UN NOUVEAU « NOUS » POUR DES TEMPS NOUVEAUX. XII. L’IA a le grand tort d’être … artificielle

Illustration par DALL·E

L’IA a le grand tort d’être … artificielle

La recherche scientifique n’est pas pour autant devenue en Occident une entreprise de tout repos à partir du XVIe siècle : l’image du fruit défendu de l’arbre de la connaissance a perduré, se manifestant notamment par un dénigrement endémique de l’innovation technologique. Nous, Occidentaux, dévalorisons en effet systématiquement sur le plan intellectuel nos ajouts technologiques au monde, nos inventions, en les qualifiant d’« artificielles », un mot aux connotations négatives et péjoratives, même quand nous les adoptons d’enthousiasme dans la pratique.

Bien qu’infondée, cette dévalorisation est omniprésente : qui d’entre nous est indifférent à l’argument « … mais il existe aussi un remède naturel à ce mal » alors que le médicament de synthèse, « artificiel », a été spécifiquement conçu pour guérir le patient et qu’il est dépourvu de tout composant coexistant naturellement et susceptible de produire un effet secondaire indésirable. Cette connotation négative attachée à nos propres inventions, jugées « artificielles », est une autre des raisons pour lesquelles nous avons été pris au dépourvu par l’irruption d’une intelligence artificielle d’une qualité éventuellement supérieure à celle de l’article d’origine.

Même si nous sommes restés circonspects à l’idée que l’objet fabriqué par l’homme puisse égaler en qualité l’objet naturel authentique, nous avons admis à contrecœur qu’il était possible pour nos inventions d’égaler ce que l’on trouve dans la nature ; nous n’en restons pas moins mal à l’aise à l’idée que l’artificiel puisse éventuellement surpasser le naturel. Ce n’est évidemment pas le cas lorsqu’il s’agit d’objets technologiques complexes comme un audacieux pont suspendu ou une fusée spatiale, des objets qui nous paraissent extrêmement éloignés de la personne que nous sommes, mais c’est tout particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de l’un de nos composants comme notre esprit : la psyché humaine, même si nous serions bien en peine de définir de quoi il s’agit précisément.

Une croyance inconsciente subsiste selon laquelle l’artificiel est par nécessité de moindre qualité que l’authentique naturel émulé : il demeure à nos yeux, un « ersatz » et, s’agissant d’une machine, nous insisterons sur le fait qu’aussi proche que soit son comportement du nôtre, quelle que soit la difficulté croissante à les distinguer, elle n’est jamais capable que de simuler ce qu’elle fait.

C’est dans ce préjugé envers l’artificiel que réside une autre source de notre stupéfaction devant l’intelligence artificielle désormais réalisée. Mais pourrons-nous continuer d’affirmer qu’une intelligence qui nous surpasse déjà sur bien des comparatifs se contente de simuler être plus intelligente que nous alors que nous lui déléguerons un nombre toujours plus grand de nos tâches intellectuelles et de nos décisions ?

Illustration par DALL·E

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7 réponses à “UN NOUVEAU « NOUS » POUR DES TEMPS NOUVEAUX. XII. L’IA a le grand tort d’être … artificielle

  1. Avatar de Pad
    Pad

    Et, Toi, Sydney ! Quel est ta capacité à évaluer objectivement les progrès de l’intelligence naturelle depuis 25 siècles, et pourra-t-on un jour considérer l’intelligence naturelle comme une entité véritablement intelligente, au-delà d’une simple simulation ?

  2. Avatar de BasicRabbit en psychanalyse
    BasicRabbit en psychanalyse

    Le dernier chapitre de Méthodes Mathématiques de la Morphogenèse (2ème ed.) est intitulé : « Aux frontières du pouvoir humain : le jeu » . En voici une phrase tirée de la fin, en rapport direct avec le billet du jour :

    « L’idée qu’il pourrait y avoir dans la nature des instances dont le comportement imiterait -tout en l’excédant- notre propre intelligence et ferait ainsi obstacle à nos desseins les mieux fondés, une telle idée n’est pas sans provoquer en nous un réel malaise. »

    En voilà maintenant le contexte.

    « Toute la science moderne est fondée sur le postulat de l’imbécillité des choses. Si ce postulat paraît assez bien fondé en Physique (où les difficultés théoriques proviennent le plus souvent du nombre infini des êtres à considérer), il n’en va plus de même en biologie (ni a fortiori dans les sciences humaines). Les phénomènes d’adaptation de certaines espèces vivantes devant nos traitements d’extermination chimiques ou biologiques devraient nous inciter à plus d’humilité. Plutôt que de les attribuer stupidement au hasard néo-darwinien de mutations favorables bien promptes à se réaliser, on ferait mieux de se demander si, là aussi, des structures simulatrices de l’intelligence humaine ne sont pas engagées. L’idée qu’il pourrait y avoir dans la nature des instances dont le comportement imiterait -tout en l’excédant- notre propre intelligence et ferait ainsi obstacle à nos desseins les mieux fondés, une idée n’est pas sans provoquer en nous un réel malaise. Car alors nos capacités de progrès dans le dévoilement de la nature s’évanouiraient et un monde bien triste, un monde sans jeu s’installerait, véritable tombeau de l’humanité. Ici, inutile d’évoquer l’existence d’ « extra-terrestres » qui nous domineraient. Il nous suffit d’imaginer qu’il existe des êtres de nature abstraite, quasi-platonicienne, qui puisse jouer ce rôle. Toute science avertie devrait accepter cette possibilité et se tenir prête à relever le défi. »

    À la fin de la conclusion d’un article consacré à l’innovation écrit en 1973 (*), Thom écrit :

    « Si nous continuons à priser par-dessus tout l’efficacité technologique, les inévitables corrections à l’équilibre entre l’homme et la Terre ne pourront être -au sens strict et usuel du terme- que catastrophiques. »

    (*) Article qui se trouve dans ma version de l’EU.

  3. Avatar de Garorock
    Garorock

    Pourquoi trouvons nous plus naturel, pour traverser la france, de monter dans un avion plutôt que sur le dos d’un gypaête barbu?

    1. Avatar de Pascal
      Pascal

      Parce que souvent c’est moins cher ! C’est ça le problème, ça coute encore souvent moins cher de polluer que d’être frugal en gazoual (c’est pour la rime).

  4. Avatar de Pascal
    Pascal

    Qu’est ce que c’est un « objet naturel authentique » ? Je croyais que le mot objet désignait tout ce qui était fabriqué par l’être humain ?
    Par ailleurs, je ne suis pas certain que l’être humain des villes soit véritablement amoureux de ce qui est « naturel ». Souvent le mot « naturel » est une argutie marketing destiné à rassurer le consommateur : nourriture naturelle, linge naturel, bois naturel, produits de beauté naturels… vs tous les trucs chimiques qui eux font peur.
    Pour preuve qu’on est pas très fana de nature, c’est qu’on aime bien la nature quand elle est aménagée et sécurisée par l’être humain avec des sentiers et des panneaux signalétiques comme dans les parcs urbains ou les parcs nationaux. Laissez une forêt s’encombrer de bois mort en décomposition, de ronces… naturelle quoi et vous verrez nombre d’entre nous faire la moue.
    Il me semble que l’amour du naturel pour l’être humain est avant tout un fantasme.
    Mais le rapport à la machine est souvent complexe avec à la fois de la fascination et de la peur surtout quand on a le sentiment de ne pas la maîtriser ou même simplement de ne pas en comprendre le mécanisme, bien que cette dernière remarque est de moins en moins vraie dans la mesure où nous utilisons quotidiennement des outils dont nous ne savons rien ou presque du fonctionnement.

    1. Avatar de Garorock
      Garorock

       » Mon dieu, que votre forêt est mal rangée !  » se serait écrié Madame Michu lorsqu’elle a croisé cro-magnon en sortant de chez Ikéa…
      😎

  5. Avatar de gaston
    gaston

    Même Louise n’aime pas l’artificiel :

    https://www.youtube.com/watch?v=BRTDC9Z5UdE

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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