Les carnets du psychanalyste – Un dur métier ?

J’ai pratiqué à une époque un dur métier : la pêche en mer. Je ne l’ai pas pratiqué longtemps : 15 mois, et pas sous sa forme la plus dure : je n’ai pas pêché pendant des semaines sur les Bancs de Terre-Neuve ou au large des Féroés, mais je l’ai assez pratiqué, et parfois dans des conditions dangereuses, pour avoir compris que c’était un dur métier. Je me souviens quand Jean-Michel me disait en riant : « Il y avait ce touriste qui m’avait accompagné cet été, qui me disait en regardant la mer étale : ‘Ah ! comme vous faites un beau métier !’ ». On riait tous les deux en pensant à la journée qu’on venait de passer.

Être psychanalyste n’est pas un dur métier dans ce sens là de l’expression, celle du Capitaines courageux de Kipling ou de La caravane de Pâques de Roger Vercel *, mais au sens où parfois – oui, je sais, on est pourtant confortablement calé dans son fauteuil – il faut, après avoir épuisé toutes ses forces, aller puiser dans ses réserves, pour ramener à bon port, une âme qui était en train de sombrer.

* Voir aussi Le Monde – « La caravane de Pâques de M. Roger Vercel », par Robert Coiplet, le 11 décembre 1948

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12 réponses à “Les carnets du psychanalyste – Un dur métier ?

  1. Avatar de gaston
    gaston

    Vous êtes en train de nous dire que quand vous exerciez le métier de marin-pêcheur vous étiez dans la ouate, et qu’en comparaison le métier de psychanalyste n’est pas coton…

    Deux fois en quatre jours que vous évoquez la difficulté de l’exercice, c’est rare de votre part, nous ne pouvons que vous souhaiter bon courage pour cette phase critique. (Et en plus il faut que vous vous occupiez de l’arsène !!! 😊)

    1. Avatar de Chabian
      Chabian

      « hi ! hi ! hi ! hi m’ennerve, hi m’ennerve » disait un comique faussement prestidigitateur…
      Je crains que l’Arsène et le Chabian ne puissent être ramenés à « bon port ». Ce sont des hauturiers, et ils essuient parfois des grains : rude métier ! 🙂

  2. Avatar de pierre guillemot
    pierre guillemot

    Digression : « La Caravane de Pâques » de Roger Vercel dont il est question dans le texte principal n’est plus disponible sauf d’occasion, mais a été réédité en numérique, 10 euros. D’autres romans de Roger Vercel, non réédités, ont été numérisés par Alexandriz et sont donc disponibles sur les sites de partage.

  3. Avatar de muyard guy aka Moody niane, nom donné. Et non ce n'est pas un signe de schizophrénie demander à Moebius gir giraud

    Bon, j’ai pas mal plongé dans les œuvres des théoricien de la psychanalyse de Freud en passant par Jung, Lacan et d’autres.
    Cependant à un moment, j’ai eu un problème d’équilibre émotionnel qui m’a durement secoué, je ne savais pas quoi faire, j’ai été voir un psychanalyste, un peu au hazard, sans recommandation, je n’avais pas beaucoup d’argent. Je me suis assis, il ne disait rien, je ne savais pas quoi faire, un quart d’heure de silence, à un moment, il m’a dit : parlez. J’ai donc parlé tout seul pendants les trois quart d’heure qu’il restait. Ça m’a soulagé. Puis vint le moment de payer. C’est 500 francs, me dit-il, à cette époque le SMIC était à 1500, et j’étais étudiant et travaillais à mi temps. Je lui répond : mais je n’ai pas cet argent sur moi. Pas grave me répond il , vous me payerez la prochaine fois, quand revenez vous. Je ne sais pas. Je n’y ai jamais remis les pieds. Quand je le sens mal, je parle avec quelqu’un psychologue gratuit ou n’importe qui. En Afrique, il y a beaucoup moins de névrosés qu’en occident. Là bas, on PARLE.

  4. Avatar de aslan
    aslan

    Y’aura-t-il rapidement des LLM psychothérapeutes ou psychanalystes à quelques centimes le million de tokens? Aucune idée, je suis curieux de votre avis, Paul.

    Y’a-t-il assez de donnée ? Un thérapeute doté d’empathie cognitive mais pas d’empathie émotionnelle fait-il le job ?

    Dans la perspective psychanalytique il faudrait que la machine achéve une analyse, j’imagine. Que donnerait une analyse pour Claude 3 par exemple ? Pour GPT Il faudra attendre les fonctions de mémoire trans-chat, je ne sais pas pour Claude mais ce serait intéressant.

    P.s: je ne suis pas très confiant dans la théorie et la pratique psychanalytique mais j’ai l’impression que c’est comme la phénoménologie et les arts martiaux, où le pratiquant fait plus de différence que la discipline.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Il m’arrive de demander une opinion à GPT-4. J’en parle alors parfois avec ma contrôleuse. Elle ne m’en voudra pas de relayer sa réflexion un jour : « ChatGPT ? Plus d’empathie que 95% des psys que je connais ! ». C’est également mon avis.

      Rappel : Mon évaluation de 5 (en réalité 6) psys boustés à l’IA

      1. Avatar de Garorock
        Garorock

        Quelqu’un vient contröler votre travail d’analyste?!

  5. Avatar de pierre guillemot
    pierre guillemot

    (2e essai)

    « … il faut, après avoir épuisé toutes ses forces, aller puiser dans ses réserves, pour ramener à bon port, une âme qui était en train de sombrer. »

    La Bible prescrit de sortir son semblable du puits où il est tombé, et aussi son boeuf ou son âne, même le jour du Sabbat. Mais il y a aussi monsieur Perrichon en voyage. « Le sommet de l’oeuvre est l’exclamation du héros de la pièce : « Je vous ai sauvé la vie, je ne l’oublierai jamais. » Autorité : Alfred Grosser dans « La joie et la mort », 2011 ; c’est pour cela que les Français aiment tant les Américains, qu’ils ont secouru devant les Britanniques, il y a 250 ans.

    Dans d’autres civilisations, intervenir dans la destinée de son semblable est l’envahir. Amélie Nothomb raconte comment, dans son enfance, elle s’est noyée sur une plage, sous les yeux de Japonais adultes qui ne l’ont pas secourue, car le faire l’aurait chargée du poids de la reconnaissance, charge insupportable. C’est sa mère qui a fini par la voir et l’a repêchée. C’est le devoir de la mère et son enfant ne lui doit rien.

    Citation de « Métaphysique des tubes » (2000). Ca se passe aussi au Japon où elle est née (peu importe la réalité de sa naissance belge, elle est romancière ; mais je m’égare) Elle raconte comment elle s’est suicidée dans le bassin des carpes.

    « … Je souris de bonheur.

    « Soudain, quelque chose s’interpose entre les bambous et moi :
    une frêle silhouette humaine apparaît qui se penche vers moi. Je
    pense avec ennui que cette personne va vouloir me repêcher. On ne
    peut même plus se suicider tranquille.

    « Mais non. Le prisme de l’eau me révèle peu à peu les traits de
    l’humain qui m’a repérée : c’est Kashima-san. Je cesse aussitôt
    d’avoir peur. Elle est une vraie Japonaise du passé et, en plus, elle
    me déteste : deux bonnes raisons pour qu’elle ne me sauve pas.

    « De fait. Le visage élégant de Kashima-san demeure
    impassible. Sans bouger, elle me regarde dans les yeux. Voit-elle
    que je suis contente ? Je ne sais pas. Allez savoir ce qui se passe
    dans la tête d’une Nippone du temps jadis.

    « Une seule chose est sûre : cette femme me laissera la mort sauve.

    « À mi-chemin entre l’au-delà et le jardin, je parle, sans bruit,
    dans mon crâne :

    « Je savais qu’on finirait par s’entendre, Kashima-san. Tout va
    bien, maintenant. Quand je me noyais dans la mer et que je voyais
    les gens qui, sur la plage, me regardaient sans essayer de me
    sauver, ça me rendait malade. À présent, grâce à toi, je les
    comprends. Ils étaient aussi calmes que toi. Ils ne voulaient pas
    perturber l’ordre de l’univers, lequel exigeait ma mort par l’eau.
    Ils savaient que cela ne servait à rien de me sauver. Celui qui doit
    être noyé sera noyé. La preuve, c’est que ma mère m’a tirée de
    l’eau et que je m’y retrouve quand même. »

    Bien entendu, ce qui précède ne vaut pas pour le psychanalyste, qui est un professionnel que son client a voulu voir et qu’il paie pour être soulagé. Le professionnel ne lui a pas promis que ça marchera, juste qu’il fera de son mieux. Le client ne lui doit rien de plus quand ça a marché. Ainsi les médecins et les techniciens qui viennent de me débarrasser d’une ALD (affection de longue durée) ne m’ont pas accablé de reconnaissance. Je dirai d’eux le bien que j’en pense et je ne leur dois pas autre chose.

    J’ai l’impression de nier ainsi l’héroïcité des vertus du professionnel qui, au-delà de ses obligations, va « puiser dans ses réserves, pour ramener à bon port, une âme qui était en train de sombrer. » Dans ma vie professionnelle (modeste, il s’agissait de mener des projets d’organisation informatisée pour des entreprises) il m’est arrivé d’aller au-delà de mes forces et de tomber malade après la réussite ; aucun mérite, j’étais prêt à tout pour avoir raison. En y réfléchissant depuis mon grand âge, je me dis que je n’aurais pas dû.

    (je dispense le lecteur, s’il est allé jusqu’ici, de la suite que notre hôte avait jugé non-publiable. Je vais savoir si je me trompe, si c’est ce qui précède qui l’était.)

    1. Avatar de Paul Jorion

      Oui, la partie non-publiable était du genre (je résume) : « Et si les gens ont envie de crever, qu’on les aide à crever, nom de Dieu ! Qu’on ne vienne pas les emmerder avec des trucs comme leur sauver la vie ! ».

      Je pensais à des personnes qui seraient dans la détresse et qui viendraient lire les commentaires à mon billet et à qui on leur verserait dans le gosier avec un entonnoir, des éructations à la Céline. Elles n’ont pas besoin de ça, elles ont besoin qu’on les hisse à bord du canot … même si l’embarcation fuit ! Colmater la coque, ça c’est une autre histoire : c’est du collectif, du tous ensemble, ça se gère séparément.

      1. Avatar de pierre guillemot
        pierre guillemot

        Céline. Comme vous y allez. Ma prétention n’allait pas jusque là. Je ne voulais qu’illustrer la parole du sage (Chinois ou Indien, je ne sais plus) à qui son disciple demandait : vous nous enseignez comment atteindre la sérénité en renonçant à tout. Mais combattre pour la justice, sauver les hommes, et d’abord ceux que nos rencontrons, n’est-ce pas un but à rechercher ? _ Certainement, si c’est nécessaire à votre équilibre intérieur.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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