Illustration par DALL·E (+PJ)
Dans le cadre de mon job dans un petit Bric-à-brac des Landes (13 salariés en cdi sans aides de fonctionnement, 600t collectées par an, 4500 adhérents, + de 100 000 visiteurs) qui remet des objets en circulation depuis 22 ans, je suis témoin d’une situation qui n’échappe pas aux règles qui s’appliquent ailleurs :
- beaucoup de blabla verdoyant, pas d’action sur le terrain
- « Place ! Place au marché qui va tout solutionner ! »
- une start-up et un numéro vert, plutôt que construire une filière basée sur des personnes.
- => la catastrophe s’étend.
Je m’explique :
Historiquement, le réemploi en France, personne ne s’en occupe.
Depuis 1955 et l’abbé Pierre, on laisse les gueux fouiller dans la poubelle, quelques structures autres qu’Emmaüs existent aussi, mais c’est loin d’être une cause nationale.
Au bilan, c’est moins de 5 % du réemployable qui repart en tant qu’objet dans le circuit. Tout le reste (environ 97 % pour ceux qui suivent déjà plus) se retrouve dans des filières industrielles de « valorisation » (production d’énergie, sidérurgie, production d’isolant, mais aussi enfouissement, voire échouage sur des rivages lointains du Ghana ou de Madagascar).
Tout cela est il en train de changer ?
En 2018, nous avons signé une convention avec plusieurs syndicats d’ordures ménagères pour avoir, dans leur déchetterie un container dédié au réemploi. Nous devenons ainsi l’option réemploi locale, et ils nous appellent quand le container est plein.
Plusieurs constatations à partir de là :
- Le débit des containers augmente de façon constante, jusqu’à nous dépasser (+ de 4t semaine/container !)
- La qualité du contenu nécessite un pilotage constant avec les agents de quai
- D’autre structures du marché, nationales ou internationales commencent à s’intéresser sérieusement à ces flux, on n’est plus seuls sur le coup.
- Plus généralement on voit fleurir des boutiques de deuxième main un peu partout, H&M, Leclerc, Decathlon tout le monde s’y met … Vague de dons d’un côté, d’intérêt de l’autre… Est-ce une bonne nouvelle, une tendance souhaitable ?
Tel que je vois les choses aujourd’hui :
On a donc d’un côté des structures historiques associatives ou équivalent, qui s’occupent localement disons de 5 % du potentiel. Elles font bien le job, redistribuent au max la richesse produite, utilisent au max les capacités de formation, d’insertion, de lien social de cette activité support, MAIS elles ne pourront pas monter en volume, puisque les plateformes à créer pour cela ont des dimensions industrielles.
De l’autre on a des structures du marché, attirées par les subventions et les défiscalisations du secteur réemploi, qui se jettent sur ces flux, vont faire rouler des camions, bidouiller des chiffres grâce à des systèmes opaques dans des plateformes lointaines, et gaver leurs comptes paradisiaques d’argent public mal acquis, comme d’hab (sans exclure les échouages malgaches ou ghanéens bien sûr).
C’est pour ça que j’interpelle les hommes politiques du coin en ce moment en leur décrivant cette situation, et en leur proposant d’investir dans des plateformes locales, qui permettent à la société civile de traiter elle-même ce gisement là où il est collecté, en respectant le socle de valeurs des structures historiques, en remettant des ateliers au village, créant des jobs, tout ça tout ça …
Si nous voulons arrêter la noria d’objets qui arrive chez nous en avion, train, bateau, camion depuis les ateliers où ils sont fabriqués à l’autre bout du monde, il nous faut exploiter cette mine colossale : les objets qui sont déjà chez nous. Nous devons les considérer non pas comme un problème, mais une ressource.
C’est du temps humain à re-localiser, comme pour l’agriculture, dans des modèles économiques à inventer, vaste programme.
Illustration par DALL·E (+PJ)
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