Illustration par DALL·E (+PJ)
Bonjour, nous sommes le 18 octobre 2023 et une petite vidéo glissée entre deux analysant et analysante. Je me rends à vos pressions que je dise quelque chose parce que je suis une personne de raison. Et vous me demandez « Pourquoi ne dites-vous rien sur la guerre au Moyen-Orient ? ».
Alors ce n’est pas que je ne dise rien puisque j’ai fait déjà, je crois, deux billets. Un en particulier attirant l’attention sur cette notion où ‘j’élabore un peu sur ce que Dominique Temple nous a dit sur la réciprocité. La réciprocité négative : la loi du talion, oeil pour oeil, dent pour dent. Tu fais ceci je te rends la pareille. La réciprocité positive qui vient historiquement plus tard ou est contemporaine puisque vous savez la loi salique, la loi des Francs est une sorte d’exemple de loi. Incarnant, rédigeant un texte qui est véritablement la loi du talion.
On avait déjà le christianisme et vous connaissez le message de Jésus-Christ disant : « Tends l’autre joue ! ». La réciprocité positive, on accorde un temps de réflexion : « Tu m’as frappé. En tout cas, je ne te rends pas ça tout de suite ». On va laisser la possibilité aux choses de s’apaiser. Mais il est dit, il est dit dans les Évangiles : « Tends l’autre joue », « Aime ton prochain comme toi-même ». « Si on t’a volé ton manteau, enquiers-toi si celui qui te l’a volé n’a pas besoin aussi de ton second manteau et dans ce cas là, donne-le lui ». On va très loin de ce côté-là, à l’intérieur du christianisme.
Ça avait été dit auparavant des choses de cette ordre-là, pas aussi détaillé, pas avec des illustrations. Ça avait été dit par Confucius où il laisse entendre que ce serait l’idéal vers lequel tendre, mais que ça ne va pas de soi. On trouve ça aussi chez Socrate quand il est en prison. Il a un dialogue rapporté par Platon avec l’un de ses disciples qui lui propose d’ailleurs de fuir et trouve un moyen de soudoyer un garde. À ce moment là, il discute et dit « Ce serait quand même trop gros. Le plus beau, ce serait qu’on ne rende pas la pareille et qu’on vive sur ces bases-là.
Ce n’est pas une des choses marquantes, saillantes qui ont été retenues de la part de Socrate. Même chose pour Confucius : c’est dit de manière beaucoup plus explicite dans les Évangiles. Et puis il y a la non-réciprocité : on n’en est même pas à la loi du talion, on en est à dire que l’autre est un animal, ne fait pas partie du genre humain. Absence de réciprocité, non-réciprocité.
Ne me dites pas que ça n’existe pas : j’ai entendu une dame dame à la télévision il y a cinq minutes : « They’re not human beings ! ». Il faut que vous compreniez, monsieur le journaliste, que ce ne sont pas des êtres humains. C’est là qu’on est. C’est là que se trouve le problème. Et c’est là que si j’hésite depuis quelques jours à dire quoi que ce soit. C’est parce que je vois que tous les gens de bonne volonté autour de moi, qui prennent la parole – plus rapidement que je ne l’ai fait – et qui nous disent : « En réalité, ce sont plutôt quand même ceux-là qui ont raison et c’est plutôt ceux-là qui ont tort « , qui mettent de l’huile sur le feu. Involontairement, bien entendu – certains mettent de l’huile sur le feu, volontairement ! Moi, je parle des gens de bonne volonté qui essaient de ne pas le faire mais qui involontairement le font. Donc voilà, il faut marcher sur des œufs. Ce n’est pas facile de ne pas envenimer encore les choses.
Alors je vais vous poser une énigme. C’est une énigme historique et ce n’est pas une énigme innocente : elle a fait énormément de morts, il y a eu déjà pas mal d’atrocités commises à ces occasions-là. Alors il y a deux groupes. Il y a ceux qui disent et ils parlent. d’un personnage que je viens déjà d’évoquer : Jésus-Christ. Il est mort à Jérusalem, son tombeau est là, ce que nous appelons le Saint-Sépulcre. Dans notre religion, il y a une injonction qui n’est pas négociable, c’est que l’accès à son tombeau pour les pèlerins doit être maintenu, on doit s’assurer qu’il est possible d’y aller pour tout pèlerin, pour tout croyant, il faut pouvoir aller là. Bon, c’est un des groupes.
Arrive un autre groupe à peu près 700 ans plus tard. Celui-là dit : « Notre religion va envahir le monde et un jour chacun aura compris que c’est la Vraie Religion et chacun sera devenu croyant de cette religion-là. Dans ce mouvement vers l’unanimité, vers un monde unifié dans la Vraie Religion – ce sont les termes utilisés – toute terre conquise, tout endroit où des croyants se trouvent désormais est une terre qui ne pourra pas être rendue à l’ennemi : elle est conquise une fois pour toutes. Bon, alors l’énigme est la suivante : le jour où le pouvoir est pris à Jérusalem par ceux qui disent « Maintenant qu’on y est, c’est une victoire acquise définitivement par la Vraie Religion », que se passe t-il dans le dialogue nécessaire avec ceux qui disent : « L’accès au tombeau du Christ doit être maintenu quels que soient les moyens – pacifiques et non pacifiques – pour maintenir ces conditions-là. Voilà, c’est Dieu qui nous a dit que ça doit être comme ça. »
Les autres disent « Dieu nous dit que ça doit être d’une autre manière ! ». Il ne faut pas être grand clerc, il ne faut pas être docteur en Sorbonne, pour comprendre qu’il n’y a pas moyen de mettre en application les deux. Si Jérusalem est acquise une fois pour toutes à une foi et qu’une autre foi dit : « Notre Dieu (ou au moins une partie essentielle d’une Trinité divine), notre Dieu est enterré là et il faut que le pèlerin puisse y aller. » Une fois qu’on a dit ça, il n’y a pas moyen de se mettre d’accord. On ne peut pas se mettre autour de la table et dire : « Bon, on va trouver une voie moyenne à ça ».
Parce que c’est ça, si vous regardez par exemple, la philosophie. Regardez Aristote : le « juste milieu ». Quand on n’est pas d’accord, on s’asseoit autour d’une table et on discute jusqu’à ce qu’on trouve une position qui puisse être appliquée. Si vous considérez que le parti d’en face, ce ne sont pas des êtres humains, vous n’allez pas vous asseoir à une table. On ne s’asseoit pas à une table avec des chiens et des chats, des rats, etc. Mais voilà, en particulier quand il y a assimilation d’êtres humains en face avec des animaux, ce ne sont pas des animaux sympathiques, c’est plutôt de la vermine à exterminer.
Voilà. Alors, mon histoire de croisades. Et je ne dis rien sur qui avait raison. J’ai regardé, à une époque j’ai donné un cours là-dessus : sur les croisades. Je suis allé de surprise en surprise. La mère de Godefroy de Bouillon, Ide de Boulogne, est une sainte. Elle est une sainte aux yeux de l’Église catholique, mais aussi – vous pouvez lire sa vie – c’est une sainte aux yeux de tout le monde, avec le mot « saint » utilisé de manière, je dirais plus lâche, pour dire une personne tout à fait admirable. Quand vous regardez même la vie de Godefroy de Bouillon, vous voyez que … moi j’imaginais, alors que je commence à lire, je me dis : « Bon, c’est un guerrier sanguinaire, etc. non, avec une mère « sainte », il était le plus proche qu’on puisse imaginer d’un véritable guerrier philosophe. Alors est-ce que les philosophes doivent devenir guerriers ? Non, à mon avis, absolument pas : ce n’est pas une chose à faire quand on est philosophe. Mais bon, on a eu Marc-Aurèle et on ne va pas regretter que Marc Aurèle, empereur, ait été grand philosophe. On ne va pas regretter qu’il ait apporté sa contribution remarquable à la réflexion du genre humain.
Comment est-ce qu’on résout mon énigme ? Mon énigme insoluble ? La solution, excusez-moi, il n’y en a qu’une, c’est qu’on ne dise pas « L’accès au tombeau du Christ doit être garanti, quelles que soient les circonstances et par n’importe quel moyen ». On ne peut pas dire non plus : « J’ai une religion, c’est la seule vraie, et si une terre est conquise au sens où il y a conversion ou bien conquête militaire de cette région par nous, parce que c’est la vraie foi , ce l’est une fois pour toutes. »
Alors la solution, elle est où ? Vous allez voir, qu’est-ce que j’essaie de faire : j’essaie de ne pas envenimer les choses, mais je vais quand même dire quelque chose parce qu’il y a quand même une solution à mon histoire de croisades. La solution, c’est la suivante : c’est quand on ne comprend pas des choses comme ça, qu’on ne soit pas sous la bannière de deux choses non négociables et qui impliquent dans ce qui est dit, que l’autre être humain en face est un animal, est une vermine à exterminer. Il ne faut pas se mettre dans des situations comme ça. C’est à partir du moment où les uns disent : « Nous sommes les vrais, nous sommes les vrais êtres humains et les autres n’en sont pas ». Quels que soient – là vous voyez, je ne mets pas d’étiquettes, je m’abstiens bien de mettre des étiquettes – quels que soient ceux qui disent ça, qu’est-ce qu’on peut faire ?
Si vous êtes faites partie des personnes qui pensez cela, vous me considérerez certainement comme un ennemi, mais moi, j’ai quand même un conseil à vous donner : « Quittez ! Quittez ! Quittez la foi qui vous dit que d’autres êtres humains ne sont pas des êtres humains ! »
À mon avis, il faudrait inclure encore beaucoup plus de monde, je fais partie de ces gens qui pensent qu’il ne faut pas dire : « Je le traite comme un chien ! ». Il ne faut pas traiter les gens comme des chiens – il ne faut pas traiter surtout même les chiens comme des chiens si c’est ça que vous impliquez en disant : « Untel est est un chien. Il faut étendre : le vivant est sacré dans son ensemble ! Si je voulais récupérer cette notion de sacré – vous voyez que je la malmène un petit peu quand même parce qu’en raison des excès auxquels elle conduit – s’il fallait dire que quelque chose est sacré, le vivant est sacré, le vivant dans son ensemble. Les gens qui me côtoient me voient sauver la vie d’une guêpe tombée dans une tasse. Je sais qu’elle risque de me piquer quand même, mais c’est comme ça que moi je vois les choses.
Si vous avez une religion, si vous avez une foi, si vous êtes un croyant d’une religion qui dit que d’autres êtres humains – commençons par eux – ne sont pas des êtres humains et doivent être traités comme une vermine à exterminer parce qu’elle est ennemie du genre humain, quittez ça, allez ailleurs : rejoignez les rangs de ceux qui essaient de sauver encore la mise, c’est-à-dire de dire : « Nous sommes tous sur le même bateau, y compris les guêpes et les êtres humains, y compris les vermines ! ». Bon, je ne dis pas que je n’ai jamais tué un moustique … mais même ça, j’évite de le faire.
Voilà. J’espère avoir au moins fait une chose, d’avoir donné mon avis – c’est mon avis !- et de ne pas avoir mis de l’huile sur le feu. Je ne crois pas qu’on puisse faire beaucoup mieux que cela et j’ai encouragé les autres à rejoindre les rangs de ceux qui ne veulent pas mettre de l’huile sur le feu et qui voudraient faire machine-arrière au sens de traiter d’autres êtres humains comme une vermine, ça ce n’est certainement pas la chose à faire.
Nous sommes en péril maintenant, en tant qu’espèce, parce que dans notre enthousiasme, nous avons épuisé les ressources de notre planète pour nous, c’est ça la tâche qui doit nous mobiliser. Et si des machines peuvent nous aider dans cette tâche, il faut aider ces machines-là aussi. En espérant que s’il n’y a plus qu’elles qui restent, au moins qu’elles se reconnaissent entre elles comme des machines méritant le respect.
Voilà, allez à bientôt!
Illustration par Stable Diffusion (+PJ)
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