Illustration de DALL·E à partir du texte
Il y a 46 ans – arrondissons au demi-siècle – j’allais chaque mois régler en espèces le loyer d’une minuscule fermette en bordure de forêt que je louais. J’allais à pied, pas nécessairement par militantisme écologiste (encore qu’il était déjà là) mais parce qu’il n’y avait pas d’alternative (époque bénie des dieux !), je traversais la forêt finistérienne en une vingtaine de minutes, avant d’arriver au château.
Je me souviens d’un jour en particulier. Pendant que je sortais mes sous assis devant le châtelain à son bureau, il y avait au fond de la pièce, attendant son tour – ou pire encore, son tour ayant été rétrogradé du fait de mon irruption intempestive – un paysan du domaine. Cet homme avait adopté la pose qui nous est familière depuis L’angélus de Millet : la casquette tenue dans les deux mains, le dos courbé, le regard fixé sur le sol à quelque distance devant lui.
J’imaginais moi que le temps où vivait ce « brave homme » était sans rapport avec le mien, mais c’était moi qui étais dans l’erreur : je vivais toujours à une époque où il y avait d’un côté les gens du château et de l’autre, la piétaille de la ferme.
Si je repense à cette scène, c’est que la Ministre de l’éducation nationale me la fait revenir en mémoire : il y a toujours les gens du château et les manants de la ferme.
Ah ! Avant que je m’en aille, un détail me revient : le toit du château s’était affaissé, et dans la salle où, devant le manant humilié, je sortais mes sous destinés au châtelain, il pleuvait : ce vieux monde, ce très vieux monde, prenait déjà l’eau comme maintenant !
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