Illustration par DALL·E à partir du texte.
La bonne nouvelle, c’est que le compte-rendu était excellent. La mauvaise nouvelle, c’est que 13 ans plus tard aucun parti, ni de gauche, ni de droite, ni même du milieu, n’ait repris quoi que ce soit que je recommandais dans son programme. Ce n’est pas grave, je republierai ce compte-rendu tous les 13 ans. Jusqu’à ce que les choses changent !
« Le Capitalisme à l’agonie », de Paul Jorion : le spectre de Karl Marx
L’auteur déploie une analyse très fine des mécanismes historiques et psychologiques où s’affrontent notamment la liberté et l’égalité, l’éthique et la propriété.
Voici un livre au titre sensationnel – Le Capitalisme à l’agonie – qui débute franchement « marxiste » et par la critique implacable de ce qui, selon Paul Jorion, sociologue, spécialiste de la formation des prix et chroniqueur au « Monde Economie », n’est pas « un système économique, mais une tare de notre système économique ».
Il déploie ensuite une analyse très fine des mécanismes historiques et psychologiques où s’affrontent notamment la liberté et l’égalité, l’éthique et la propriété. Mais l’auteur se sépare de Marx et de son spectre en ce qu’il ne distingue pas deux classes d’acteurs (capitaliste et prolétaire), mais quatre : le capitaliste, l’entrepreneur, le salarié et le marchand. Dans la lutte implacable pour la captation du surplus dégagé par leur activité conjointe, c’est le salarié qui perd à tout coup, car l’intérêt versé au capital et les positions de force des trois autres acteurs concentrent peu à peu la richesse et le patrimoine dans les mains d’un tout petit nombre.
Ce n’est donc pas la baisse tendancielle des profits qui tuera le capitalisme, comme le croyait Marx, mais l’accumulation outrancière du capital, car l’intérêt versé aux capitalistes les enrichit toujours plus et les investisseurs substituant les machines au travail, le pouvoir d’achat et la consommation se tarissent. Il ne reste plus que le crédit pour maintenir la demande, jusqu’à ce que le paiement des intérêts de celui-ci achève d’appauvrir la cohorte des salariés. Le jeu s’arrêtera quand il n’y aura plus assez de joueurs.
Faisant un long détour par la crise actuelle qu’il voit comme les prémices de l’effondrement, l’auteur met surtout en pièces la spéculation dont il décrit par le menu les turpitudes et les stupidités, les produits financiers « pourris », les modèles mathématiques et les ordinateurs chargés de grappiller des milliards de centimes en moins d’une seconde en détraquant sciemment l’offre et la demande.
Non, dit Paul Jorion, la spéculation ne met pas de l’huile dans les rouages du marché, comme ses tenants le prétendent, mais elle y met le feu. Parce que les Bourses sont devenues des maisons de jeu légales et dangereuses, peut-on les contraindre pour autant ? Sacrifier la liberté à la vertu ? La propriété à l’éthique ? Le brillant renfort de Marat, Robespierre, Hegel, Freud ou Lacordaire, comme celui de l’anthropologie et de la psychologie des profondeurs ne lui permettent pas de trancher.
Proche de John Maynard Keynes, Paul Jorion s’en distingue en ce qu’il ne croit plus à la possibilité de parvenir au plein-emploi qui remettrait le travailleur au centre et l’économie sur ses pieds. Il appelle donc à « un changement de civilisation ». Pour réussir cette mutation, sa préférence va à l’instauration d’un système « où les revenus proviendraient d’une autre source que le travail », ce qui supposerait la création d’un « revenu minimum universel ». Et ce qui supposerait encore plus une intervention de la puissance publique pour mieux répartir les richesses – sans pour autant tomber dans la dictature – à savoir la fiscalité.
Il énonce quatre principes : « ne pas imposer le travail qui constitue sans conteste l’activité humaine la plus utile et la plus digne d’être encouragée » ; « imposer substantiellement les revenus du capital » (dont les stock- options) ; « imposer de manière dissuasive les gains du jeu » (y compris les opérations financières) ; « éliminer les rentes de situation ». Autrement dit, il n’est point question de révolution, mais de « remettre les compteurs à zéro », de gré ou de force. Le capitalisme n’est pas vraiment à l’agonie, mais il a une fièvre de cheval et Paul Jorion fait partie des médecins qui se pressent à son chevet.
LE CAPITALISME À L’AGONIE
de Paul Jorion. Fayard, 348 p., 20 €.
Alain Faujas
Illustration par DALL·E à partir du texte.
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