Illustration par DALL·E (+Rodin) (+PJ)
Un article scientifique récent nous apprend que des IA ont passé avec succès des examens universitaires sans être détectées et Un test réel d’infiltration de l’intelligence artificielle dans un système d’examen universitaire : Une étude de cas du « test de Turing).
Est-ce que parler du test de Turing a encore le moindre sens ? Le test de Turing n’est-il pas devenu une notion obsolète dans son sens étroit ?
La question de savoir ce qu’il va rester de l’être humain après l’IA, d’un point de vue anthropologique, ne cesse d’enfler, jusqu’à envahir le ciel humain entier, telle une éclipse artificielle.
Que va-t-il rester de nous ? La réponse qui semble se dessiner est : rien. Ou presque, selon ce que nous décidons vouloir être encore. Si toutefois les déterminations du monde nous en laissent encore le loisir.
Entre le chasseur-cueilleur qui maîtrisait l’ensemble du savoir utile à la reproduction biologique, matérielle et culturelle (meilleur botaniste qu’un académique), et nous qui avons déjà vu notre immunité, notre force musculaire, notre mémoire, notre vue, notre sens de l’orientation, notre rythme de parole et notre capacité à traiter l’information massivement affectés par la technologie (en augmentation ou perte de capacité propre)… où allons-nous ?
Et si elle fait tout à notre place, qu’allons-nous faire de notre « temps de cerveau disponible » (expression d’un ancien CEO de TF1) après l’IA ? Plus de 90 ans d’espérance de vie sans rien faire, c’est long. Et nous supportons mal l’ennui.
Quel sera le sens de notre existence si nous ne devons même plus rien observer, comprendre, savoir, décider, faire ?
Sera-ce l’avènement de la liberté ou l’aube de l’aliénation définitive ?
Avant, nous avions au moins des tas de choses pratiques à faire absolument pour avoir au moins le luxe de nous poser la question le lendemain, avant de nous endormir, éreintés, dans nos chaumières. Avant de vivre, il fallait survivre. Et puis, nous avons l’opportunité d’exister. Et nous avons souvent préféré consommer plutôt que d’exister, en confondant les deux.
La technique a résolu le problème de la survie. L’automatisation des tâches manuelles, celui de la vie. L’IA va-t-elle résoudre le problème de l’existence en automatisant les tâches de l’esprit ?
L’automatisation de l’intelligence ne peut que provoquer un grand remplacement, pas celui qu’imagine l’extrême-droite, mais celui des travailleurs dits manuels et intellectuels, y compris au plus haut niveau de talent, qui subsistaient encore dans notre économie désormais archaïque (de l’ouvrier agricole jusqu’au chirurgien en passant par le cuisinier et l’orfèvre, du comptable au CEO en passant par l’avocat et l’informaticien).
J’ai discuté la semaine dernière avec un architecte retraité qui m’a dit qu’on pouvait désormais songer à automatiser totalement la conception des bâtiments à partir de prompts bien choisis adressés à une IA capable.
« Conçois-moi et donne-moi les plans pour un immeuble de 10 appartements passifs pour dix familles de 4 à 6 personnes, sur un terrain dont voici les coordonnées géographiques selon la législation urbanistique qui s’y applique (option : « dans le style de… Gaudi » / « avec bornes de recharge électrique pour véhicules »), pour un budget de 4 millions d’euros (option : « avec des matériaux durables »).
Et l’IA de calculer la meilleure disposition du bâtiment en fonction du sol, de l’ensoleillement, du climat, du voisinage, ses volumes, ses dimensions, ses affectations, ses flux techniques, ses systèmes de sécurité et d’adaptation, son esthétique, etc. En autant de plans que ceux que produisent les architectes humains.
Et puis, testons ce qui fait vraiment la puissance de l’IA : la puissance massive. « Conçois-moi une ville de 10 millions d’habitants à ces coordonnées géographiques, capable d’être résiliente à une réchauffement climatique de 3°C, autonome en énergie, la plus productrice d’alimentation possible, minimisant les temps de déplacement, avec 100 quartiers aux styles architecturaux différents, reflétants 100 personnalités de l’histoire de l’architecture humaine, et dont la devise serait « l’union fait la force » ».
Plus besoin d’architecte humain. Une minute après, nous avons le plan du bâtiment de 10 appartements. Quelques heures plus tard (un jour une minute), nous avons le plan de la mégapoles de 10 millions d’habitants, égouts, lignes à haute tension, centrales solaires et métro compris. Nous savons que l’IA est déjà en voie d’être capable de réaliser cela. Nous parvenons à l’aboutissement ultime de l’automatisation des tâches de traitement de l’information et de conception de solutions, y compris de création artistique.
Maintenant, transposons ceci dans toutes les sciences appliquées, tous les arts et toutes les professions libérales, ainsi qu’en politique.
Adieu Gustave Eiffel, Ambroise Paré, Raphaël, Marie Curie, Machiavel.
Ce n’est pas fini. L’IA descend déjà des cieux de la Noosphère pour s’incarner sur Terre et devenir moteur de l’histoire, dans un nouveau matérialisme algorithmique, qu’aucun Marx n’a encore pu imaginer. Sera-ce la vengeance de la superstructure sur l’infrastructure ?
L’année suivante, après que tous les architectes humains eurent pris leur retraite, grâce aux progrès des robots de construction, les verbes « construis-moi ce bâtiment », « bâtis-moi cette cité », s’ajouteront définitivement aux prompts . Et les robots autonomes de construire ces œuvres de l’esprit humano-artificiel, de A à Z.
Ainsi l’IA, en remettant en question le sens même des verbes « savoir », « imaginer », « créer » et « faire », interroge le sens résiduel du terme « être humain ».
À ceux qui ne l’ont pas encore compris, effectivement, elle a donc bien une portée ontologique et métaphysique pour l’Humanité.
Nous devons nous repenser entièrement, à nouveau frais.
Peut-être l’IA, dans son immense et froide bienveillance, voudra-t-elle bien nous accompagner dans ce rite de passage douloureux, afin de nous aider à formuler notre nouvelle raison d’être ?
Elle qui semble déjà capable de philosopher.
Illustration par DALL·E (+Phidias) (+PJ)
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