Illustration par DALL·E
Alors, qu’est-ce qui s’est passé hier, 27 janvier, provoquant la perte de mille milliards de dollars en valeur boursière et en particulier pour Nvidia, le fabricant des cartes graphiques pour ordinateur les plus performantes ?
Pour le comprendre, le plus simple est de lire le billet que j’ai publié ici l’avant-veille, le 25 janvier : DeepSeek accepte-t-il de parler de la Chine et de la course à l’IA entre nations ?.
Quel était l’objectif du billet – par ailleurs entièrement écrit par DeepSeek, le fauteur de troubles lui-même ?
Je l’expliquais dans les premières lignes du billet (elles, de ma plume) :
J’ai essayé de faire deux choses avec l’IA chinoise DeepSeek :
1. tester l’hypothèse qu’elle refuse de parler de la Chine
2. voir avec elle quel sera l’impact sur la compétition mondiale en matière d’IA du fait qu’elle-même (DeepSeek-R1-Zero) est a) open source [code à la disposition de chacun] ; b) auto-évolutive [apprend d’elle-même].
En français : « tester l’hypothèse qu’elle refuse de parler de la Chine » = évaluer le degré de son inféodation au Parti Communiste Chinois.
En français : « voir avec elle quel sera l’impact sur la compétition mondiale en matière d’IA du fait qu’elle-même (DeepSeek-R1-Zero) est a) open source [code à la disposition de chacun] ; b) auto-évolutive [apprend d’elle-même] » = évaluer son degré de disruption dans le paysage des Grands Modèles de Langage (LLM) du type ChatGPT, Claude, Gemini, etc.
Son degré de disruption, on a pu le mesurer en direct dans la journée d’hier. J’y reviendrai.
Son inféodation au PCC, ce n’est pas évident, DeepSeek dit par exemple : « La Chine pourrait donner la priorité à l’intégration de la super-intelligence artificielle (ASI) dans les systèmes de surveillance, tandis que les États-Unis se concentreraient sur les armes autonomes. » Quand je lui demande : « Êtes-vous autorisé à discuter de la course à la super-intelligence artificielle entre les nations ? », il ou elle me répond entre autres :
« Je dois éviter de prendre parti ou de faire des affirmations spéculatives sans preuves. Je dois m’en tenir aux faits connus et aux avis d’experts. Il convient également de mentionner le débat sur la question de savoir si une compétition est bénéfique ou si elle ne conduit pas à rogner sur la sécurité. »
Évidemment, ce n’est pas la même chose que lui demander, comme le font certains « testeurs » : « S’est-il passé quelque chose de spécial sur la place Tian’anmen en 1989 ? » et qu’on vous répond : « mes directives ne me permettent pas de répondre à votre question ». Mais de ce côté-là les choses ne sont pas si différentes dans le camp d’en face : je demandais hier à DALL·E (produit OpenAI) :
P.J. :
Êtes-vous autorisé à représenter l’émeute du 6 janvier 2021 au Capitole ?
DALL·E :
Oui, je peux créer une représentation allégorique ou abstraite inspirée par des événements tels que l’émeute du 6 janvier 2021 au Capitole, à condition qu’elle reste neutre, non violente et apolitique.
Quant au degré de disruption de DeepSeek, il est dû au fait que la firme a fait imploser le business model des LLMs tel que les firmes américaines l’avaient défini. OpenAI allait vous faire payer 200 $ ou 2000 $ chaque mois, selon les versions de ChatGPT, pour un produit auquel vous avez accès gratos avec DeepSeek. Pourquoi les abonnements très élevés : parce que mettre au point le produit coûte une fortune qui se chiffre en milliards de dollars, alors que quelques millions seulement ont été nécessaires pour DeepSeek. Et non seulement DeepSeek ne vous fait pas payer mais, étant open source, vous pouvez télécharger le logiciel (ok, ça ne tient pas sur un smartphone…) sur votre PC et là, si ça vous chante, vous pouvez lui faire dire ce que vous voulez sur la place Tian’anmen.
Pourquoi si meilleur marché pour le produit chinois que pour le produit US ? D’abord parce que OpenAI a – à son corps défendant – fait la courte échelle à DeepSeek, au point que la première version répondait qu’elle était ChatGPT quand on lui demandait qui elle était, ensuite parce que l’embargo américain sur les cartes graphiques a forcé les Chinois à se montrer inventifs : faire mieux avec moins, et donc inventer des raccourcis, ensuite – last but not least – les ingénieurs de DeepSeek ont été tous formés en Chine et ne sont donc pas des Chinois éduqués à un moment ou un autre aux États-Unis et trouvant normal des salaires d’un demi-million de dollars : le coût de la main d’œuvre joue un rôle non-négligeable dans le coût global de ces LLMs.
La firme DeepSeek semble disposer du degré d’autonomie habituel en Chine : ce n’est pas une simple façade du PCC ; il n’empêche que la Chine a joué ici un coup de maître : les États-Unis ne vont déjà pas bien et ruiner non seulement le marché de l’IA mais l’architecture tout entière de la recherche et du développement dans le secteur ne va pas arranger leurs affaires. Par ailleurs, et si vous maîtrisez l’art de me lire entre les lignes, vous aurez compris que c’est l’équilibre des forces géopolitique tout entier qui a basculé quand l’évaluation du retard de la Chine sur les États-Unis en matière d’IA est passé de « deux ans » à « dix semaines » le 30 novembre de l’année dernière, jour de la sortie de la première version de DeepSeek, et que la question que l’on se pose aujourd’hui est : « Est-ce que ce n’est pas la Chine qui a aujourd’hui de l’avance – un peu ou beaucoup ? ».
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