Illustration par Stable Diffusion (+PJ)
‘We’re not doomed yet’: climate scientist Michael Mann on our last chance to save human civilisation, The Guardian
Donc, cher Mr Mann :
– si on respecte les règles élémentaires de la logique, de la méthode scientifique, en sachant le peu de choses que nous savons du fonctionnement de l’Univers (Vie et Humanité comprises), personne (pas même vous Mr Mann) ne peut prouver que « we’re not doomed yet ». C’est-à-dire que personne ne peut écarter le scénario que la survenue de notre propre effondrement (-50 à -99% de la population mondiale… il me semble qu’il faut en toute logique dépasser 50% de morts pour dire que la population s’est effondrée) et/ou de notre propre extinction à terme significativement rapproché est d’ores et déjà un événement certain (probabilité = 1) (NB : selon toute vraisemblance, un effondrement planétaire de la population humaine est une précondition de l’extinction de l’espèce ET augmente significativement la probabilité de cette extinction en termes quantitatifs a priori, même si on peut discuter en termes systémiques a posteriori… c’est-à-dire qu’un effondrement massif pourrait paradoxalement sauver l’Humanité en tant qu’espèce en soulageant brutalement la capacité de charge de la planète…). Si l’état de la science actuelle ne permet pas de démontrer que nous avons déjà franchi suffisamment de seuils de basculement pour provoquer un emballement planétaire qui finira par provoquer notre extinction, cela ne veut pas dire que ce n’est pas déjà le cas aujourd’hui.
– Il y a ici une asymétrie fondamentale de démontrabilité entre l’hypothèse « we’re not doomed yet » et « we are already doomed ».
– Je peux parfaitement concevoir qu’un jour un modèle scientifique puisse démontrer par A + B que l’espèce humaine va s’éteindre endéans les x années. Il suffit pour ça de songer à un seul exemple pratique. On peut par exemple penser à la proximité suffisante d’un astéroïde géocroiseur pour retirer tout aléa par rapport au scénario d’impact (les trajectoires à long terme sont très aléatoires mais pas à courte distance), un astéroïde trop gros pour qu’aucune stratégie humaine ne puisse l’empêcher de provoquer notre extinction (on ne peut même pas s’enterrer ou compter sur la station spatiale ou un quelconque « stratagème » pour sauver certains d’entre nous. Donc on a ici un exemple pratique de scénario où on pourrait prouver que nous allons nous éteindre de façon certaine. Au sens logique le plus strict évidemment, on ne pourrait pas encore exclure une intervention « deus ex machina » (c’est-à-dire poser une intervention hors de toutes les variables et paramètres que nous pouvons imaginer), soit par la nature (un autre astéroïde vient frapper le premier et le dévier ?), Dieu (prouvant ainsi qu’il existe) ou par une civilisation extra-terrestre (peut-être est-ce la même chose 😉 ). Mais de façon raisonnable, il ne faut rien attendre d’un autre caillou spatial, d’un « Dieu » ou d’une civilisation extraterrestre dans le scénario précédent. Donc au sens pratique, on PEUT démontrer, le cas échéant (si la situation se présente effectivement telle), qu’il est CERTAIN que l’Humanité VA S’ÉTEINDRE. C’est un événement futur dont on peut démontrer que la probabilité est infinitésimalement proche de 1, si le cas se présente. Dans le cas présent, évidemment, aucun scientifique n’a présenté le moindre modèle qui démontrerait de façon certaine que l’Humanité va s’éteindre. Ici nous discutons uniquement de la démontrabilité de l’hypothèse de l’extinction, en sachant que nous n’avons pas d’indication sur la certitude de cette hypothèse au temps où nous parlons.
– Inspectons maintenant l’autre hypothèse, l’hypothèse selon laquelle « we’re not doomed yet », c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle nous n’allons pas nous effondrer ni n’allons nous éteindre en tant qu’espèce (qu’on parle d’effondrement ou d’extinction, la logique de l’argument est analogue). Pour démontrer cette hypothèse, il faudrait connaître l’entièreté du système (l’Univers), toutes ses lois, et démontrer qu’il n’existe aucun scénario futur dans lequel l’espèce s’effondre ou disparaît. Il faudrait démontrer qu’on doit écarter toutes les causes possibles d’effondrement et d’extinction pour l’Humanité. On voit à quel point les deux hypothèses sont asymétriques. Alors qu’il suffirait de prouver qu’une seule cause ou métacause suffirait à nous effondrer ou nous éteindre, il faut dans l’autre hypothèse démontrer qu’aucune parmi une infinité de causes ne va provoquer notre effondrement ou notre extinction.
– Donc en toute logique, le propos « we’re not doomed yet » est une hypothèse beaucoup beaucoup beaucoup plus difficile à prouver en principe (elle repose sur l’examen de toutes les causes possibles) que l’hypothèse « we’re doomed yet », qui peut se contenter de reposer sur l’examen d’une seule cause. Par extension, si cette hypothèse est transformée en opinion, il s’agit d’un postulat beaucoup plus fort (dans le sens de plus audacieux et moins facilement démontrable, voire impossible à démontrer) que le postulat que nous allons nous effondrer et nous éteindre dans les circonstances présentes (où on peut multiplier en grand nombre les scénarios d’effondrement et d’extinction, les causes se renforçant les unes les autres).
– On comprend bien sûr que Mr Mann ne prend pas à la légère les probabilités d’effondrement voire d’extinction de l’espèce humaine, qu’il juge que le réchauffement climatique est une cause potentielle d’effondrement, qu’il juge que nous sommes sur une mauvaise trajectoire actuellement, il parle d’un moment de « fragilité » actuelle et explique que nous devons agir pour ne pas succomber à cette fragilité. On comprend également qu’il veut pourfendre ce qu’il appelle le « doomisme », auquel il attribue la capacité à nous démobiliser complètement alors que, selon lui, il est encore pertinent d’agir pour empêcher le pire. Ce faisant, il exprime un second postulat tout aussi audacieux que le premier (« we’re not doomed yet »). Ce postulat a un caractère « rassuriste », il consiste à penser qu’un être humain ne se battra pas s’il pense que tout est fichu mais qu’il se battra mieux, voire davantage, s’il pense qu’il lui reste une chance de s’en sortir, s’il est « rassuré » sur ses chances de s’en sortir s’il se bat. On pourrait aussi parler de l’énergie de l’espoir vs l’énergie du désespoir.
– Il faut toutefois maintenant se pencher sur le comportement empirique des êtres humains dans l’histoire, individuellement et collectivement. Dans l’histoire, rien n’indique que le sens majoritaire des réactions humaines justifie l’attitude rassuriste. On trouve un grand nombre d’exemples dans lesquels des êtres humains se sont battus jusqu’au bout avec pourtant une quasi certitude de défaite. Si un certain nombre perdirent effectivement, un autre nombre réussit à passer le cap et à survivre/gagner. Là aussi, on pourrait faire deux hypothèses : 1) les rassuristes ont généralement raison ou 3) les pessimistes ont généralement raison. On pourra même faire une troisième hypothèse : x % de la population réagit bien au rassurisme et y % de la population réagit bien au pessimisme, tandis que z % ne réagit ni à l’une ni à l’autre attitude. Avec un peu de chance, il n’y a pas d’effet pervers du rassurisme sur les pessimistes ni inversement. Donc on peut mixer les deux messages en fréquence proportionnelle des deux parties de la population x et y, voire à 100% si on est certain de n’avoir que des x ou des y face à soi. Et ainsi, en appuyant sur les deux boutons de l’espoir et du désespoir, on emporte l’adhésion et l’action de la majorité de la population (en ne perdant pas de temps avec la partie z insensible à toute exhortation).
– Il y a donc un combat entre deux attitudes existentielles qui pourraient déterminer en partie la survie de l’Humanité. Si les rassuristes ou les pessimistes se trompent généralement, alors une partie d’entre nous tirons et poussons dans la mauvaise direction. Si on peut démontrer que les deux attitudes contribuent à la cause sans se neutraliser l’une l’autre, la question devient moins importante et aucun des deux camps ne doit chercher à réduire l’autre au silence.
– Cependant, votre serviteur reste convaincu que l’attitude la plus raisonnable est, sans certitude aucune sur aucune hypothèse ou postulat supra, d’adopter le pessimisme selon l’heuristique de la peur (Hans Jonas) et le catastrophisme éclairé (Jean-Pierre Dupuy). Ce pessimisme ne peut pas avoir pour résultat l’inaction puisque l’inaction signifie l’inertie et signifie la poursuite de la tendance écocidaire actuelle. Dans tous les cas, pessimiste ou rassuriste, on est pardonné de son erreur éventuelle dans une certaine mesure dès lors qu’on agit suffisamment à son niveau. Les pessimistes inactifs sont en effet les pires, pires que les rassuristes qui agissent. Ne pas agir en se convaincant qu’on a raison car l’action est vouée à l’échec est sans doute la pire des options éthiques car elle augmente la probabilité d’échec collectif !
Mais les rassuristes doivent cesser de condamner les pessimistes qui agissent car ils sont la preuve vivante qu’une partie au moins de leur postulat est faux. Je fais partie des gens dont l’énergie du désespoir est parmi les plus grandes forces motrices.
Illustration par DALL·E (+PJ)
Laisser un commentaire