Illustration par DALL·E
Le point de départ, il est formulé tout au début de Principes des systèmes intelligents, un ouvrage paru chez Masson en 1989. Il s’agit d’une observation qui vient de la psychanalyse et que l’on peut résumer ainsi : « passer pour intelligent, c’est certainement beaucoup plus simple qu’on ne l’imagine (sans quoi la plupart des gens n’y parviendraient pas 😉 ) ». Ce présupposé remonte encore un peu plus haut que la psychanalyse fondée par Sigmund Freud (1856-1939) puisqu’on le trouve déjà chez Ivan Pavlov (1849-1936) : « Je vous dis un truc et vous me répondez un autre truc » : stimulus –> réponse.
D’où vient l’idée que passer pour intelligent, c’est compliqué ? Parce que penser, nous le savons, c’est dur, ça nous fatigue : il y a manifestement investissement d’une énergie.
On peut avoir l’air intelligent sans prononcer de mots : sur un terrain de football par exemple, en marquant des buts. Mais on peut avoir l’air intelligent en alignant uniquement des mots. Du haut d’une chaire au Collège de France, par exemple (encore qu’elles soient là en général en contrebas). Laissons l’intelligence du terrain de foot à la robotique, et réfléchissons en termes d’intelligence artificielle à celle que l’on pratique au Collège de France.
En psychanalyse aussi, pas d’exploit sportif : que des mots. Quand ChatGPT me dit que j’applique à mon insu une seule théorie à la psychanalyse et à l’IA (la théorie mathématique de l’optimisation), la théorie en question doit donc permettre de modéliser des processus impliquant des mots et où une énergie est mobilisée. Il existe un texte de moi, de 80 pages environ, rédigé en 2000, inédit mais qui circule ici et là, intitulé : « La pensée comme dynamique de mots ». Le titre est clair : ce qui est écrit là doit pouvoir valoir aussi bien pour l’IA que pour la psychanalyse.
Où trouve-t-on les mots ? Dans la bouche des gens, mais aussi dans le dictionnaire, ou dans une encyclopédie, où on vous explique comment les mots sont connectés entre eux : comment ils sont constitués en réseau. Où trouve-t-on une force susceptible de mouvoir une dynamique ? Il y en a une à l’œuvre en permanence et que tout le monde connaît, c’est la gravité, qui fait que les choses tombent du haut vers le bas.
La gravité est sans aucun doute une force mais produit-elle de l’énergie ? Bien sûr : vous trouverez cela dans les barrages hydro-électriques où se voit transformée au passage en électricité, l’énergie de l’eau dévalant du haut vers le bas : de la neige des sommets vers l’océan.
Construire une phrase, c’est tracer un sentier dans l’univers des mots constituant le lexique. On peut imaginer que la force permettant de passer d’un mot à l’autre dans la formation d’une phrase opère comme la gravité sur une goutte d’eau en route vers la mer, qui la fera contourner un caillou plutôt à droite qu’à gauche et la guidera du coup dans une direction plutôt qu’une autre. Et que la production d’une phrase par quelqu’un s’assimile à un parcours en pente au sein de sa mémoire – parmi ses traces mnésiques, déterminé par l’émotion dont ces mots sont porteurs. Il s’agirait alors d’une descente de gradient dans un univers lexical, gouvernée par une dynamique d’affect.
L’expression « descente de gradient » relève du domaine des mathématiques appliquées, plus précisément de l’optimisation numérique.
Voici ce qui est écrit à la page 4 (à la page 15 de la réédition de 2012) de Principes des systèmes intelligents :
« Et si les mots suffisaient à penser ? Et si la pensée émergeait d’elle-même d’un univers de mots soumis à des contraintes ? Autrement dit, et si la pensée résultait de l’auto-organisation d’un univers de mots ? C’est cette dernière hypothèse qui sera explorée ici, comme l’éventualité d’un raccourci vers l’intelligence artificielle. Concevoir le comportement intelligent d’un système informatique comme la production d’un discours cohérent résultant de l’exercice dynamique de contraintes sur un espace de mots, voilà qui mérite sans doute examen … ».
(à suivre …)
Illustration par DALL·E
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