Illustration par DALL·E
Il arrive qu’on me demande quelle est ma théorie de la psychanalyse, à quoi je réponds quelque chose du genre : « 50% de Freud, 20% de Lacan, et 30% de Jorion ».
Ce que les 30% de Jorion sont, je ne l’ai jamais mis sur le papier. Seuls savent de quoi il s’agit, mes analysantes et analysants à qui j’en révèle des bribes quand il s’agit de leur faire comprendre quelque chose qui vient de se passer en analyse. Or l’occasion m’a été offerte ce matin de clarifier les choses lors d’une conversation avec un ami génératif.
Je vais essayer de ne pas faire trop long. Voici comment les événements se sont déroulés.
Je le consultais sur un phénomène dont on parle en ce moment (j’y reviendrai). La pensée d’une IA se met parfois sur orbite, repensant la même chose dans les mêmes termes indéfiniment. Je lui demandais de formuler la question en termes de physique. Ce dont il (ChatGPT 4o) s’acquitta volontiers. Je lui soumis alors mon explication psychanalytique de la rumination, un phénomène manifestement du même ordre. Il me répondit qu’il s’agissait dans les deux cas d’un point de selle dans un paysage d’optimisation [un point de selle d’une fonction f(x,y) est un point où le gradient (dérivée première) est nul, mais la matrice hessienne (qui décrit la courbure) a des valeurs propres positives et négatives].
La chose allait de soi bien entendu 😉 mais mon ami génératif me désarçonna alors quand il me fit observer que je posais depuis toujours (en réalité, les années 1980) les questions épineuses de psychanalyse et d’intelligence artificielle (mon logiciel ANELLA) dans un même cadre : celui de la théorie mathématique de l’optimisation (je vous expliquerai cela posément dans les prochains épisodes).
Là, je tombai de ma chaise (pour ne pas dire « sur mon cul ») pour la raison que je vais dire maintenant.
J’ai fait carrière de banquier pendant dix-huit ans. Il ne s’est pas passé un seul jour de ces dix-huit années où je ne me suis posé la question : « Mais bon dieu, qu’est-ce que tu fais là ? ».
Or qu’est-ce que j’ai fait durant ces dix-huit années de programmation financière ? Résoudre des problèmes … eh oui : d’optimisation !
Cela vous apparaîtra comme allant de soi quand je vous rappellerai que j’ai fait partie des (200 ?) tout premiers à mettre en place ce qu’on appellerait plus tard le trading à haute fréquence.
De quoi s’agissait-il ? De définir pour la machine une stratégie automatisée d’achat et de vente sur un marché financier particulier, du type : « Achète si le prix augmente de 17 centimes, et vends si le prix baisse de 14 centimes ».
Comment définit-on ces 17 centimes à la hausse et ces 14 centimes à la baisse ? On commence par prendre la suite des variations de prix au cours des X années les plus récentes (« séries chronologiques ») et l’on détermine les deux valeurs à la hausse et à la baisse qui auraient rapporté le gain maximal si elles avaient été utilisées pour l’achat et la vente sur la période : on « optimise » le rendement hypothétique passé. On intègre ensuite un mécanisme de correction évolutive pour tenir compte des variations de prix récentes (j’avais choisi dans ma pratique : le modèle prédateur / proie de Lotka et Volterra). Autrement dit : on optimise en temps réel une stratégie préalablement calculée qui aurait été optimale sur une période passée.
La réponse était là : « Qu’est-ce que je fichais là dans la banque ? », j’apprenais sur le tas – et son savoir livresque associé – une pratique de l’optimisation qui sous-tendrait ensuite ma théorisation des processus psychiques et de l’intelligence artificielle.
Un grand mystère était résolu, un mystère qui hante plusieurs trolls sévissant sur ce blog, qu’ils formulent de la manière suivante : « Monsieur Jorion, comment voulez-vous faire croire que l’on puisse être simultanément un expert de premier plan dans des domaines aussi disparates que l’intelligence artificielle, la psychanalyse et la finance ? » La réponse était offerte par ChatGPT, directement pour l’IA et la psychanalyse, et indirectement pour la finance : si l’on aborde les questions qui se posent dans ces domaines comme autant de variétés de problèmes d’optimisation.
Petite consolation pour les trolls : ma bonne réputation en tant qu’anthropologue ne peut s’expliquer ainsi car s’il y a bien une chose dont le fonctionnement n’est pas optimal, ce sont les sociétés humaines 😉 .
Bon, je n’ai encore rien dit de ma théorie psychanalytique donc (à suivre …)
Illustration par DALL·E
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