Wolfram a-t-il expliqué le libre-arbitre ? Non. Ses travaux permettent-ils de l’expliquer ? Oui.

Illustration par DALL·E à partir du texte

Je vous ai parlé à plusieurs reprises ces temps-ci du libre-arbitre selon le mathématicien-physicien Stephen Wolfram. J’en avais parlé à la CNIL le 28 novembre dernier et j’en ai reparlé ici il y a quelques jours dans un billet intitulé Le libre-arbitre : réalité ou illusion ? Stephen Wolfram et l’« artefact épistémique ».

Or, il y a quelque jours, l’un d’entre vous m’écrit pour me signaler ce que Wolfram pense de cette question selon le chatbot PI de la firme Incentive, et je suis interloqué de voir que cela ne ressemble pas à ce que j’affirme.

Quelques essais de conversation avec ce chatbot me convainquent rapidement de son bas niveau : il cherche à faire plaisir à l’usager mais décolle à peine de ce niveau. J’entends cependant en avoir le cœur net et j’interroge GPT-4 à son tour. Or là aussi, ô surprise, ce qui est dit là de la conception du libre-arbitre chez Wolfram n’est pas ce que j’en dis moi. La différence entre les deux paraîtra subtile à certains mais elle est à mon sens fondamentale. J’expliquerai ci-dessous de manière détaillée de quoi il s’agit mais voici en deux mots à l’intention de celles et ceux d’entre vous qui ont suivi le débat jusqu’ici en quoi consiste la différence :

– Chez Wolfram, ce qu’il appelle irréductibilité computationnelle peut donner lieu à un comportement que nous percevons comme un libre-arbitre.

– Chez moi, ce que Wolfram appelle irréductibilité computationnelle rend compte de l’expérience subjective qui est la nôtre de disposer d’un libre-arbitre.

On voit la différence : cette irréductibilité computationnelle dont parle Wolfram débouche selon lui sur des comportements que nous pouvons (ou « pourrions ») interpréter comme manifestations d’un libre-arbitre – il s’agit d’une lecture des sujets humains en extériorité, alors que chez moi, l’irréductibilité computationnelle rend compte parfaitement du sentiment éprouvé d’un libre-arbitre – il s’agit d’une lecture des sujets humains en intériorité.

Ce qui veut dire qu’en passant d’une lecture en extériorité à une lecture en intériorité, on passe d’un « pourrait être interprété comme… » à un « rend compte de… ».

Voilà pour le programme, maintenant la démonstration étayée et, je l’espère, convaincante.

Voici ce que j’écris le 7 mars :

Quand on est […] sujet au sein d’un processus « computationnellement irréductible », on sait deux choses à propos de sa propre vie : en tant que savant, on sait qu’elle suit un cours inéluctable mais en tant que sujet on sait qu’on ignore entièrement ce qui va se passer d’un moment au moment suivant et qu’il faut … prendre une décision. On peut se dire « Je vais de l’avant » et l’étape qui viendra ensuite au sein d’un processus « computationnellement irréductible » sera que j’aurai été de l’avant, ou bien on peut se dire « Je vais rester assis sur mon cul puisque le processus est de toute manière déterministe » et cette décision de ne rien faire n’aura pas moins été vécue comme un choix délibéré, ce qui veut dire qu’être sujet au sein d’un processus déterministe « computationnellement irréductible » est nécessairement vécu comme l’exercice d’un libre-arbitre.

L’irréductibilité calculatoire d’un processus déterministe fait qu’on ne peut pas pour autant prédire comment il va se comporter, il faut le suivre d’étape en étape pour pouvoir décrire a posteriori quel a été son parcours inéluctable. Et cette absence de prévisibilité fait que celle ou celui dont le parcours d’une vie est un tel processus, est à tout moment confronté à des choix dont le ressenti est qu’ils sont libres car telle est par nécessité la nature d’un choix : d’apparaître libre.

Avant de passer à ce que Wolfram dit lui-même, voyons la manière dont la machine caractérise son point de vue.

GPT-4 :

Le point de vue de Wolfram sur le libre-arbitre est étroitement lié à ses idées sur l’irréductibilité computationnelle. Il part du principe que si un système est irréductible sur le plan calculatoire, le seul moyen de déterminer son résultat est d’exécuter le calcul lui-même, ce qui implique que prédire l’avenir d’un tel système est intrinsèquement difficile, voire impossible.

De ce point de vue, le libre-arbitre pourrait être considéré comme une manifestation de l’irréductibilité computationnelle. Si notre cerveau et nos processus de prise de décision sont irréductibles sur le plan calculatoire, alors ils posséderaient intrinsèquement une forme d’imprévisibilité qui pourrait être assimilée au libre-arbitre.
Cependant, il est important de noter que cette perspective n’accorde pas nécessairement un sens métaphysique au libre-arbitre, mais l’inscrit plutôt dans le contexte de la complexité computationnelle et de l’imprévisibilité. Selon Wolfram, même si nos actions sont régies par des règles déterministes à un niveau fondamental, la complexité et l’irréductibilité computationnelle de ces règles peuvent donner lieu à un comportement que nous percevons comme un libre-arbitre.

On aura noté : « notre cerveau et nos processus de prise de décision » possèdent « une forme d’imprévisibilité qui pourrait être assimilée au libre-arbitre », soit, comme je l’ai déjà souligné, une lecture en extériorité. De plus, c’est la « complexité » qui « peut donner lieu à un comportement que nous percevons comme un libre-arbitre », ce n’est pas l’  « imprévisibilité » qui induit le sentiment subjectif de libre-arbitre en intériorité.

Laissons maintenant la parole à Wolfram lui-même. Dans son opus (770 pages) A Project to Find the Fundamental Theory of Physics (2020), il a très peu à dire sur le sujet :

« … comment des règles sous-jacentes, même déterministes, peuvent conduire à un comportement irréductible sur le plan computationnel qui, dans la pratique, peut sembler témoigner d’un libre-arbitre » (p. 550).

Il s’exprime bien davantage dans une vidéo publiée le 1er octobre 2022 sur la chaîne YouTube Closer to Truth : « Stephen Wolfram – Do Humans Have Free Will ? »

Robert Lawrence Kuhn :

Stephen, l’une des questions les plus fascinantes que nous puissions poser concerne le libre-arbitre humain. Et c’est fascinant parce que de nombreux scientifiques qui ne croient en rien de surnaturel et qui croient donc en un flux déterministe de la science, doivent s’interroger sur la nature du libre-arbitre. Si la science est déterministe, comment peut-on parler de libre-arbitre ? Il existe des manœuvres philosophiques complexes qui permettent à certains d’affirmer que nous pouvons avoir un libre-arbitre. Parfois, il s’agit du déterminisme quantique, mais c’est une discussion philosophique très complexe lorsque vous examinez le concept de libre-arbitre, de votre point de vue. Comment pensez-vous que nous devrions aborder cette question ?

Stephen Wolfram :

Si nous pensons à l’ordinateur, par exemple, nous disons souvent que nous imaginons qu’il dispose en quelque sorte du libre-arbitre : il fait toutes ces choses étranges auxquelles nous ne nous attendons pas. Nous lui attribuons en quelque sorte des qualités presque humaines d’agir de manière à ce qu’il soit libre dans sa volonté, pour ainsi dire.

Mais l’une des choses qui m’intrigue, c’est que lorsque nous savons que le système a finalement des règles sous-jacentes peut-être même très simples, est-il possible de passer de règles sous-jacentes peut-être très simples à un comportement suffisamment complexe pour que l’on puisse imaginer que ce comportement est libre de ces règles sous-jacentes ?

On a l’impression que c’est comme les robots de la science-fiction des années 1950 ou quelque chose comme ça, vous savez, ils ont des règles logiques simples qui les dirigent, donc ils font ces choses stupides très simples à comprendre, n’est-ce pas ?

Eh bien, l’une des choses que nous avons découvertes, c’est que si l’on examine toutes les règles simples possibles que l’on peut utiliser pour piloter un système, pour ainsi dire, beaucoup de ces règles, en fait, ne conduisent pas à un comportement simple : elles conduisent à un comportement extrêmement élaboré et complexe. Un comportement si complexe qu’il est très difficile de le prédire.

En fait, nous savons même qu’il existe un phénomène fondamental que j’appelle l’« irréductibilité computationnelle », qui dit que lorsque vous observez le déroulement des règles d’un système, il n’y a aucun moyen de réduire l’effort calculatoire nécessaire pour découvrir ce que le système va faire. Essentiellement, la seule façon de savoir ce que le système va faire est de suivre chaque étape et de voir ce qu’il fait. En ce sens, lorsque vous observez un de ces systèmes, il semble se comporter en quelque sorte comme s’il avait un libre-arbitre : il semble se comporter d’une manière si complexe que nous ne reconnaissons pas la simplicité de ses règles sous-jacentes. En pratique, lorsque nous nous interrogeons sur un papillon de nuit qui ne cesse de se cogner contre une fenêtre ou quelque chose d’autre, il ne semble pas avoir de libre-arbitre. D’une certaine manière, c’est parce que nous pouvons facilement prédire ce qu’il va faire : il n’y a aucun moyen de réduire le calcul qu’il effectue pour dire simplement qu’il va continuer à le faire.

Ce que nous voyons dans beaucoup de ces systèmes que l’on peut étudier dans l’univers calculatoire des systèmes possibles, c’est qu’il n’y a pas ce genre de simplicité prévisible. Au contraire, ce que fait le système est d’une complexité irréductible. Et je pense que c’est là l’essence même de ce que nous considérons comme une sorte de libre-arbitre dans les systèmes que nous étudions.

Robert Lawrence Kuhn :

Mais il n’est pas certain que le libre-arbitre et la complexité irréductible soient la même chose. Je veux dire que vous pouvez avoir quelque chose de très complexe que vous ne pouvez pas définir par une équation simple. Mais cela, par sa nature même, n’en fait pas un libre-arbitre, n’est-ce pas ?

Stephen Wolfram :

Eh bien, je pense que la question, le niveau le plus bas de cette question, est la suivante : « L’univers fonctionne-t-il selon les règles dont je parle, ou y a-t-il quelque chose qui vient de l’extérieur, qui brouille les choses ? »

L’une des questions, qui se rapporte à certains aspects de la responsabilité et de sa relation avec le déterminisme, le libre-arbitre, etc., est donc la suivante : « Sommes-nous capables de saisir les règles complètes d’un système, ou avons-nous besoin de quelque chose qui vienne de l’extérieur de ces règles, de l’extérieur du système, qui donne en quelque sorte un coup de pied dans le système pour déterminer ce qu’il va faire ? ».

L’une des choses les plus surprenantes, peut-être, est qu’il est possible de connaître les règles complètes d’un système. Peut-être qu’un jour nous connaîtrons les règles complètes de l’univers. Pourtant, il se peut que le comportement du système qui fonctionne en fait comme s’il était libre de ces règles, en ce sens qu’il existe une distance irréductible entre les règles sous-jacentes et le comportement réel du système, mais si vous jouez avec ce système encore et encore, vous obtiendrez exactement la même chose : il fera la même chose.

Robert Lawrence Kuhn :

Il y a donc en fait… il serait impossible que…

Stephen Wolfram :

C’est exact.

Robert Lawrence Kuhn :

Donc pour moi, ce n’est pas le libre-arbitre.

Stephen Wolfram :

Je pense que c’est peut-être la façon dont nous opérons [rires]. Je pense que c’est ainsi que nous fonctionnons. Donc si vous nous attribuez le libre-arbitre, alors…

Robert Lawrence Kuhn :

Je dis que c’est une question ouverte. Vous partez du principe, et beaucoup de gens partent du même principe, que le monde est déterminé, et ils essaient donc de justifier une sorte de libre-arbitre artificiel, et c’est peut-être le cas ici. Ce que nous pourrions conclure, c’est que le sens humain du libre-arbitre que nous avons n’est pas différent de ce dont vous parlez en termes de règles générant ce type de complexité. Mais les deux ne sont pas libres.

Stephen Wolfram :

C’est vrai ! La question est donc : « Y a-t-il quelque chose de libre dans notre univers ? ». Et pour répondre à cette question, il faut se demander si les règles ultimes de notre univers sont déterministes. Si c’est le cas, nous pourrions conclure que si les règles, les règles déterministes, étaient assez simples, il faudrait que ce soit comme ces anciens robots de la science-fiction, et nous ne verrions jamais rien que nous pourrions même imaginer comme étant du libre-arbitre. Ce qui est, je pense, plus remarquable, c’est qu’il est en fait possible qu’il y ait des règles, même des règles très simples qui sont complètement déterministes, mais le comportement est suffisamment complexe pour avoir toutes les propriétés que nous attribuerions normalement à quelque chose qui semble être libre de ces lois sous-jacentes.

Je pense qu’au fur et à mesure que nous progressons dans notre capacité à comprendre le fonctionnement du cerveau, ce type d’interprétation de ce que nous considérons comme un phénomène appelé « libre-arbitre » deviendra de plus en plus pertinent, car nous verrons cette chaîne de neurones qui fait ceci et cela, et nous nous demanderons : « Comment se fait-il qu’en présence d’un ensemble de processus déterministes, nous obtenions quelque chose qui, pour nous, est un phénomène tel que le libre-arbitre ? ». Et je pense que cette idée d’irréductibilité computationnelle est au cœur de ce qui nous permet de comprendre comment, même lorsque nous connaissons les règles sous-jacentes, nous pouvons encore obtenir quelque chose qui nous semble être le phénomène du libre-arbitre.

Que dit Wolfram en résumé : un système déterministe très complexe « semble se comporter en quelque sorte comme s’il avait un libre-arbitre » ; « [un] comportement [peut être] suffisamment complexe pour avoir toutes les propriétés que nous attribuerions normalement à quelque chose qui semble être libre de ces lois sous-jacentes » ; « cette idée d’irréductibilité computationnelle est au cœur de ce qui nous permet de comprendre comment, même lorsque nous connaissons les règles sous-jacentes, nous pouvons encore obtenir quelque chose qui nous semble être le phénomène du libre-arbitre ».

Cela est-il probant ? Je ne le pense pas. La notion d’ « irréductibilité computationnelle » permet-elle cependant d’expliquer le sentiment subjectif de libre-arbitre ? Il me semble l’avoir montré.

Illustration par DALL·E à partir du texte

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26 réponses à “Wolfram a-t-il expliqué le libre-arbitre ? Non. Ses travaux permettent-ils de l’expliquer ? Oui.

  1. Avatar de Khanard
    Khanard

    n’y a t’il pas une erreur dans le lien ? Le libre-arbitre : réalité ou illusion ? Stephen Wolfram et l’« artefact épistémique » renvoie à un billet du 08 Mars 2024 10h00 : L’état de l’Union : les Démocrates poussent un Ouf ! de soulagement.

  2. Avatar de timiota
    timiota

    L’IA répondrait donc « oui » à la question « Pouvait-il en être autrement  » ?
    « Peut-on avoir une intellection sans sentiment subjectif de libre arbitre » ?

    Oui si on est une IA à qui « on ne la fait pas ».

    Ce n’est peut-être pas stupide que note « subjectivité de libre arbitre » soit le prolongement de notre agir de chasseur-cueilleur, nous avons mis dans la boite « libido sciendi » notre stratégie de survie et de maintien du métabolisme.

    Il y a plusieurs sortes de motivations intellectuelles, c’est intéressant.

  3. Avatar de konrad
    konrad

    Je n’ai pas la faculté intellectuelle de répondre à cette question dans les termes avec lesquels elle est posée.
    Pour moi, déterminisme et libre-arbitre ne s’opposent pas, ils sont vrais. Je suis déterminé par un certain nombre de lois naturelles et de faits culturels. Pourtant je sais, sans pouvoir l’expliquer, que l’être humain que je suis est intrinsèquement libre. Là, dans le tréfonds de mon être, la flamme de la liberté, quelles que soient les circonstances, et nombre de témoignages l’attestent, brille invariablement.
    Je suis libre car je suis conscient d’Être ! La conscience est liberté, irréductiblement. Si la conscience n’était pas libre, elle ne s’épanouirait que dans l’utilité de l’agriculteur ou la « practicité » du constructeur. Pourtant elle fleurit aussi dans le poète, le mystique, le « fada », le « moins que rien » ou l’enfant…
    Chez chacun la conscience se manifeste, quel que soit son statut social, son éducation, sa culture, sa généalogie, son intelligence, sa géographie ou son âge. N’est-ce pas là la démonstration manifeste de sa liberté ?
    C’est pourquoi nous chérissons la liberté plus que tout car nous savons intuitivement qu’elle nous fonde.

    1. Avatar de Pascal
      Pascal

      « Pourtant je sais, sans pouvoir l’expliquer, que l’être humain que je suis est intrinsèquement libre. » N’est-ce pas là une illustration du rapport au monde que vous avez construit au gré de vos déterminismes ? Est-ce pour autant une réalité objective ?
      La croyance est ce sur quoi nous fondons notre relation au monde, balloté que nous sommes au gré de nos expériences sensorielles et des contraintes d’un environnement impermanent. En son absence ou bien en son instabilité, ne sommes nous pas voués à la folie.
      Le croyant religieux entend le déterminisme comme décidé par le divin et croit en parallèle à sa culpabilité dans les choix qui sont les siens, donc de son libre-arbitre. N’est-ce pas finalement, le mode de fonctionnement de tous les êtres humains, s’appuyant sur des déterminismes expérientiels (parfois conçu comme cycle ou comme lois physiques) et organisant ce chaos dans son esprit pour construire du « sens » ? Seulement chaque être humain étant unique dans ce qu’il perçoit du monde et de comment il l’organise dans sa tête, il existerait dès lors, une multiplicité incommensurable de perception et d’interprétation du monde (du réel) donnant l’illusion du libre-arbitre.
      Un mot manque, me semble-t-il, celui de la conscience. Cette conscience qui fit qu’un jour nous sûmes que malgré notre capacité à nous débarrasser des prédateurs, nous allions tout de même mourir.
      L’animal est dans la survie, sachant qu’à la moindre faiblesse de sa part, il deviendrait un proie victime de la sanction finale. Mais s’il n’y a plus de prédateur, pourquoi la mort ? N’est-ce pas là la question à laquelle nous tentons d’échapper dans l’illusion du libre-arbitre ?

      1. Avatar de konrad
        konrad

        @Pascal,

        « Pourtant je sais, sans pouvoir l’expliquer, que l’être humain que je suis est intrinsèquement libre. » N’est-ce pas là une illustration du rapport au monde que vous avez construit au gré de vos déterminismes ?  »

        Je ne sais pas, c’est possible et je ne l’exclus pas.
        Je suis adepte du coup de foudre, de l’imprévisible et de l’émerveillement. La liberté est de cet ordre, elle défie la rationalité dans son surgissement inattendu. Je ne saurais l’expliquer autrement.

        « Est-ce pour autant une réalité objective ? »

        Je ne crois pas à la « réalité objective. » Enfin, je m’en défie. Je me sens proche du « sujet pur », selon la formule de Stephen Jourdain.
        Je sais que je ne suis pas seul dans cette aventure. Ce matin même, sur France inter un entretien avec François Sureau et voilà une phrase sublime, véritable clé de conscience lorsqu’il dit en fin d’interview : […] La consolation de ces endroits, où en réalité le départ et l’arrivée se mélangent au même point où il n’est plus nécessaire de s’en aller puisque précisément on est déjà établi dans l’attente de ce qui va advenir, et ça c’est ce qui correspond peut-être le plus au sentiment de l’enfance, au sentiment profond de l’enfance, pas de l’enfance nostalgique, pas de l’enfance sentimentale mais de cette enfance où nous coïncidions absolument avec nous-mêmes. »

        Lorsque nous coïncidons avec nous-mêmes il n’y a plus « d’objet hors de soi », simplement l’unité du monde reconnue dans notre esprit.

        1. Avatar de Pascal
          Pascal

          « Lorsque nous coïncidons avec nous même », mais c’est la pleine conscience !?😉
          Et quand nous coïncidons avec nous même, le « je » disparaît !🙏

          1. Avatar de Garorock
            Garorock

            Très risqué les exercices en « pleine conscience ». Y’en a qu’on eu des problèmes. Comme avec le LSD. C’est scientifique.

          2. Avatar de konrad
            konrad

            « Et quand nous coïncidons avec nous même, le « je » disparaît !🙏 »

            Il renait en « Je suis cela. » 😉

        2. Avatar de Hervey

          @konrad

          « Le coup de foudre ».
          Une expression très imagée qui entre avec fracas dans ce binôme des extrêmes (libre-arbitre/déterminisme.
          Je ne sais qu’elles sont les parts déterminantes à l’oeuvre dans « le coup de foudre » (l’adjectif déterminantes est choisis pour brouiller un peu plus les pistes) mais ici encore à l’instant t la symbiose prend un aspect éclatant, couleur « libre arbitre » (dirons-nous! et à t+1 la couleur se teinte d’un ton plus nuancé voire, chemin faisant plus compréhensible (l’autre binôme).

          Hum, aveuglant mais pas clair mon commentaire. Comme la foudre 🙂

          1. Avatar de konrad
            konrad

            @Hervey,

            Oui, il se peut que des éléments déterministes se glissent subrepticement dans un coup de foudre. J’inclus dans le « coup de foudre » la rencontre amoureuse, mais aussi l’émerveillement, la joie spontanée sans cause, la découverte d’un livre déterminant, etc… Toutes circonstances échappant à notre logique et auxquelles nous donnons notre assentiment.

            Je pense que le libre-arbitre ne se prouve pas mais qu’il s’éprouve. Il en va de même de la conscience car celle-ci n’est pas un objet que l’on pourrait placer devant soi telle une chaise afin de l’examiner.
            C’est ce qui nous distingue de la machine. 😉

            1. Avatar de Hervey

              @konrad

              Oui, jolie formule pour le libre-arbitre mais Montaigne avait déjà fait remarquer que nos sens n’étaient pas fiables (histoire de la tige de bois droite qui plongée dans l’eau devient courbe) et c’est bien dans ce domaine là que la machine évite les leurres de ce type après avoir avaler tout ce que nous lui avons fourni comme désignations sûres, validées comme un immense réservoir d’objets hétéroclites qu’elle peut traiter à des vitesses phénoménales, laissant l’humain pantois.

              Inutile de chercher des consolations de tel ou tel ordre.
              Faut faire avec ce « carburant » qui de plus tombe à pic, vu l’état du monde humain qui n’a jamais été aussi prés du précipice.

      2. Avatar de CORLAY
        CORLAY

        Bonsoir Pascal, v/texte est intéressant. Dans v/1er paragraphe, vous précisez l’être humain est libre, mais selon certains déterminismes « familiaux, sociétaux, internationaux », la fin phrase : est-ce pourtant une réalité objective ? Je suis dans l’interrogation étant donné que chacun forge ses réalités objectives, mais est-ce qu’elles le deviennent selon certains éléments qui nous formatent et autres ? En effet, ns sommes de + en + dans des contraintes d’un environnement impermanent et l’impermanence est présente dans diverses situations et ceci est valable tout au long de la vie – questions existentielles, de partages, et d’interdépendance. Chaque individu est confronté à l’impermanence. Beaucoup d’efforts doivent être faits. Vous évoquez deux mots importants : absence ou instabilité (existence). Je constate beaucoup d’instabilité dans beaucoup de pays, l’absence de certaines décisions ?. Certains éléments sont prévisibles, d’autres moins, même dans l’impermanence certaines situations peuvent changer, l’espoir et la ferveur des changements et du courage. Chacun à sa vision du monde et ce n’est pas qu’une seule personne qui décide, nous sommes interdépendants. Et là, je rejoins la fin de v/phrase : donnant l’illusion du libre arbitre. Il est vrai comme vs l’avez écrit : qu’un nbre incommensurable de « perceptions et d’interprétations » du monde. Ce qu’il faut comprendre, c’est d’avoir une pensée universelle et ceci, il faut le comprendre. Vs parlez des mots : conscience et prédateurs ceci est à méditer. Vs parlez de l’animal qui est dans la survie, on pourrait écrire L’homme animal, quant à la sanction finale, je retirerai « sanction finale » surtout en ce moment. J’aime bien la phrase : s’il n’y a plus de prédateur(s) pourquoi la mort ? Une grande question philosophique et de ces temps. Parfois, les êtres veulent échapper à quelque chose ou changer les choses. Bonne soirée Isabelle

  4. Avatar de CloClo
    CloClo

    Dans le comité de thèse de Wolfram, R. Feynman excusé du peu, utilisait beaucoup cette « expérience » physique qui touche à l’essentiel dans cette histoire de libre arbitre selon moi :

    https://youtu.be/zPolTp0ddRg?feature=shared

    15 minutes bluffantes.

    L’observateur influe sur la probabilité de présence de la particule en la forçant à concrétiser un état ! La réalité se manifeste ainsi pour nous tous quasiment indistinctement car nous avons tous les mêmes « capteurs ». Et il suffit d’être équipé de « capteurs » en permanence en fonctionnement pour exister dans cette soupe simple d’ondes/particules (je pense que comme tautologie on est sur un sommet ! :D)

    Bon ce n’est peut-être pas très clair ma perception de cette expérience de Young mais elle est en relation avec cette histoire de « libre arbitre », genre je peux actionner ou pas certains capteurs en gros et matérialiser ou pas certains résultats. En gros nous sommes une sorte d’interrupteur, balancier à 0 et 1 …

    1. Avatar de Pascal
      Pascal

      Est-ce que tu sous entendrais que nous sommes à la fois « corpuscule-déterminé » et « onde-indéterminé » (libre-arbitre), et que nous aurions la possibilité d’intervenir dans un sens ou dans l’autre ? Si « capteur » il y a, ne serait-ce pas la conscience ?

      1. Avatar de CloClo
        CloClo

        Je ne sous entends rien, je cause. Et comme le dit Timiota, si t’as pas un bateau à moteur, faut attendre que le vent souffle.

    2. Avatar de timiota
      timiota

      Pas facile de penser cette physique « hors-Bohr » comme on dit loin de Copenhague.

      1. Avatar de Khanard
        Khanard

        @timiota

        excellente métaphore ! chez vous même des phrases simple deviennent compliquées !

    3. Avatar de Garorock
      Garorock

      Et parfois peut être « en même temps » 0 et 1!
      Mi ange-mi démon.
      Bref.

      Boum. C’est le big-bang. Tout se disperse dans un certain désordre. Avec le temps ce désordre se réduit mais comme ses causes (bordéliques) nous sont inconnues pour l’instant ( calcul impossible d’un processus à rebours), nous avons l’impression que nous en sommes en dernière instance, les derniers organisateurs puisque nous en sommes les derniers observateurs.
      Si je dis cela je fais du Jorion ou du Wolfram?

  5. Avatar de BasicRabbit en psychanalyse
    BasicRabbit en psychanalyse

    René Thom :

    1. « Aucun homme sensé ne peut nier qu’il fait la différence entre le passé qui est fixé, défini, alors que le futur est plastique. On peut agir sur lui. Cette différence est fondamentale or elle n’est pas exprimable mathématiquement. Cela est tout à fait étrange. C’est cela qui m’amena à reconnaître le libre arbitre humain. »

    ( Le modèle épistémologique galiléen a-t-il encore de l’avenir ? Rencontre avec des personnes remarquables (« 15 décembre 1993 »), Collection ICN, 1996, pp. 5-12. )

    2. « Ce n’est pas le moindre paradoxe que de voir la science expérimentale moderne, fréquemment adepte d’un matérialisme mécanique rigoureusement déterministe, ne pas se rendre compte que le choix d’un protocole d’expérimentation n’est possible que si l’on présuppose la liberté de l’expérimentateur.

    Le passage du réel au virtuel s’effectue par les outils qu’utilise l’esprit pour se représenter le monde. À cet égard, la mathématisation du réel n’a pu s’imposer que par la notion mathématique de variable, dont le paradigme est le nombre réel : une variable x est un nombre dont je peux choisir librement la valeur. Il n’est donc pas aberrant de dire que toute l’algèbre (et une bonne part de la logique) repose sur la possibilité de choisir librement un élément dans un ensemble. (Que l’on pense aux notions de monoïde libre, de groupe libre, etc.) Si l’on n’accepte pas de conférer au psychisme humain -au point sur un plan méthodologique- cette liberté de choix, on se condamne à d’inextricables contradictions. » (« Actualité du déterminisme », 1987, figure dans le recueil « Apologie du logos », 1990).

  6. Avatar de Jean-Michel Bournoville
    Jean-Michel Bournoville

    Bonsoir,
    Tout comme la linguistique est créatrice de « cadre de vérité », la position d’observation qui est la notre, mélangée savament à celle d’acteur(trice) d’un environnement prédéfini en constant mouvement, forge nos certitudes et nos ‘limites’ de compréhension.
    La curiosité et la sensibilité font partie du lot.
    Bien à vous tous

  7. Avatar de arkao

    DALL-E semble avoir quelques problèmes avec le tir à l’arc (comme avec les mains de K. Middleton). Avantage à l’humain, ou du moins à ceux qui savent encore en fabriquer et s’en servir. Je retourne à mes grues cendrée dont la migration ne semble pas commandée par le libre arbitre.

  8. Avatar de Garorock
    Garorock

    Etre maître à bord ou avoir l’illusion de l’être n’empêchera pas la terre de tourner.
    Y’a pas le choix. Pas moyen de descendre!

  9. Avatar de Nialoo
    Nialoo

    On ne va pas se mentir, Trump va certainement être le vainqueur de l’élection de novembre.
    Ce résultat ne va vraiment pas sentir bon tant du côté climat terrestre et la chute de la biodiversité, que de l’Europe avec la guerre en Ukraine que du Proche Orient avec la guerre à Gaza.

    Les évènements s’accélèrent…

  10. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    En passant,

    La connaissance c’est des cathégories,
    L’intelligence, c’est le minimum de cathégories pour une même connaissance.

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