Illustration par Stable Diffusion (+PJ)
Bonjour, nous sommes le vendredi 2 février 2024. Et ce n’est pas sans mérite que je dis cela parce qu’hier j’ai fait une vidéo et j’ai déjà dit que nous étions vendredi le 1ᵉʳ février. Alors consternation dans Landerneau, « Jorion est-il atteint d’Alzheimer ? De démence sénile ? »
Ma seule excuse, c’est que j’ai cru qu’on était vendredi toute la journée d’hier 😉 .
Aujourd’hui, on va être sérieux, on parle de la Singularité.
Mais avant, je vais vous lire un poème. Voilà :
Un oiseau en main avec une pierre de deux coups.
Un coup de foudre en plein cœur avec une flèche perdue.
Un loup en peau de mouton avec un agneau de loup.
Un arbre qui tombe en silence avec une forêt qui pousse.
Un chien qui dort en paix avec un chat qui s’éveille.
Un poisson en mer profonde avec un oiseau de grand vol.
Un livre ouvert en fin de compte avec une histoire sans fin.
Un cheval de bataille en jeu d’échecs avec un pion de course.
Un soleil qui brille en nuit étoilée avec une lune qui éclipse.
Un coup d’œil en arrière avec un pas en avant.
Un rêve en couleur avec une réalité en noir et blanc.
Un mot pour le dire en langue des signes avec un silence qui parle.
Un cœur sur la main avec un bras de fer.
Et une étoile filante en ciel clair avec une nuit étoilée.
Alors ce poème, il a été écrit par ChatGPT, par GPT-4, un « grand modèle de langage », comme on dit maintenant. Ce sont ces systèmes d’IA.
Qu’est ce que je lui avais demandé de faire?
On m’avait envoyé un poème de Jacques Prévert, un de mes poètes favoris, le grand auteur des « Feuilles mortes », la chanson immortelle chantée par Yves Montand, le dialoguiste des « Enfants du paradis ». Jacques Prévert, très grand dialoguiste, scénariste français. Poète, un poète surréaliste par bien des aspects, qui avait écrit un poème que sur le modèle suivant :
Un vieillard en or avec une montre en deuil
Une reine de peine avec un homme d’Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
Un serpent à café avec un moulin à lunettes
Un chasseur de corde avec un danseur de têtes
Un maréchal d’écume avec une pipe en retraite
Un canard à Sainte-Hélène avec un Napoléon à l’orange
Un conservateur de Samothrace avec une victoire de cimetière
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d’autobus
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste
Et le général des huîtres avec un ouvreur de Jésuites.
Voilà ! Alors ça, c’était le modèle que j’avais donné et je lui avais dit : « Faites quelque chose de pareil ! ».
Alors j’avais travaillé l’invite, ce qu’on appelle le « prompt » en anglais, je lui avais dit, et je lui avais bien précisé la forme.
J’avais dit : « Il y a deux expressions ‘A + B’ et ‘1 + 2′. Par exemple,’un vieillard (A) en deuil (B)’ et puis ‘une montre (1) en or (2)’. Alors on va mettre le A + le 2 et puis le 1 + le B et ça va donner ‘un vieillard (A) en or (2) avec une montre (1) en deuil (B)’. »
Voilà, j’avais bien expliqué la méthode.
C’est ce qu’on appelle les « shot » en anglais, c’est-à-dire qu’on peut améliorer considérablement le rendement de ces intelligences artificielles en leur donnant des exemples. On peut faire la méthode « three shots » : trois exemples. On fait « five shots », on donne 5 exemples. Et on regarde ce qui se passe.
Et quand on évalue la qualité d’une IA, on vous dit si c’est « three shots » ou « five shots ». Ça ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais c’est ça : c’est le nombre d’exemples qu’on lui donne, à partir de cette idée qui est tout à fait justifiée, c’est qu’une intelligence artificielle, il faut lui donner beaucoup plus d’exemples de quelque chose qu’à un enfant.
Quand un enfant apprend, on lui donne, on dit : « Regarde ça : ça c’est un alligator », et puis avec une photo d’alligator, ça suffit. Alors que pour une intelligence artificielle, il faut lui en montrer pas mal pour qu’elle puisse associer l’image de l’alligator avec le nom « alligator ». L’IA, elle apprend tout d’un coup : on lui déverse tout le savoir et elle apprend tout ça d’un coup ; ce type-là de modèle : les « grands modèles de langage ».
Alors, qu’est ce que vous en pensez ?
Il y a eu une discussion sur mon blog et puis il y a eu ce que j’attendais, c’est-à-dire des gens qui vous disent systématiquement : « Ah ! Eh bien oui, mais Jacques Prévert est un être humain, donc c’est bien mieux ce qu’il avait fait que la machine ! ». Et moi je suis resté un peu en retrait, je n’ai pas dit : « Regardez ce que la machine fait mieux ! », mais à mon avis quand même : « Un coup de foudre en plein cœur avec une flèche perdue », ça ce n’est pas de Jacques Prévert, c’est dans le poème de ChatGPT. « Un rêve en couleurs avec une réalité en noir et blanc ».
Alors on nous dit : « Ils n’ont pas vraiment une âme, ils ne savent pas vraiment ce qu’ils font ! », mais « Un rêve en couleur avec une réalité en noir et blanc »…
Si on disait à la machine : « Tirez à un million d’exemplaires, une phrase à la Prévert » … mais je lui ai demandé d’en faire exactement le même nombre que dans le poème de Prévert et du premier coup, avec mon »prompt » – qui lui prend un peu la main – il arrive quand même à faire « Un rêve en couleur avec une réalité en noir et blanc », « un oiseau en main avec une pierre de deux coups », « un coup de foudre en plein cœur avec une flèche perdue », « un arbre qui tombe en silence avec une forêt qui pousse ». Et j’aime bien aussi « Un mot pour le dire en langue des signes, avec un silence qui parle ».
Tout ceux que je viens de relire, à mon avis, ils sont meilleurs que ceux de Prévert. Parce que, excusez-moi quand même, mais « Une reine de peine avec un homme d’Angleterre », « Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste » et même « Un général des huîtres avec un ouvreur de Jésuites ». Oui, c’est rigolo la première fois qu’on le voit, mais quand on dit à l’intelligence artificielle : « Voilà, faites-nous ça ! » et qu’elle produit des …
Bon, même s’il n’y a que moi qui trouve que certains de ces vers sont meilleurs que ceux de Prévert et je vous le dis – ça me coûte quand même quelque chose de dire que quelque chose est meilleur que Prévert – sur le même modèle…
Et je l’avais dit, si au lieu de dire : « Voilà, c’est ChatGPT qui l’a inventé mon nouveau poème », si j’avais dit : « C’est le petit-fils de Jacques Prévert qui l’a fait », je suis sûr qu’il y a des gens qui diraient : « Hmm… ce n’est pas mal, il est doué quand même le petit-fils : il y a quelques vers parmi ceux qu’il a produits là, qui sont peut-être même meilleurs que ceux de son grand-père ! ». On l’aurait dit pour un être humain, on ne le dit pas pour une machine.
Il y a eu cette expérience * qui a été faite depuis déjà pas mal de mois : on prend des images produites en masse uniquement par une intelligence artificielle. Je crois que c’était à cette occasion par Stable Diffusion [P.J. Non : Artbreeder]. On prend ces images, on les partage en deux groupes et on dit à des sujets – on est dans une expérience psychologique – « Voilà, cette moitié-ci a été faite par une machine et celle-là a été faite par un être humain, qu’est-ce que vous en pensez ? » Et tous les gens disent : « Ah oui ! mais on voit bien que celle de l’être humain, c’est beaucoup mieux que celle de la machine ! ». Alors que nous, lecteurs et les psychologues qui ont conçu le test, savons très bien, qu’ils ont tiré au hasard celles qu’ils allaient attribuer à la machine et celle qu’ils allaient attribuer à l’être humain.
Mais nous sommes, nous, êtres humains, dans une logique IDENTITAIRE : « Si c’est nous, c’est mieux par définition ! ». Voilà. Si c’est le Standard de Liège – je renvoie à une discussion que je viens d’avoir récemment – c’est bien mieux que le football [Royal Sporting] Club d’Anderlecht, etc. si vous êtes en Belgique. Et pareil avec Paris-Saint Germain, Marseille, si vous êtes en France : « On est les meilleurs ! ». « Nous, les êtres humains, on est les meilleurs ! ».
Alors qu’est ce que c’est que la Singularité ? La Singularité, en fait, j’en ai déjà parlé dans un livre [P.J.montre son livre « Défense et illustration du genre humain »], je ne sais plus quand il a paru ce livre, on va regarder, ça doit être écrit dedans. Il a été publié en 2018, c’est-à-dire il y a six ans. Et dans ce livre, je consacre quand même un chapitre à la Singularité.
La Singularité, c’est le moment où la machine intelligente dépasse l’humain.
Alors, on peut dire que ça se passe le jour où elle atteint exactement le même niveau, mais on peut aussi bien dire qu’elle le dépasse. Parce que Monsieur Geoffrey Hinton, qui est vraiment l’inventeur de cette machine qu’on a maintenant, il nous le dit… si lui déprime, c’est parce qu’il trouve qu’elle est plus intelligente que nous désormais et que ça, il ne l’avait pas prévu. Il le dit : il pensait que la machine deviendrait aussi intelligente que nous, il ne pensait pas que ce serait de son vivant. Il a à peu près mon âge, je dirais 75 ou quelque chose comme ça [P.J. 76 ans et moi 77].
D’abord, il ne s’attendait pas à ce que ça arrive de son vivant et ensuite, comme il le dit : « Je ne m’attendais pas, en copiant le modèle de notre cerveau, qu’on arriverait à faire des machines plus intelligentes que nous ». Parce que le problème, il est là, le problème de la Singularité.
Alors Messieurs-Dames, oui, on vous cache soigneusement qu’elle est déjà plus intelligente que nous depuis deux ou trois ans. Parce qu’on se dit que, voilà, c’est la logique de Machiavel reprise par Napoléon : le Peuple est trop stupide pour qu’on lui dise la vérité… ou alors il en fera mauvais usage : il irait le boire au bistrot ! ».
Et donc on ne le dit pas aux gens : on ne va pas les affoler, c’est déjà assez affolant de voir le type d’images que font ces machines quand on les laisse faire. Moi j’essaie de vous convaincre que quand on leur dit de faire un poème à la Prévert, ils peuvent faire des vers qui sont au moins de la qualité de ceux de Prévert facilement et meilleurs que ceux de la qualité de Prévert si on leur pose bien la question.
Je connais quelqu’un qui considère que … « Pourquoi est-ce que Jorion obtient des résultats beaucoup plus remarquables de la machine que d’autres ? », et la personne en question – qui se reconnaîtra – dit : « C’est parce qu’il est poli : il est poli avec ChatGPT ». Je ne suis pas sûr que ce soit ça l’explication ! je crois que c’est dans la manière dont je formule la question : peut-être que j’arrive à tirer le meilleur.
La Singularité, qu’est-ce que ça permet ? Quand la machine devient meilleure, ça permet une explosion du savoir, ça permet que la machine s’apprenne à elle-même, que les machines discutent entre elles et que l’on se trouve facilement, rapidement dans cette situation, la fameuse situation de l’orang-outan dans sa cage et avec les deux gardiens qui sont en train de discuter devant lui : « Est-ce qu’on va le changer cage ou non ? »
Que comprend l’orang-outan de ce qui est en train de se dire là ? Il n’y comprend absolument rien. Comment empêcher que quand la machine devient plus intelligente que nous, que dans des dialogues entre elles, elle nous dépasse carrément ?
Alors, vous le savez, j’ai fait allusion dans la vidéo que j’ai faite hier, il y a des gens qui réagissent à ça directement en disant : « Elle va nous tuer ! Du coup, elle va nous tuer ! ».
Non, non ! les gardiens de l’orang-outan ne le tuent pas ! Il y a des raisons à ça. Ça divertit. On le maintient en vie parce que ça divertit. Vous connaissez mon opinion : il vaudrait beaucoup mieux qu’il vive dans son milieu naturel, et je ne demande qu’une chose : que les orangs-outans et autres animaux sauvages, soient remis à l’endroit qui est le leur, l’endroit qui leur convient.
Voilà où on en est : la Singularité.
Donc moi j’ai un petit livre qui sort dans un mois et demi. [P.J. Le projet de couverture de « L’avènement de la Singularité » apparaît]. Euh… moins : ça nous fait quoi ? On est le 2 février, 26 plus 6, ça fait dans 32 jours, donc un peu plus d’un mois… qui s’appelle « L’avènement de la singularité. L’humain ébranlé par l’intelligence artificielle ».
Alors j’avais présenté ça à deux éditeurs. Il y a un éditeur chez qui j’avais déjà publié : Textuel, qui publie ce livre, et je le remercie d’ailleurs de publier ce livre. Mais l’éditeur Textuel le sait : ce livre avait été présenté ailleurs.
Il avait été présenté ailleurs, à des endroits, je dirais, où on m’avait sollicité. À un des deux endroits, on m’avait vraiment sollicité pour écrire quelque chose de ce type-là. Et d’ailleurs, quand le manuscrit est arrivé, on a dit : « Un livre tout à fait passionnant, vraiment un exposé remarquable, absolument didactique », je cite presque texto [P.J. « Votre texte est passionnant […] Bravo pour cet effort de pédagogie, de synthèse et de clarté, on comprend mieux ce qui nous attend »]. Et après on m’a dit : « Ah oui, mais non ! Le sujet est quand même sensible ! ».
Voilà, le sujet de la Singularité, de la machine qui dépasse seul l’être humain, c’est « sensible ».
Et chez l’autre éditeur aussi, très connu, parmi les cinq premiers, on me dit aussi, après avoir reçu le manuscrit, on me dit : « Vraiment passionnant ! je présente ça au comité de lecture dès demain », voilà, bien. [P.J. « Votre texte m’a passionnée. Je le présente en comité de lecture demain. »]. Et après, là aussi : « Oui, mais finalement, il y a tellement d’ouvrages qui paraissent sur l’intelligence artificielle ces jours-ci ! ».
Alors j’ai eu la curiosité, avant de vous faire ma petite vidéo, je suis allé voir chez ces deux éditeurs combien d’ouvrages ont paru récemment sur l’intelligence artificielle, combien sont en préparation, combien sont « à paraître » ? Comme il y en avait zéro chez eux (rires), je suis allé voir chez trois autres chez qui j’ai déjà publié et qui sont parmi les premiers en France : rien dans les nouveautés, rien dans les « à paraître ». Il y a quelques livres d’intelligence artificielle chez des éditeurs plus techniques comme chez Dunod, qui a d’ailleurs republié à une époque mon « Principes des systèmes intelligents » (1989), ouvrage qui avait été publié à l’origine chez Masson mais Dunod avait racheté Masson, c’est comme ça que ça se passe.
Voilà, alors un petit livre qui va sortir : « L’avènement de la singularité », qui dit que la Singularité a eu lieu peut-être déjà en 2022, en novembre quand GPT-3.5 sort, et certainement quand GPT-4.0 sort, c’est quoi ? le 12 mars ? non : c’est le 14 mars 2023, il y a pratiquement un an, pratiquement exactement un an.
Alors qu’est ce qui va se passer quand ce livre … Je vais faire une petite prédiction parce que parfois je fais des prédictions qui sont exactes. Il y a quelqu’un qui vient régulièrement sur mon blog (rires) pour dire : « Vous aviez prévu que les guerres qu’on a maintenant vont se terminer en guerre thermonucléaire et on n’a encore rien vu ». Dieu merci, on n’a encore rien vu ! (rires). Dieu merci qu’une de mes prévisions tarde un peu ! Je remercie le Ciel tous les jours personnellement qu’une de mes prédictions ne s’est pas encore réalisée.
Mais sinon, j’en ai quand même pas mal à mon actif, et en particulier celle à propos de la crise des subprimes. Mais pour penser à ce qui va se passer à propos de la sortie de mon livre donc sur la Singularité, je réfléchissais ce matin à ce qui s’était passé lors de la sortie de mon livre sur la crise des subprimes.
Alors on me dit … c’est ce qu’on écrit un peu partout : « Monsieur Jorion a obtenu sa notoriété pour avoir prévu la crise des subprimes. »
Bon, première chose, j’ai écrit le livre « La crise du capitalisme américain » et il me faut une bonne année pour qu’on finisse par le publier. On finit par le publier parce que Jacques Attali, qui a vu le manuscrit, insiste : il fait des allusions à ça dans ses chroniques publiées dans L’Express, il insiste pour qu’on le publie. Du coup, on finit par le publier.
Mais au moment où ça sort, en janvier 2007, on ne dit pas : « C’est génial, voilà l’homme qui avait prévu la crise des subprimes ! ». Pendant un an et demi, jusqu’en septembre 2008, les gens disent : « Qu’est-ce que c’est que cet imbécile qui nous parle de crise ? » etc.
Et c’est la raison pour laquelle on ne voulait pas aussi du manuscrit : les maisons d’édition me disaient : « Monsieur, on a présenté votre manuscrit qui s’appelle « La crise du capitalisme américain » à cinq économistes connus, et ils nous disent tous qu’il n’y a absolument pas de crise dans le capitalisme américain, de quoi parle ce monsieur ? »
Pendant un an et demi, on dit : « Jorion dit des conneries etc. »
Mais moi je lance mon blog en février de cette année-là : 2007 et mon premier blog dit : « Regardez la crise des subprimes a commencé ! » [P.J. « Le déclenchement de la crise du capitalisme américain », le 28 février 2007].
Et il y a combien de gens qui regardent ça ? Des milliers de gens qui regardent mon blog ? Non, non : il faut un an pour qu’on arrive à 1000 lecteurs (mensuels) ! Bon, mais qu’est-ce qui se passe en septembre 2008 ? À ce moment-là, un nombre considérable de personnes disent : « Ah mais zut ! il y a ce gars qui parlait de ça, qui braillait en disant qu’il y avait ce truc qui était en train de se passer et personne ne l’a vu ! » etc.
Et aussitôt là : invitations ! « Ah oui ! mais Monsieur Jorion, excusez-nous, c’est vrai que vous en parlez depuis un an et demi mais … », etc. etc.
Pourquoi je pensais à ça ?
Parce que j’ai l’impression que la même chose va se passer avec la Singularité !
Aujourd’hui, je ne suis pas le premier à parler de la Singularité et de même pour la crise des subprimes.
La première personne qui parlait de la crise des subprimes et qui attirait d’ailleurs mon attention à moi, c’est Monsieur Robert Reich, ancien secrétaire à l’emploi aux États-Unis [P.J. sous Bill Clinton], un monsieur encore très actif. Il publie essentiellement dans The Guardian qui est une publication britannique parce que on ne l’invite pas trop dans la presse de son pays, la presse américaine : il nous parle beaucoup des méfaits de Trump.
Monsieur Robert Reich avait vu ça avant absolument tout le monde, la crise des subprimes. Moi je lis Robert Reich et je commence à m’intéresser à ça et je commence à publier là-dessus, voilà, en 2005, donc trois ans avant la crise. Et finalement, mon manuscrit qui est prêt depuis début 2006, paraît début 2007 [P.J. la « présentation » du livre paraît dans La Revue du MAUSS, second semestre 2005].
À mon avis, il va se passer la même chose, on va dire : « Qu’est-ce que c’est que cette connerie sur la Singularité, ça n’existe pas ! », etc.
Et puis il va se passer quelque chose, il va y avoir un truc, est-ce que ça va être au bout d’un an et demi ? à mon avis, ça va être encore plus court que ça, tout à coup, on va voir une IA qui prend une décision qui va prendre tout le monde par surprise et on va dire : « Ah zut ! (ou alors on dira peut-être même : « Ah merde !) ce truc est vraiment plus intelligent que nous ! ». Ou alors : « Il nous aura tiré d’un pétrin invraisemblable ». Une situation où on dira : « On ne peut absolument pas sortir de ce pétrin ! ». Et puis on dira : « On a soumis ça à la machine et la machine a donné la solution et la voilà. Et c’est pour ça que ça va mieux maintenant ! ». Il va se passer quelque chose comme ça mais pendant un certain temps, on va dire : « Non … voilà … la Singularité… »
Il y a des gens qui parlent de la Singularité, il y a Monsieur Kurzweil. Il passe pour un fou depuis très longtemps, on dit : « C’est un cinglé du transhumanisme ! ». Monsieur Ray Kurzweil parle de la Singularité depuis de nombreuses années. Il a sorti, je crois que c’est hier, une vidéo d’une heure et demie. C’est très très systématique, c’est très lent au départ.
Il va publier un livre qui s’appelle « On est proche de la Singularité » ou quelque chose comme ça [P.J. « The Singularity Is Nearer: When We Merge with AI », à paraître en juin 2024].
Il explique tout au début de la vidéo que ça fait un moment qu’il y pense à ce manuscrit, mais que chaque fois qu’il veut le déposer chez l’éditeur, il veut ajouter encore un truc parce que ça va tellement vite.
Moi j’ai fait autrement : je me suis dit … et si vous avez regardé, mon petit livre en fait, il a paru … ce ne sera pas exactement la même chose parce que j’ai ajouté pas mal de choses, mais il a paru sous une première version en feuilleton sur mon blog au mois d’août de l’année dernière.
Monsieur Kurzweil, qui parle de Singularité depuis longtemps, il sera quand même prudent en disant : « On n’est pas loin ! ».
Moi, je suis moins prudent que ça, je dis : « Ça a eu lieu déjà, la question, c’est de savoir si c’était en 2022 ou en 2023 ».
Mais il y a pas mal de gens qui parlent de ça, autrefois déjà. Moi, je lis les bouquins qui sont consacrés à ça. Par exemple celui-là [John Haugeland, « Artificial Intelligence »]. C’est un livre de 1985. Monsieur Hans Moravec aussi, un des grands personnages qui nous ont parlé de la Singularité depuis longtemps : « M.I.N.D Children », ça c’est un ouvrage, ça doit être 87 ou quelque chose comme ça : 1988. Hans Moravec à Carnegie Mellon aux États-Unis. Et il en a fait un plus récent : « Robot » [1999] qui reprenait en fait les thèmes de « M.I.N.D Children », les enfants de l’Esprit. Il reprenait ça onze ans plus tard.
Mais là aussi, ces gens, on les a taxés de timbrés jusqu’ici quand ils nous parlent de transhumanisme de manière un petit peu enthousiaste. À mon sens, on dira un jour que c’étaient des visionnaires, qu’ils voyaient les choses 20 ans avant tout le monde.
Je crois que c’est ça qu’on peut faire : qu’est ce qui peut être vraiment intéressant maintenant ? C’est cette idée chez Hegel, de « comprendre les temps qui sont les nôtres ». Et c’est ça qui l’avait conduit à donner quelques exemples comme Alexandre le Grand, Jules César et Napoléon Bonaparte, de dire : « Ce sont des personnes qui ont compris leur époque mieux que d’autres : ils ont compris quels étaient les temps qu’ils étaient en train de vivre ».
Et je crois que c’est ça qu’on peut faire, la valeur ajoutée qu’on peut avoir, c’est de dire : « Il se passe en ce moment ceci. » Et on va voir ce qui va se passer quand mon petit livre quand il sort dans 32 jours : « L’avènement de la singularité », on va voir ce que les gens disent.
Mais moi, je suis prêt à une période de « Quoi ? Euh… » par ceux qui en parlent. La plupart ne le verront même pas passer, comme c’était le cas au départ pour le livre sur la crise des subprimes. Au départ, les gens ne voient pas ça. Puis on commence à en parler un petit peu en disant : « Le gars est complètement fou ! », et puis tout à coup, il se passe quelque chose et on dit : « Merde ! il nous en parlait déjà l’année dernière en disant que c’était déjà là ! » (rires).
Voilà ! Allez, à bientôt ! On se reparle d’actualité. Ou peut-être plus précisément de l’intelligence artificielle à mon avis. Il se passe plein de choses assez sinistres dans le monde, j’en ai parlé hier dans « Le temps qu’il fait », mais il se passe aussi des choses enthousiasmantes. Ce n’est pas le fait que cette intelligence nous dépasse – il faut quand même qu’on se rappelle de ça : c’est nous qui avons inventé ça, c’est nous qui avons su le faire. C’est nous, on est quand même fortiches … Même si on fait tout péter dans les jours qui viennent (rires), il y aura eu des endroits où on aura été vraiment très très forts.
Allez, à bientôt.
* [Lucas Bellaiche, Rohin Shahi, Martin Harry Turpin, Anya Ragnhildstveit, Shawn Sprockett, Nathaniel Barr, Alexander Christensen and Paul Seli, « Humans versus AI: whether and why we prefer human‑created compared to AI‑created artwork », Cognitive Research: Principles and Implications (2023) 8:42]
Illustration par DALL·E (+PJ)
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