Illustration par DALL·E
Les irresponsables, Paris : Gallimard, Essais, 2025
Dans un précédent ouvrage, Le Monde nazi, Johann Chapoutot et deux autres universitaires ont décrit la spécificité du nazisme, même si cette idéologie, selon lui, prend ses racines dans la culture allemande du XIXe siècle, et celle de l’Europe occidentale en général. Dans son ouvrage ici M. Chapoutot se veut polémiste.
Mettant à profit sa profonde connaissance de la culture et de la langue allemandes, notamment pour les périodes wilhelmienne, weimarienne et hitlérienne, il établit un parallèle entre les événements politiques qui se sont déroulés durant la République de Weimar (1919, 1933, 1945) et ceux qui se produisent sous nos yeux en France. Selon lui, la constitution de Weimar établissait une République, mettant fin à l’Empire (IIe Reich) et à un nombre important de royaumes, duchés, et autres principautés. Il s’agissait d’un régime parlementaire créé sur le modèle des pays vainqueurs : États-Unis, Angleterre, France. À ses débuts (1919) les élections (hommes et femmes !) donnèrent au Parlement une majorité socialiste qui institua un certain nombre de mesures « sociales » en faveur du monde ouvrier.
Toutefois, assez rapidement, le chancelier social-démocrate achoppe sur la question budgétaire et sociale et les solutions à lui apporter, et ce d’autant qu’il se heurte à la sourde hostilité du président Hindenburg, au début de la crise financière internationale (novembre 1929), ainsi qu’au lancinant problème des réparations. Le nouveau chancelier aidé par les partis de droite (autres que le parti nazi) et conservateurs dépouille petit à petit le parlement de son pouvoir législatif en gouvernant par ordonnance, en détournant le sens de certains articles de la constitution. Au fur et à mesure des élections successives, le gouvernement ne repose plus sur aucune majorité, mais continue à gouverner de cette manière.
L’agitation de la rue menée par le NSAP (les Nazis) et le parti communiste conduit la camarilla – petite cour constituée autour du vieux président Hindenburg et de son fils Oskar – à le convaincre de nommer Hitler à la Chancellerie. Von Papen et von Schleicher pensent qu’ils vont « dompter » Hitler, mais ils oublient que lors de scrutins précédents le Parti nazi a, dans un certain nombre de Land, (dont d’ailleurs beaucoup se trouveront en Allemagne de l’Est après la guerre), déjà mis en œuvre son programme. Ils ne peuvent donc ignorer que le Parti nazi applique avec vigueur ce qu’il annonce.
La suite est connue : en quelque mois les libertés publiques sont supprimées, les premiers camps de concentration ouverts, la chasse aux juifs intensifiée, et le réarmement de l’Allemagne commence. À la mort du Président Hindenburg en 1934, Hitler se fait nommer Chancelier du Reich, la constitution « suspendue » et non abolie ; elle le sera en 1945.
Selon M. Chapoutot, l’attitude des partis de droite et conservateurs en général en France depuis une dizaine d’années, conduit les gouvernements successifs à gouverner de façon autoritaire (art. 49-3 de la constitution) et à ignorer le sens du vote populaire en nommant des gouvernements dont les membres sont tirés de partis de droite et conservateurs. Les électeurs des partis extrêmes, dont le RN, héritier du FN, lui-même créé après la guerre par des Nazis français et des Vichystes convaincus, et LFI, se sentent floués et méprisés voire culpabilisés, alors que beaucoup d’entre eux se sont tournés vers eux par dépit, ayant conscience que les partis dits « traditionnels » les ont trahis.
L’auteur met donc en garde sur ce qui risque d’arriver si la classe politique française et le président de la République persistent dans cette voie.
Illustration par DALL·E
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