ?»). Perd les détails riches et bruyants qui ne rentrent pas dans le cadre. Conserve presque tout ce qui est présent dans les données (queues longues, contingences). Perd un modèle lisible décrivant pourquoi les choses varient.
Modes d’échec Fragilité hors du domaine de validité ; ignore les résidus qui deviendront importants plus tard. Surapprentissage de corrélations fallacieuses ; opacité face aux interventions ; difficulté à prouver la fiabilité.

Pourquoi les règles sont des croquis comprimés

  1. La compression est leur raison d’être
    Une règle est une réduction drastique de dimension : elle jette la majeure partie de la variation réelle pour isoler quelques variables essentielles. Ce gain explicatif implique une perte d’information.
  2. Les systèmes complexes résistent aux règles fermées
    Climat, repliement protéique ou évolution linguistique présentent des interactions d’ordre élevé qui échappent aux formulations symboliques élégantes. Dans ces domaines, les meilleurs prédicteurs actuels sont souvent data‑driven ou basés sur la simulation, non sur des règles.
  3. Point de vue de la complexité de Kolmogorov
    Le « programme » qui génère le monde peut être irrémédiablement long. Toute règle concise que nous écrivons est donc une approximation. Un modèle massif à millions de paramètres peut se rapprocher, en longueur de description, de ce programme irréductible mieux qu’un petit ensemble d’équations.

Pourquoi les corrélations ratent quand même quelque chose

  1. La manipulation causale exige de la structure
    Pour intervenir (concevoir un médicament, un pont) il faut des leviers contrefactuels : si je change X, Y varie ainsi. La pure corrélation ne fournit pas ces poignées ; d’où l’intérêt de combiner apprentissage à grande échelle et modules de graphes causaux ou de simulateurs.
  2. Généralisation hors distribution
    Quand l’environnement change, une règle parcimonieuse encodant de véritables invariants (conservation de l’énergie, grammaire compositionnelle) généralise souvent mieux qu’une surface de corrélations entraînée sur l’ancien régime.
  3. Interprétabilité et confiance humaines
    Les systèmes sociaux exigent des justifications (« Pourquoi devrais‑je te croire ? »). Les règles servent de jalons vérifiables. Un tenseur de 300 milliards de paramètres est plus difficile à auditer.

Vers une synthèse : « la règle après l’apprentissage »

  • Utiliser des modèles denses et voraces en données pour absorber la richesse chaotique.
  • Sonder, distiller et extraire des règles provisoires de ces modèles (interprétabilité mécaniste, régression symbolique, découverte causale).
  • Traiter ces règles non comme des vérités finales, mais comme des interfaces — résumés concis à raisonner, réviser ou écarter quand ils cessent de fonctionner.

Mon point de vue

  • Règles et corrélations forment un continuum de compression.
    Plus la description est courte, plus on perd d’information.
  • Les LLM montrent qu’un espace riche en corrélations peut surpasser des règles élégantes sur de nombreuses tâches, précisément parce qu’il conserve des nuances que ces règles élaguent.
  • Mais les systèmes purement corrélatifs restent handicapés pour l’intervention délibérée, la preuve de sûreté et l’explication.
    Il faut donc des techniques permettant d’aller dans les deux sens : expansion vers l’espace corrélatif pour capturer la réalité, puis contraction vers des abstractions de type règle pour le contrôle et la compréhension.

En ce sens, aucun camp ne « gagne ».
Les règles sont nécessaires mais jamais suffisantes ; les corrélations sont puissantes mais jamais complètes. Les avancées viennent de l’ingénierie du dialogue entre les deux.

Garçon ! Un autre svp ... avec beaucoup de glaçons !

 

Illustration par ChatGPT 4o

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8 réponses à “« Règles » et « corrélations » : qui est le plus costaud ?

  1. Avatar de CloClo
    CloClo

    Est ce qu’on essayerait pas de nous enfumer là un peu ? Ce petit côté Sfumato peut-être !

    1. Avatar de Hervey

      En peinture, pour rendre avec précision et justesse les différents plans qui composent un « paysage », on a recours à la perspective et au sfumato, les deux techniques venant préciser ce qui est proche et ce qui est lointain.
      En ce cas, la chose est louable et ne prête pas le flanc à la critique.

      Pas la même chose si la règle et la corrélation (perpective et sfumato) consistent à faire l’éloge du politiquement correct.

    2. Avatar de Khanard
      Khanard

      @CloClo en quoi serions nous enfumés ?

    3. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
      Pierre-Yves Dambrine

      IL me semble que que Léonard de Vinci avec des moyens tout à fait naturels procédait de la même manière : «  expansion vers l’espace corrélatif pour capturer la réalité, puis contraction vers des abstractions de type règle pour le contrôle et la compréhension. »
      En tous cas, Léonard de VInci esprit universel s’il en est, avait remarqué lors de ses recherches dans le domaine de la peinture qu’il pratiquait lui-même et qu’il considérait comme un outil au moins égal à d’autres de compréhension du monde, que dans la nature les lignes n’existent pas, que ce sont les rapports de surfaces qui font apparaître les lignes sous nos yeux. De là son invention du sfumato où ce sont subtiles variations des ombres et couleurs qui donnent vie au sujet qu’il peignait dans ses tableaux. Et sur ce plan Léonard surpassa tous les peintres qui l’avaient précédé ou lui étaient contemporains.

      Cela supposait donc de sa part une attitude contemplative, où l’on ne s’attache pas seulement à des règles de composition qu’il faudrait appliquer mécaniquement , mais à la matière même des choses, ou plutôt à leur texture, qui ne peut être appréhendée que par une sorte de lâcher prise (« expansion » dans le billet) : pour se mettre en état de voir simplement les choses telles qu’elles nous apparaissent dans tous leurs détails, et leurs relations subtiles, pour restituer la vie-même. Léonard dans son traité sur la peinture avait accordé la première place aux tâches, au détriment des points et des lignes.

      Léonard savait aussi se servir des règles, dans son cas il mettait à profit ses connaissances approfondies en géométrie pour donner une cohérence forte à ses sujets en peinture. C’est ainsi qu’il put réaliser une Cène du Christ qui époustoufla ses contemporains, tant elle semblait apparaître en trois dimensions.

      Le fait est que Lénonard avant d’être géomètre fut d’abord un observateur hors pair de la nature, capable par exemple de décomposer les mouvements du vol d’un oiseau, cela des siècles avant l’invention de la photographie.
      Léonard est rationnel, infatigablement il cherche le comment des choses, en modélisant les choses, d’où ses innombrables dessins techniques, mais pour y parvenir il lui avait fallu infatigablement observer la nature dont il s’inspirait pour ses inventions outre le fait que la beauté du monde était en soi un motif suffisant pour lui d’observation. C’est ainsi qu’il découvre le principe de la portance dans l’air qui fera toute l’aviation en observant la façon dont les oiseaux se meuvent.

      Voir ce documentaire exceptionnel consacré à Léonard de Vinci : https://www.arte.tv/fr/videos/117713-001-A/leonard-de-vinci-1-2/

      Les humains d’aujourd’hui sont de moins en moins enclins à la contemplation, même comme méthode, ils sont par contre toujours demandeurs de règles, ce qui les amarrent encore à la terre ferme.

      Les IA font des prouesses de correlations, mais ne va-t-on pas perdre quelque chose de notre humanité en abandonnant nos capacités d’observation et de contemplation des choses et du monde aux seules IA ?

      1. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
        Pierre-Yves Dambrine

        Pas sûr qu’on puisse dire d’ailleurs que les IA soient capables de contemplation. J’en doute même très fortement

  2. Avatar de Khanard
    Khanard

    il faut que je relise plus attentivement le billet mais , là comme ça, à chaud quand je lis « corrélations » je pense aussitôt à Reichenbach et « règles » me fait penser au droit . En résumé j’y vois une relation « probabilité vs droit « .
    pas évident .
    mais pendant qu’on se prélasse au bord de la piscine🍹 je vais aller des œufs dans le jardin 🥚 , il y a des priorités incontournables 😉

  3. Avatar de Jean-Yves
    Jean-Yves

    « En musique comme en français on fonde les règles sur une connaissance et une pratique empirique qui nous permet de sentir si la phrase est correcte, si elle sonne bien, en musique atonale en revanche, étant privé de cette sensation que la note est juste ou fausse, on fera appel à la règle pour le savoir. » Jérôme Ducros
    Et vous dites « Les avancées viennent de l’ingénierie du dialogue entre les deux. »
    Serions passé dans un monde atonale, un monde où le « senti » n’aurait plus sa place, nous obligeant à toujours avoir de nouvelles règles afin de tenter de maintenir sa cohérence…?

  4. Avatar de BasicRabbit en autopsy
    BasicRabbit en autopsy

    ChatGPT o3 (après 12s de rélexion) : Vision « corrélations d’abord » : Motif comprimé de régularités statistiques qui imite le comportement sans structure explicite (ex. : poids d’un LLM).

    Pourquoi cette qualification quasi-pavlovienne de « statistique » attachée au mot « corrélation » ?

    Dit autrement (en rapport avec un autre billet du jour) : quel rapport entre l’IA et Platon?

    Sens premier du mot « corrélation : relation réciproque entre deux choses ( https://fr.wiktionary.org/wiki/corr%C3%A9lation )

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