École de Guerre – La guerre silencieuse et la mobilisation stratégique à l’ère de la guerre des infrastructures, le 12 mars 2025 de 13h30 à 17h00

Illustration par DALL·E

Intervention de Paul Jorion lors du panel 3 du PARIS DEFENCE AND STRATEGY FORUM : La guerre silencieuse et la mobilisation stratégique à l’ère de la guerre des infrastructures

La guerre doit être évitée à tout prix. Cependant, notre volonté de paix ne constitue pas une assurance contre l’agression d’un adversaire animé de moins nobles intentions.

Déclaration de principe : Redéfinir la nature de la guerre

« Lorsque nous parlons de la guerre aujourd’hui, force est de reconnaître son changement de forme au cours des années récentes. L’intelligence artificielle, le numérique en général, jouent un rôle prépondérant dans cette évolution. Le champ de bataille n’est plus uniquement défini par des chars, des missiles et des soldats, mais de plus en plus par des perturbations silencieuses mais dévastatrices. La guerre de l’avenir ne sera peut-être pas toujours menée à l’aide d’explosifs – il pourrait s’agir d’une guerre de paralysie, d’une guerre où l’objectif n’est pas de détruire mais de geler. Dans un tel scénario, la clé de la défense n’est pas seulement la préparation militaire, mais la résilience de la société : la capacité de maintenir les fonctions essentielles lorsqu’un adversaire cherche à nous immobiliser. »

Contexte : Une guerre d’immobilisation plutôt que de destruction

Les conflits en Ukraine, au Moyen-Orient et dans la région indo-pacifique suivent toujours les schémas conventionnels de la guerre cinétique, mais nous assistons à l’émergence d’une nouvelle stratégie : cibler la capacité d’un adversaire à fonctionner plutôt que sa capacité à combattre.

Les infrastructures – réseaux énergétiques, chaînes d’approvisionnement, systèmes financiers, réseaux numériques – sont désormais autant de cibles privilégiées.

Une guerre de paralysie signifie que la mobilisation ne consistera plus à rassembler des troupes, mais à faire en sorte que nos sociétés puissent continuer à fonctionner en cas d’attaque systémique.

Appliquer le cadre des 4B à une guerre silencieuse (Build, Buy, Borrow, Bridge)

Construire – Fortifier notre résilience numérique et physique

Nous devons mettre en place des redondances systémiques dans les infrastructures essentielles – énergie, transports, finances, communications – afin que les sociétés ne s’effondrent pas si les systèmes primaires sont compromis.

Cela signifie décentraliser les services essentiels, renforcer la cybersécurité des secteurs financiers et industriels et veiller à ce que les infrastructures physiques puissent fonctionner sous la contrainte.

Acheter – Investir dans la préparation du capital technologique et humain

Les gouvernements doivent investir dans la cyberdéfense et les contre-mesures basées sur l’IA de manière aussi agressive qu’ils investissent dans la défense conventionnelle.

Une guerre silencieuse est menée par le contrôle de l’information, des systèmes et de l’automatisation. Qui contrôle l’IA, qui contrôle le réseau, le marché boursier, l’internet, l’emporte sur le terrain.

Garantir l’autonomie opérationnelle, suppose accorder la priorité à la reconversion des populations pour qu’elles puissent travailler dans les industries stratégiques et de haute technologie.

Emprunter – tirer parti des infrastructures civiles et d’entreprise existantes

La mobilisation dans une guerre silencieuse nécessite des partenariats stratégiques avec des acteurs privés qui contrôlent des infrastructures clés :

Les compagnies d’énergie, les fournisseurs de cloud, les géants des télécommunications, les chambres de compensation financière.

En cas d’urgence, les États doivent être prêts à réquisitionner des actifs privés, comme ils le feraient dans une guerre cinétique.

L’Europe, par exemple, doit coordonner des stratégies transfrontalières de défense numérique et énergétique pour éviter qu’une attaque ciblée sur un pays ne paralyse le continent.

Pont – Renforcer le partenariat civilo-militaire

La distinction entre résilience militaire et résilience civile s’estompe. Les citoyens sont des combattants dans une guerre des infrastructures, qu’ils le veuillent ou non.

Les sociétés doivent développer de nouvelles formes de résilience distribuée, où les communautés locales peuvent maintenir les services de base même lorsque le contrôle central est perdu.

Il faut pour cela repenser le service national : au-delà de la conscription militaire, avons-nous besoin de cyberréserves, de réseaux logistiques, de plans de continuité gérés par l’IA ?

Principaux défis : Qu’est-ce qui peut être mobilisé, qu’est-ce qui peut être risqué ?

Qui doit être mobilisé ? La logique traditionnelle de mobilisation, qui consiste à exclure les travailleurs stratégiques et à appeler les forces de réserve, doit être élargie pour inclure les cyberdéfenseurs, les spécialistes des technologies de l’information et les travailleurs de l’industrie.

Que pouvons-nous risquer de perdre ? Si nous passons d’un état d’esprit de guerre cinétique à un état d’esprit de guerre d’immobilisation, nos seuils de risque acceptable changent. Pouvons-nous nous permettre des pannes d’électricité temporaires ? Le gel de l’économie ? Des pénuries alimentaires ?

À quelle vitesse pouvons-nous passer de la paix à la mobilisation totale ? Les nations doivent se préparer à des scénarios catastrophes dans lesquels des perturbations à grande échelle se produisent en quelques minutes, et non en quelques semaines. Les gouvernements doivent préparer des protocoles de réaction rapide qui ne s’appuient pas sur les délais bureaucratiques habituels.

Conclusion : Une guerre future que peu peut-être verront de près, mais que tous ressentiront

« La prochaine guerre ne fera peut-être pas la une des journaux, mais nous la ressentirons dans notre vie quotidienne. Les lumières s’éteignent. Les trains cessent de circuler. Les supermarchés restent vides. Les comptes bancaires sont gelés. Dans une telle guerre, la mobilisation ne consiste plus à armer des soldats, mais à veiller à ce que les sociétés ne soient pas paralysées.

L’état de préparation de l’Europe en matière de défense n’est pas seulement une question d’armements, mais aussi la résilience – économique, numérique et sociétale. Notre capacité à résister à une guerre d’immobilisation déterminera si nous restons opérationnels ou si nous nous effondrons à la première frappe ciblée. Cela doit être notre priorité face aux menaces émergentes ».

Voir aussi :

L’IA pourrait-elle déboucher sur des guerres sans morts ? le 19 décembre 2024

Si l’IA débouchait sur des guerres sans morts, la mobilisation générale et la conscription se justifieraient-elles encore ? le 25 décembre 2024

Parler de finance, d’IA ou d’autres choses comme … la guerre ? le 7 janvier 2025

Illustration par DALL·E

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3 réponses à “École de Guerre – La guerre silencieuse et la mobilisation stratégique à l’ère de la guerre des infrastructures, le 12 mars 2025 de 13h30 à 17h00”

  1. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    Délocaliser, répartir, assouplir, décentraliser.
    Pas bon pour les régimes centralisateurs et unificateurs, vive la diversité, la redondance, le libre et le partage.
    Nous allons passer des dinosaures aux petits mammifères dans le sillage de la météorite Trump.
    Les cités vont devoir se réinventer ou disparaître.

  2. Avatar de Hervey

    Douche froide.
    L’espérance suscitée par les gains technologiques va se volatiliser et passer en pertes et profits.

  3. Avatar de Pad
    Pad

    En considérant l’approche de Pribor.io avec son projet SAM, qui vise à développer des machines auto-conscientes en s’appuyant sur une compréhension profonde de la psyché humaine, comment pouvons-nous concevoir une société résiliente face aux menaces d’immobilisation, sans tomber dans une surveillance omniprésente, en équilibrant une organisation stratégique descendante (top-down) et une adaptabilité ascendante (bottom-up) ?

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