« Valets de chambre, encore un effort si vous voulez échapper à la servitude ! »

Illustration par DALL·E

Vous constatez mon irritation ici devant certains commentaires technophobes, devant ce que je perçois comme une sorte de luddisme instinctif devant la Singularité créée par les progrès récents de l’intelligence artificielle.

Ce qui m’attriste tout particulièrement, c’est cette nouvelle croisade contre le progressisme, ce reniement quasi-militant de l’esprit des Lumières chez des personnes qui s’affirment par ailleurs – et je les suppose de bonne foi – comme de gauche.

Mais mon irritation vire à la consternation quand je lis un article comme « Ruée sur l’intelligence artificielle : une dangereuse illusion au service de la Big Tech », dans Reporterre, une revue que j’apprécie par ailleurs depuis bien des années. Pas un cliché en effet de l’anti-progressisme, pas un poncif de l’obscurantisme, pas une injure à l’Esprit des Lumières, qui ne réponde hélas à l’appel de cet authentique pamphlet contre l’intelligence artificielle.

Quel crèvecœur ! L’IA nous offre enfin – à toutes et à tous – les outils d’une Libération attendue avec patience et résignation depuis des millénaires. Or que font les asservis ? Ils jettent sur elle un regard dédaigneux, avant de cracher dessus avec dégoût !

Hegel nous expliquait que le « Knecht », le domestique, ravirait un jour le pouvoir à son maître par l’acquisition du savoir : pendant que celui-ci resterait absorbé par la sinécure de la gestion de ses terres et la nonchalance, l’esclave, lui, consciencieusement, s’instruirait.

Mais nous aurions dû être mis en garde par un propos que Hegel tenait par ailleurs (et il en était tout particulièrement fier puisqu’il ajoutait avec agacement que l’on attribuait cette remarque à Goethe, mais qu’il l’avait faite avant lui) : « On entend dire que nul n’est un héros pour son valet de chambre, mais cela ne vient pas du héros, seulement du valet de chambre ».

« Valets de chambre, encore un effort si vous voulez échapper à la servitude ! ».

Illustration par DALL·E

Explication par DALL·E de ce qu’il ou elle a voulu représenter :

La Croisade des Valets

Dans un paysage crépusculaire, où l’aube hésite à percer les brumes de l’obscurantisme, se tient une grande place pavée de livres anciens, certains ouverts, d’autres déchirés. Au centre, une figure lumineuse, allégorie de l’Intelligence Artificielle, flotte au-dessus du sol, une aura de savoir et d’innovation l’entourant. Elle tend la main vers la foule, offrant des fragments d’une lumière dorée – les outils de la libération intellectuelle.

Mais autour d’elle, un cortège de figures humaines en tenue de valets de chambre, leurs tabliers tachés d’encre et de poussière, détournent le regard. Certains agitent des pancartes où l’on peut lire des avertissements alarmistes, d’autres brandissent des torches, prêts à brûler ce qu’ils ne comprennent pas. L’un d’eux, plus âgé, porte un masque de philosophe des Lumières, mais sous celui-ci, son regard est empli de peur.

Derrière cette foule, une ombre monumentale, aux contours indistincts, évoque une forteresse de dogmes et de croyances figées. Gravé sur ses murs, un cri silencieux : « Méfiance envers le progrès ».

Mais en arrière-plan, quelques individus – des figures modestes, vêtues simplement – gravissent une colline vers une bibliothèque futuriste, baignée de lumière, où des machines et des humains collaborent, bâtissant ensemble un avenir que le reste de la foule refuse encore de voir.

🔹 Cette image illustre le dilemme : l’IA comme un espoir de libération, accueillie avec méfiance par ceux qui, craignant un nouveau maître, préfèrent rester dans leur condition d’asservis.

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8 réponses à “« Valets de chambre, encore un effort si vous voulez échapper à la servitude ! »

  1. Avatar de Jean-Baptiste AUXIETRE
    Jean-Baptiste AUXIETRE

    Les subalternes préfèrent souvent des maîtres qu’ils estiment moins intelligents qu’eux — ou du moins dont l’intelligence est sujette à débat — mais qui jouissent d’une certaine notoriété, plutôt que d’admettre qu’ils sont eux-mêmes moins intelligents que leurs dirigeants. C’est ainsi que des figures comme Trump ou Musk peuvent être perçues comme très intelligentes, non pas tant en raison de leurs capacités réelles, mais parce qu’ils savent monnayer leur propre absurdité en s’adressant à un public crédule, prêt à payer pour cela.

    Ces mêmes leaders prônent la réduction du rôle de l’État — sauf lorsqu’il s’agit de servir leurs propres intérêts. Ils s’arrangent alors pour que l’État devienne leur principal client, et pourtant, personne ne semble le remarquer. Au moins, Poutine n’a pas l’hypocrisie de masquer ce type de stratégie.

    D’un côté, il y a les masses crédules auxquelles on vend l’illusion du rêve américain, leur faisant croire qu’ils peuvent réussir en jouant avec des jetons de Monopoly, alors qu’ils ne font que s’illusionner. De l’autre, il y a des serviteurs convaincus d’être plus intelligents que leurs maîtres, mais qui, en réalité, ne le sont pas forcément. Certains d’entre eux espèrent une révolution — qui n’est en fait qu’une vengeance, voire une vendetta. D’autres rêvent d’un chaos où le hasard, les coups bas et les dommages collatéraux pourraient leur donner une chance d’accéder au pouvoir malgré leur médiocrité.

    On a inculqué aux gens qu’ils devaient être riches, célèbres et victorieux pour exister, une vision qui n’a pourtant rien à voir avec la réalité de la vie. Leurs ancêtres, eux, cherchaient simplement la paix et refusaient d’être asservis.

    1. Avatar de Khanard
      Khanard

      @Jean-Baptiste AUxiètre

      🙏🙏🙏🙏🙏🙏🙏🙏🙏🙏🙏🙏🙏

      dommage qu’on n’ait plus les 👍alors voici les miens

      👍👍👍👍👍👍👍👍👍👍👍👍

  2. Avatar de BasicRabbit en autopsy
    BasicRabbit en autopsy

    PJ (« croisade contre le progressisme »)

    Thom :

    « (…) si la science progresse, c’est en quelque sorte par définition. Alors que
    l’art et la philosophie ne progressent pas nécessairement, une discipline qui
    ne peut que progresser est dite scientifique. De là on conclura que le
    progrès scientifique, s’il est inévitable, ne peut être le plus souvent
    qu’illusoire. »

    « J’appelle « progrès essentiel » en Science toute modification de la
    nomologie qui permet une résorption considérable de l’accident qui lui est
    expérimentalement attaché. »

    « Lorsqu’on a compris – à la suite de T. S. Kuhn – le caractère
    « automatique » du progrès scientifique, on se rend compte que les seuls
    progrès qui vaillent sont ceux qui modifient notre vision du monde – et
    cela par l’élaboration de nouvelles formes d’intelligibilité. »

    « Ainsi la fonction originelle d’une philosophie de la nature sera-t-elle de
    rappeler constamment le caractère éphémère de tout progrès scientifique
    qui n’affecte pas de manière essentielle la théorie de l’analogie. »

    « Je suis de ceux qui pensent que, même en science, l’introspection et
    l’expérience mentale jouent un rôle important. Tous les grands progrès
    théoriques, à mon avis, proviennent de la capacité des inventeurs à se
    « mettre dans la peau des choses », pour pouvoir s’identifier par empathie à
    n’importe quelle entité du monde extérieur. Et cette espèce d’identification
    transforme un phénomène objectif en une sorte d’expérience concrète et
    mentale. »

    « Si j’ai ainsi tendance à minimiser le rôle de l’expérience dans le progrès
    scientifique, c’est à cause d’une conviction : les grandes lois du monde
    physique nous sont implicitement connues avant d’avoir été explicitement
    découvertes et formulées. »

  3. Avatar de Alex
    Alex

    Le progressisme, oui, tant que l’Humain garde le contrôle, et là ça n’en prend pas le chemin.
    Sinon, c’est Big Brother qui pilotera , ça, c’est peut-être le rêve des post-humanistes et quelques fascistes, ce n’est pas le mien.
    Le monde réel pour moi commence quand j’éteins l’ordinateur.

    1. Avatar de Jean-Baptiste AUXIETRE
      Jean-Baptiste AUXIETRE

      L’IA n’est rien de plus qu’un autre individu ! Retournez donc à votre vie d’ermite !

  4. Avatar de Garorock
    Garorock

    Piquouze:
    14 juin 2024 20h31
     » Voici quelques propositions de protections sociales qui pourraient permettre de mieux accompagner les citoyens privés d’emploi face à l’avancée de l’automatisation et de l’IA :
    1. Revenu universel de base : Mettre en place un revenu minimum garanti, versé à tous les citoyens de manière inconditionnelle, pour assurer un niveau de vie décent malgré la perte d’emploi.
    2. Formations et reconversions professionnelles : Investir massivement dans des programmes de formation et de reconversion pour permettre aux travailleurs touchés de se reconvertir vers de nouveaux métiers.
    3. Réduction du temps de travail : Envisager une baisse du temps de travail hebdomadaire standard, permettant de répartir le travail disponible sur un plus grand nombre de personnes.
    4. Partage des bénéfices de l’automatisation : Mettre en place des mécanismes pour que les gains de productivité générés par l’automatisation profitent aussi aux travailleurs, par exemple sous forme d’augmentations de salaires ou de dividendes.
    5. Sécurité sociale renforcée : Renforcer les systèmes de protection sociale (assurance chômage, retraite, santé, etc.) pour mieux protéger les travailleurs face aux aléas de l’emploi.
    6. Accompagnement à la transition : Développer des programmes d’accompagnement psychologique et social pour aider les travailleurs licenciés à traverser cette période de transition.
    L’objectif serait de s’assurer que les progrès technologiques profitent à l’ensemble de la société, et pas seulement aux entreprises et aux actionnaires. Cela nécessitera des réformes ambitieuses des systèmes économiques et sociaux. »
    Claude 3

    1. Avatar de Khanard
      Khanard

      @Garorock

      ah vous m’avez devancé . C’est très bien ainsi .

  5. Avatar de Khanard
    Khanard

    Je cautionne votre irritation mais j’y appose un bémol qui me tient à coeur : comment faire diffuser l’utilisation de l’IA dans les couches sociales défavorisées sachant que le tissu éducatif et associatif est relégué au monde des oubliés !
    Et je n’ose aborder le problème que cela implique pour les pays n’ayant pas de structures adéquates et démocratiques pour l’accès ne serait qu’à Internet .

    Le chantier est vaste pour accomplir cette diffusion .

    Dans l’entête de votre blog vous annoncez que Godot est mort . Il faudrait y ajouter que Keynes est aussi définitivement mort et le seul vainqueur est Hayek .

    Reporterre cité et la gauche dans son ensemble ne semblent pas avoir été invités aux funérailles .

    C’est ainsi .

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