Depuis un an, Kim Ju-ae, fille du chef d’État nord-coréen Kim Jong-un, fait parler d’elle dans les médias du pays. Kim Ju-ae est la deuxième fille de Kim Jong-un, née en 2013 et aujourd’hui âgée de 10 ans.
Kim Ju-ae a accompagné son père lors d’événements très médiatisés et de bon nombre de ses principales inspections, y compris des visites aux quartiers généraux militaires. Kim Ju-ae était ainsi aux côtés de Kim Jong-un lors du test d’un missile balistique, au commandement naval, la célébration d’un satellite de reconnaissance militaire et au commandement de l’armée de l’air. Tous ces événements ont en commun d’être liés à l’armée.
Le comportement de Kim Ju-ae en public est surprenant pour une enfant de 10 ans, et sa présence a été marquée par l’apparition d’un cheval blanc (symbole de l’histoire de la famille Kim dans la lutte nationale contre le Japon) lors du 75e anniversaire de l’armée populaire, le commandant de la marine la saluant et le général en charge de l’armée populaire s’agenouillant devant elle. Elle a même été honorée par les militaires lors du défilé du « système d’armes de type ICBM Hwasong-15 », à l’occasion duquel a été émis un timbre-poste à son effigie aux côtés de son père. On peut lire là une preuve de la domination de Kim Jong-un sur l’armée, l’encouragement d’un culte idolâtre envers la famille Kim, des effets recherchés en termes de politique intérieure plutôt qu’extérieure.
Lorsque Kim Ju-ae défile lors de ces événements, ayant préséance sur sa mère Ri Sol-ju, l’épouse de Kim Jong-un, le statut de la « dynastie Kim » encore appelée « lignée du mont Paektu » est souligné. Lors de récentes inspections militaires, Kim Ju-ae a été autorisée à marcher sur le même tapis rouge que le chef de l’État, alors que sa mère et sa sœur Kim Yo Jong n’étaient pas autorisés à le fouler (Ri Sol-ju est à droite sur la photo).
Il faut peut-être lire là également des indications quant aux nouvelles ambitions de Kim Jong-un.
Après le lancement réussi de Malligyong-1 (le premier satellite lancé par la Corée du Nord) le 23 novembre 2023, Kim Ju-ae a été surnommée “Une étoile du matin de la République populaire démocratique de Corée » (une expression réservée jusque-là aux femmes général dans l’armée populaire de Corée).
Tous ces éléments pourraient nous faire supposer que Kim Ju-ae est dans la ligne de succession au titre de Dirigeant suprême, où elle représenterait la quatrième génération de la famille Kim au pouvoir, mais peut-on pour autant y lire une preuve ?
Historiquement, le père de Kim Jong-un l’avait désigné comme son successeur lorsqu’il avait 8 ans, et il est devenu le dirigeant de la Corée du Nord à l’âge de 26 ans. Sans expérience politique, ni soutien du peuple, il a pris le contrôle du pays de manière brutale, en faisant assassiner son demi-frère et son oncle qui auraient pu revendiquer sa place à tout moment. Sa brutalité a instillé un puissant sentiment de peur et de loyauté forcée au sein de la population. Kim Jong-un marche donc sur les traces de son père en s’assurant que les regards soient braqués sur sa fille Kim Ju-ae.
Sur le plan international, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France ont eu récemment des femmes comme premier ministre. Bien sûr, il ne s’agit pas d’écarter par principe les qualités de Kim ju-ae en soulignant qu’elle est une fille et non un fils, mais dans un pays à la culture profondément confucéenne et au système dynastique très patriarcal, il serait prématuré d’accepter comme allant de soi la pratique d’une femme comme successeur d’un dirigeant. Le féminisme n’est pas du tout répandu dans la société nord-coréenne, et les droits des femmes ne sont pas la norme dans ce pays.
À notre connaissance, Kim Jong-un a trois enfants. Son premier fils est né en 2010, son deuxième enfant, sa fille Kim Ju-ae, est née en 2013, il a encore un plus jeune enfant, né en 2017, dont on ignore le sexe. On ne sait rien de son premier fils et sa vie reste un mystère. Les médias avancent des hypothèses selon lesquelles il existe des raisons pour lesquelles il ne peut pas être vu en public ou bien étudie en secret en vue de son accession au pouvoir en temps voulu. Si cette seconde hypothèse était exacte, Kim Ju-ae jouerait-elle provisoirement le rôle de substitut de son frère, comme caméo ?
S’il devait se confirmer que la quatrième génération de la dynastie Kim soit incarnée par une femme, la cinquième génération sera naturellement celle des enfants que Kim Ju-ae aurait avec son mari (il existe une interdiction de se marier à une personne portant le même nom de la famille). Dans ce cas la longue lignée au pouvoir de la famille Kim s’interromprait.
Si Kim Jong-un tente d’ouvrir la voie à une quatrième génération qu’incarnerait sa fille, une autre arrière-pensée est envisageable : présenter au peuple l’image d’un père affectueux au sein d’une famille socialiste, une façon de se démarquer du style patriarcal de ses prédécesseurs.
La mère de Kim Jong-un, quant à elle, n’était pas reconnue à plein titre comme épouse officielle et échappait au culte idolâtre du fait qu’elle était Coréenne Zainichi (descendante de Coréens venus s’établir au Japon durant l’occupation de la Corée par le Japon), c’est-à-dire de classe inférieure.
Ceci pourrait expliquer, en partie du moins, un complexe d’infériorité chez Kim Jong-un, le sens dynastique étant très valorisé en Corée du Nord.
Ainsi, la simple présence de la femme de Kim Jong-un et de sa fille à ses côtés, peut être un moyen de l’humaniser en tant que dirigeant, de compléter l’image d’un État ouvert sur la famille et de démontrer la sécurité émotionnelle d’une nation conçue comme une vaste famille face à l’isolement international et aux difficultés économiques.
Mentionnons aussi Kim Yo Jong, la sœur de Kim Jong-un, qui lui fait office d’adjointe pour ce qui touche aux affaires étrangères et sud-coréennes. Cependant, étant sa sœur, sa capacité se limite à le faire valoir comme une figure paternelle affectueuse.
L’omniprésence de Kim Ju-ae pourrait avoir pour but de consolider la position de Kim Jong-un en tant que « petit père des peuples ». Son intention étant d’imprégner la société du sentiment imparable de la présence bienveillante d’un père du peuple exemplaire afin d’accroître sa disposition à l’obéissance et à l’assurance d’une loyauté indéfectible, par un endoctrinement constant.
Tout cela dans un contexte où les valeurs individuelles sont de fait méprisées et dans les limites qu’offre le sentiment d’appartenance à une famille telle celle de Kim Jong-un au sein d’un État totalitaire. Sa stratégie de gouvernance par l’émotion est clairement visible dans les photos où l’on voit des personnes éclatant en sanglots à la vue de leur idole lors de ses déplacements.
Au sein du système gouvernemental actuel de la Corée du Nord, Kim Jong-un est à la fois chef de l’État et Secrétaire général du Parti. Près de trois ans après la création du nouveau poste de Premier secrétaire, dont le détenteur est devenu le deuxième personnage du régime, le poste reste vacant. Le règlement du Parti interdit qu’un mineur soit nommé Secrétaire, et si Kim entendait désigner sa fille comme son successeur, il lui faudrait soit modifier la loi, soit attendre qu’elle devienne majeure. La vacance du poste est utilisée par Kim Jong-un comme un outil pour motiver ses hommes de confiance et ses généraux.
Pour résumer, la présence de sa fille aux côtés de Kim Jong-un lors d’événements militaires a le double objectif de légitimer la Corée du Nord en tant que puissance nucléaire et d’occulter le dossier des sanctions. Elle contribue aussi à offrir un visage souriant à la quatrième génération de la dynastie Kim et au message officiel que la filière nucléaire vise à assurer « la sécurité des générations futures ».
La manœuvre pourrait être jugée habile d’une diversion visant à détourner l’attention de la menace que constituent les missiles balistiques intercontinentaux vers la jeune Kim Ju-ae, l’apparition d’une fillette de 10 ans brouille en effet l’image internationalement condamnée de la Corée du Nord. Il peut y avoir bénéfice aussi du côté du chef de l’État à mettre l’accent sur la perpétuation du clan Kim plutôt que sur la question qui se posera un jour de son successeur au pouvoir.
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