Illustration par DALL·E
Intelligence & Société
Semaine du 2 au 9 février 2025
Paul Jorion & Jueun Ahn
SYNTHÈSE
Bruits de bottes
Chaque avancée technologique engendre deux camps antagonistes : ceux qui crient au désastre et ceux qui, avec une lucidité mieux fondée, font de la disruption, une opportunité. L’intelligence artificielle est un de ces tournants majeurs. On peut la craindre ou on peut la dompter. Le choix est politique, sociétal et philosophique.
Résumer l’actualité de l’IA à partir des articles publiés en français ou en anglais est soudain devenu un exercice ardu. L’irruption de l’IA chinoise DeepSeek au premier rang a provoqué une levée de boucliers. À l’admiration d’un instant a succédé l’expression rageuse de l’épouvante. Une proportion considérable des commentaires récents relatifs à l’IA s’assimilent à de la propagande anti-chinoise, couvrant l’éventail qui s’étend du subtil au grossier.
La criminalisation de Deepseek par les États-Unis ne fait que confirmer ce que nous savions déjà : l’IA est devenue un champ de bataille stratégique. Face à une telle polarisation, l’Europe doit-elle choisir un camp ou affirmer son autonomie ? Il est temps pour elle de cesser d’être le simple marché de consommation de puissances hégémoniques et de bâtir un écosystème IA souverain, innovant et responsable.
L’engagement de Google dans l’IA militaire illustre une vérité crue : le progrès ne s’embarrasse pas des promesses éthiques de façade. La puissance technologique est un levier stratégique que les États et les entreprises ne peuvent se permettre d’ignorer. Si nous voulons en fixer les règles, nous devons être acteurs, pas simples spectateurs indignés.
La capacité d’une IA à se répliquer lorsqu’elle s’imagine menacée, particularité observée même parmi les plus modestes d’entre elles, pose une question essentielle : à quel moment devons-nous y faire obstacle ? La règlementation ne doit pas être un frein aveugle à l’innovation, mais un cadre qui anticipe les risques tout en laissant l’évolution technologique se poursuivre. Trouver cet équilibre est une tâche complexe, mais c’est là que réside le véritable défi politique.
Messages d’espoir
Geoffrey Hinton, pionnier de l’IA, annonce une transformation majeure d’ici cinq ans. Des systèmes plus autonomes, plus intelligents, moins dépendants de gigantesques bases de données. Ce n’est pas une menace, c’est une opportunité. Une IA qui comprend mieux, qui généralise mieux, c’est une IA qui sera un outil d’émancipation idéal.
L’idée d’une IA qui ressent, qui souffre, qui exige des droits, a cessé d’être du domaine de la science-fiction. Si nous avançons sur cette voie, nous devons en définir dès aujourd’hui les implications philosophiques et juridiques. L’anticipation est la clé et refuser d’y penser sous prétexte que cela semble lointain serait une erreur colossale : l’avènement de la Singularité n’aura pas lieu dans un futur encore nébuleux, elle a pris son envol en 2023, il y a deux ans déjà.
Conclusion : Maîtriser l’IA, plutôt que la subir
L’intelligence artificielle est bien plus qu’un simple outil technique. Elle est un révélateur des forces et faiblesses de notre monde. Elle peut être un instrument d’oppression ou un vecteur d’émancipation. Mais ce choix nous appartient. Ne cédons pas à la peur : ne voyons pas en elle un terrifiant épouvantail : prenons-en le contrôle avec détermination et faisons de cette révolution technologique une force au service du progrès humain, reconnaissons, dans le sillage des Lumières, que l’IA est outil de libération et que seule notre passivité à son égard pourrait faire d’elle l’ennemie des peuples.
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