La chute des marchés boursiers, après examen

L’indice Nikkei a Tokyo a repris ce matin 10% après avoir perdu 12% hier matin. S’il valait 100 avant-hier, il lui en restait donc 88 hier soir, dont 10% repris ce matin. Mais 10% de 88, cela fait, 8,8. Donc toujours une perte de 3,2% par rapport à avant-hier. Bref, si le Nikkei valait 100 avant-hier matin, il vaut 96,8 ce matin.

Après enquête, la chute était due à du « carry trade » à Tokyo : acheter du dollar pour du yen afin de bénéficier des taux plus élevés aux US. Or la banque du Japon a relevé les taux courts hier matin de manière agressive et inattendue, forçant les acteurs locaux du carry trade à vendre massivement.

Pendant ce temps-là hier matin à New York on a cru que la baisse à Tokyo était due aux chiffres de l’emploi US moins optimistes que prévu la veille, et que les Japonais anticipaient une récession aux États-Unis. Les autres bourses ont baissé en se disant que si Tokyo et New York chutaient, ils avaient sûrement de bonnes raisons.

Et quand on a compris à New York que la chute à Tokyo n’avait rien à voir avec l’emploi US mais résultait de la peur de l’inflation à Tokyo, on s’est remis à réfléchir aux pas très bons chiffres de l’emploi, cette fois dans une perspective de taux d’intérêt, à savoir que les taux courts US sont restés élevés trop longtemps, handicapant la bonne santé de l’économie, ce qui faisait que la tempête hier sur les bourses n’était pas tant due à la politique de taux de la Banque du Japon, haussant les taux courts japonais, qu’à la politique de taux de la Federal Reserve, maintenant trop longtemps hauts les taux courts américains.

Je rappelle du coup le raisonnement sous-tendant la croyance commune que c’est une excellente pratique de lutter contre l’inflation en haussant les taux courts. Le mécanisme supposé surprend toujours quand on l’entend pour la première fois. Le voici : comme le taux d’inflation bouffe une partie des gains des rentiers dont les rentrées consistent en flux d’intérêts perçus sous cette forme, à savoir « des intérêts », ou exprimés comme « dividendes » sur actions ou « coupons » d’obligation, il faut que les taux d’intérêt courts soient confortablement supérieurs au taux d’inflation. Vous l’aurez compris, il n’y a pas là de véritable mécanisme faisant que hausser les taux courts ferait baisser le taux d’inflation, il est juste question de la satisfaction des rentiers. Pourquoi pense-t-on alors que c’est une bonne idée de hausser les taux cours quand le taux d’inflation est élevé ? Du fait que le contentement des rentiers circule sous un autre nom : « la confiance des marchés » : une question de « moral des troupes » donc. Mais, comme nul ne l’ignore : à la guerre, la moral des troupes, il n’y a que cela en réalité !

Et puisqu’on parle de guerre (de classes), souvenons-nous de la guerre tout court : d’autres ont dit hier que « la confiance des marchés » est un peu impactée aussi ces jours-ci par la perspective d’un hoquet des guerres médiques entre la Grèce et la Perse (au Ve siècle av. J-C) sous forme d’une guerre généralisée au Moyen-Orient entre Israël et l’Iran. Mais là, bien sûr, « la confiance des marchés » déborde du quant-à-soi de la finance et il s’agit d’une toute autre histoire sur laquelle la théorie financière n’a pas grand-chose à dire.

Partager :

3 réponses à “La chute des marchés boursiers, après examen

  1. Avatar de Pascal
    Pascal

    Merci Paul pour ces éclaircissements d’expert.
    Une question de néophyte : pendant des années, on a injecté des « liquidités » par centaines de milliards grâce aux nombreux quantitative easing (si j’ai bien compris). Toujours si j’ai bien compris, a-t-on une idée de la quantité qui a été « réabsorbée » par le système et est ce que les valorisations des « actifs » (valeur réelle des entreprises  » ont été corrigées pour redevenir plus réalistes ?
    A l’occasion …

  2. Avatar de Pascal
    Pascal

    Je me faisais la réflexion suivante : on pourrait presque voir des similitudes entre les conséquences du réchauffement climatique et l’évolution des crises financières. Avec le réchauffement climatique, des évènements catastrophiques vont être de plus en plus fréquents et avec de plus grandes intensités. Ne va-t-il pas en être de même avec les marchés financiers ?
    Au FMI, certains suggèrent même que l’IA pourrait être un facteur de « réchauffement » économique en accentuant les crises.
    https://www.imf.org/en/News/Articles/2024/05/30/sp053024-crisis-amplifier-how-to-prevent-ai-from-worsening-the-next-economic-downturn
    A noter dans l’intervention de Mme Gita Gopinath évoque même du bout des lèvres les réflexions déjà existantes sur la taxation des IA (une taxe Sismondi ???) pour combler la perte des taxes sur les salariés. Elle propose même dans ses trois suggestions pour éviter que les IA n’agravent les crises économiques, une aide aux salariés… Un Revenu minimum ???😉

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Sur 10 ans c’est effectivement plus rassurant. Ça évite de considérer la crise de 2008 et la perfusion massive de…

  2. On pourrait ajouter: https://www.abcbourse.com/graphes/eod/KKYp/lc6 En visualisation sur 20 ans : 10.000 en moyenne sur 2010=> 2012 soit x4 en 12…

  3. La bourse , c’est du yoyo : ça monte et ça baisse , ça spécule Nikkei Japon: Lundi 05/08 :…

  4. On ne m’enlèvera pas de l »idée que toutes ces guerres, ces conflits, ces affrontements divers ont un rapport étroit avec…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta