La vallée de Campan, par Pascal Charrier

Il a fallu des millions d’années pour que s’érigent les montagnes sans se soucier du temps qui passe.

Il a fallu des centaines de milliers d’années pour que les glaciers y dessinent des vallées sans se soucier du temps qui passe.

Il a fallu des dizaines de milliers d’années pour que la Vie les recouvre de sols fertiles sans se soucier du temps qui passe.

Il a fallu des milliers d’années pour que les êtres humains s’y installent définitivement en commençant à se soucier du temps qui passe. La conscience du travail des anciens disparus partout visible, la conscience et la fierté de l’héritage à laisser pour les générations suivantes. La conscience de la Vie sans savoir combien de temps elle voudra bien nous accorder. La conscience de la mort, sa compagne, traversant chaque dimanche, le royaume des morts pour aller à la messe, les enfants dont un sur deux survivait, l’hiver affamant qu’il fallait traverser. La survie qui faisait mesurer à chacun l’inestimable valeur du collectif malgré ses rigidités et sa rudesse. Qui aurait pu s’imaginer vivre en dehors ?… un vautour passe indifférent au temps, dans sa quête de nourriture…

Chaque génération posait sa pierre sur le chemin montant aux estives. Les prairies, comme les estives étaient communes, l’irrigation cheminant par des canaux longeant les courbes de niveau était l’affaire de tous et les règles d’usage définies en commun. La vie était à ce prix. Nul ne pouvait s’en échapper sauf quand la misère poussait à s’embarquer sur un bateau pour les Amériques avec des rêves plein la tête.

L’argent n’existait pas où presque, les échanges de services et de biens étaient la règle. Les loisirs étaient rares et les journées suivaient le rythme du soleil. La Vie était âpre mais donnait de la valeur à chaque douceur. celà définissait une conscience de soi dans un espace limité mais connu dans ses moindres détails, une forme de sagesse contrainte vis à vis de la nature à la fois hostile et nourrissière.

Il aura suffit de quelques siècles pour que la science et la modernité mettent un terme à tout cela. L’énergie facile mécanisa la vie de chacun. Désormais le temps était devenu une question de vitesse et l’existence libérée de la survie, une course à l’accumulation. Toujours plus devint la règle et l’infini un objectif, jusqu’à y perdre son identité d’être humain au profit de l’insatiable image de soi. Ce qui appartient au passé relève de l’obsolescence, le futur, des objectifs à atteindre, la valeur de chaque chose a désormais un prix, une cotation. Le présent de l’être a disparu dans la course pour fuir le temps perdu et dans le désir inassouvi de devenir.

En vallée de Campan, comme ailleurs, dans les sociétés « modernes », la rentabilité gère la vie des êtres humains. La survie ne se joue plus ici. Les gens des villes achètent les granges foraines qui n’ont plus de vaches pour en faire des  résidences secondaires. Venir ici quelques semaines par an pour se retrouver dans la nature à consommer ou sur les pistes de ski à dévaler.

La neige tarde à venir cette année, la forêt gagne sur les estives, les troupeaux disparaissent progressivement… La nature est toujours là, la Vie est toujours là. En avons nous simplement conscience ?

Le vent est doux, le soleil chaud. On entend quand même la musique de quelques sonnailles par-dessus le bruit incessant des voitures. Sentir l’espace et prendre le temps. Le temps de se sentir en vie,  faire corps avec tout cela sans se soucier d’hier ni de demain. Comprendre les vautours, comprendre le lichen et la mousse, comprendre la roche… Il est temps de cesser d’écrire et de laisser filer les pensées. Existe t-il une autre réalité ?

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20 réponses à “La vallée de Campan, par Pascal Charrier”

  1. Avatar de Quel art Pierre
    Quel art Pierre

    Voit on le pic de Bigorre depuis Campan ?
    Quelle est la période de la photo ? On dirait notre automne si bizarre selon les régions.
    Dans tous les cas, cela donne envie de chausser ses chaussures de rando et de chanter « Montagne Pyrénées, vous êtes mes amours oui mes amours »
    les paroles :
    https://www.culturadenoste.com/cantar-chanter/repert%C3%B2ri-repertoire/montagnes-pyr%C3%A9n%C3%A9es/

    1. Avatar de ilicitano
      ilicitano

      Pic du Midi de Bigorre :
      Mercredi 22/11
      T maxi : -7°C
      T mini: – 13°C

      https://picdumidi.com/fr/live-conditions/panoramique

      Lieux et légendes dans les Hautes-Pyrénées
      http://lieux.loucrup65.fr/hautespyrenees.htm

    2. Avatar de Pascal
      Pascal

      Pour le Pic du Midi : deuxième photo au milieu et au loin
      Pour la date : dimanche dernier, en T-shirt avec encore quelques rares campanules…
      Et pour ma part, je serais plus Vox Bigerri 😉
      https://www.youtube.com/watch?v=WYgvE_ikcYs

  2. Avatar de Maddalena Gilles
    Maddalena Gilles

    MERCI !

    De la part… d’un vieux « dinosaure »… ;¬)
    G.M.

  3. Avatar de Hervey

    «Si jamais je reviens sur le chemin parcouru, je ne veux pas trouver de ruines ou de nostalgie. Le mieux c’est de croire que tout est arrivé comme il le fallait. Et au final ça me va. Une seule certitude : avoir vécu».

    https://fr.wikipedia.org/wiki/José_Emilio_Pacheco

    1. Avatar de Pascal
      Pascal

      L’important est d’être sur le chemin et de mettre le sentier sous ses pas. Y a t il plus vertueux que la marche ? La méditation peut-être ? Mais l’une n’exclut pas l’autre::: Marcher pour se sentir en Vie, quand tout le corps s’engage dans l’effort, que l’esprit s’envole et que la respiration donne le rythme. Marcher pour aller voir derrière, plus loin, plus haut, se laisser surprendre par une odeur, un bruit, une lumière. Marcher pour être présent à soi. Marcher pour partager aussi un espace sans limite, le plaisir des sens, la présence de l’autre…

      1. Avatar de arkao

        @Pascal
        D’accord pour la marche, mais sans la présence de l’autre (si vous entendiez par l’autre un être humain). Pour moi, c’est en solo… Quels que soient les risques.

        1. Avatar de Pascal
          Pascal

          C’est de partager, quelques fois !😉

      2. Avatar de Garorock
        Garorock

         » La méditation peut-être ?  »
        Ah nous y voila. Je me disais aussi… Un billet sans chacras (le churros local): que pasa?
        Petit coquin va!

        1. Avatar de Pascal
          Pascal

          On ne se refait pas !😄
          … Ou peut-être que si, finalement. Au moins, on avance.

      3. Avatar de Hervey

        @Pascal
        En citant un poète comme Pacheco, je plaidais pour … comment dire, un lyrisme plus sobre.
        😉
        Mais c’est votre manière d’être et c’est bien ainsi.

  4. Avatar de arkao

    @Pascal Charrier
    « La forêt gagne sur les estives ». Eh oui, les paysages se renaturalisent, les zones d’herbages étant le fruit du labeur humain de défrichement pour l’élevage ovin et bovin.
    « les estives étaient communes »: Vous êtes sûr?

    1. Avatar de Pascal
      Pascal

      Oui, « les paysages se renaturalisent », ça fait partie de l’évolution des paysages. C’était juste un constat.

      Sinon,
      Dans les Hautes-Pyrénées, le domaine pastoral représente environ 145 000 Ha d’estives et de pâturages dont la gestion est assurée par 134 gestionnaires d’estives dont 50 communes et communautés de communes et 48 groupements pastoraux.

      Cette pratique concernait en 2014, 1 260 éleveurs transhumants dont 180 venaient de départements
      voisins, au cours des dernières décennies la tendance générale a été constamment à la baisse (baisse annuelle moyenne de 18 % des éleveurs transhumants).

      En 2014, 105 050 ovins, 22 700 bovins, 1 900 caprins, 1 830 équins et 140 asins ont utilisé les estives sur le département des Hautes-Pyrénées.

      Sur les dix dernières années, on peut constater une diminution régulière du nombre d’éleveurs
      transhumants (-20 % sur la période) associée à une diminution de l’effectif bovin (- 10%) mais à une
      stabilité de l’effectif ovin.
      https://www.hapy.chambre-agriculture.fr/territoires/pastoralisme/

  5. Avatar de Emmanuel
    Emmanuel

    Un grand merci pour ce grand bol d’air de la Montagne ! Ayant des origines montagnardes, cette fois-ci du côté des Alpes, c’est étrange de ressentir très fortement certaines choses communes….Bon, maintenant je suis confiné le plus clair du temps en ville, captif d’une grande métropole, une jungle où ces impressions lointaines s’efface même du souvenir. Mais c’est comme certaines odeurs lointaines, qui conservent une mémoire tenace pouvant resurgir du tréfonds…. Nature, natures, esprits des lieux, êtes vous là !?…

  6. Avatar de fredo
    fredo

    « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt »
    J’aurais du naître plus tôt … ou alors peut être plus tard ! Je suis paysan, petit paysan, en montagne, de ceux qui refaçonnent des près pour mettre deux vaches, des vergers pour faire courir de la volaille, retracent des chemin pour aller d’une parcelle à une autre, sélectionnent des graines années après années pour qu’elles se ré-adaptent aux conditions locales … je ne monétise pas tout mon travail, une partie est pour nous, pour vivre. Nous n’avons pas de vacances, peu de distractions, ou plutôt si, plusieurs fois par jour, dans ces longues journées de travail.
    Et bien cette vie la n’est pas adaptée à notre époque ! elle suscite la raillerie, la moquerie, le dédain, la pitié aussi !
    J’ai 50 ans. Dans cette vidéo il en a 80 … https://www.youtube.com/watch?v=VIoddR8C2GI
    Ça va probablement durer encore un peu. Cette parenthèse se refermera bientôt … heureusement

    1. Avatar de Pascal
      Pascal

      Bonjour Fredo
      Laissez tomber la raillerie et tout le reste, c’est vous qui êtes dans le vraie quand vous avez fait ce choix de vie. Les moqueurs et les dédaigneux sont perchés dans leur monde d’apparences. Ils sont fragiles comme la brume et rien qu’une pluie d’orage suffirait à les mettre à terre, sans tout leurs artifices urbains.
      Grand merci pour entretenir la montagne. J’ai par chez moi de nombreux jeunes qui ont aussi fait le choix courageux de revenir à la terre. Ce sont eux qui font revivre les villages de montagne.
      Et si effondrement doit advenir, ce ne sont pas les bergers qui seront les plus mal.
      Profitez bien du silence bruyant de la montagne, loin des bavardages inutiles des villes.
      Le cri de la buse ou du milan, la pluie sur le toit en tôle, le carillon des sonnailles et le jappement des chiens, le glissement d’un vautour dans l’air, l’aboiement du chevreuil, le brame du cerf… toute cette vie qui se fout des apparences.
      Au plaisir

  7. Avatar de PHILGILL
    PHILGILL

    Comment rendre compte de la façon dont nous vivons dans le monde ?

    « Il n’y a pas d’histoire sans géographie, pas de peuple sans territoire. » — Alphée Roche-Noël, juriste.

    Aurions-nous donc oublié que sans terre, il n’y a pas d’hommes ?

    Aussi, ce qui est terrible mais aussi salutaire, c’est que la terre… bouge encore !

  8. Avatar de gaston
    gaston

    Merci pour ce beau texte faisant l’éloge de la nature et du passé. Mais ne nous leurrons pas, ce passé pas si lointain, pastoral et agreste était bien rude et n’avait rien d’un jardin d’Eden. Sommes-nous prêts à y retourner ?

    Jean Ferrat nous le chantait déjà en 1967 « il faut savoir ce que l’on aime…. »

    Vas-y Jeannot chante-nous « La Montagne » !

    https://www.youtube.com/watch?v=MHLa8TD4opU

    1. Avatar de Marco
      Marco

      Effectivement, ce n’était pas un jardin d’Eden…
      Je me suis plongé dans les archives de ma petite commune rurale de l’est de la France et l’on y découvre entre autres que l’arrivée de l’eau courante puis de l’électricité il y a tout juste 100 ans -2 points lumineux par foyer !- était très attendue par les villageois car cela les dispensait de tâches quotidiennes fastidieuses.

      Et si plus tard mon grand-père a finalement acheté un petit tracteur orange, c’est parce qu’il pouvait ainsi se défaire de sa paire de bœufs caractériels qu’il fallait nourrir tout au long de l’année.

      Leur existence était rude et tout progrès facilitant leur vie quotidienne était accueilli à bras ouverts. Ils ne vivaient pas leur présent de la façon dont certains l’idéalisent maintenant.

  9. Avatar de Inox
    Inox

    « Il aura suffit de quelques siècles pour que la science et la modernité mettent un terme à tout cela. »

    Raccourci un peu rapide..

    « Ce que nous avons fait de la science et de la modernité pourrait mettre un terme à tout cela. »

    Je trouve cela plus juste.

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