Si vous suivez les activités de mon blog vous n’ignorez pas que Yu Li et moi collaborons depuis quelques années sur des questions liées aux fondements des mathématiques. Yu Li est professeur d’informatique à l’Université de Picardie, elle a mis sur pied une table-ronde qui se déroulera à Rome en août 2024 dans le cadre du XXVe Congrès Mondial de Philosophie : « Un réexamen du théorème d’incomplétude de Gödel ».
Les organisateurs de cette table-ronde expliquent dans un prospectus leur intérêt pour cette question. Voici mon entrée :
Mon intérêt pour Gödel est né de la lecture d’un livre présentant la démonstration du second théorème d’incomplétude (incomplétude de l’arithmétique) comme un exemple de rigueur mathématique que les chercheurs en sciences sociales seraient bien incapables d’atteindre (Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob 1997). Ayant constamment utilisé les mathématiques dans mes recherches au fil des ans, j’étais sceptique à l’égard de cette thèse. J’ai donc entrepris d’analyser la démonstration de Gödel et j’ai découvert que, contrairement à la représentation mythique qu’en ont de nombreux mathématiciens, elle est en fait de très mauvaise qualité : non seulement l’argumentation de Gödel est très inégale en termes de qualité persuasive, mélangeant des modes de preuve de niveau scientifique avec des procédés purement rhétoriques, mais le mathématicien avait négligé qu’une proposition prétendument « indécidable » dans sa démonstration était en fait un paradoxe apparu en raison de son recours imprudent à l’auto-référence. Il s’avère que la démonstration tout entière, loin de constituer un exemple à suivre, accumule au contraire les faiblesses.
Mes conclusions relatives à la démonstration de Gödel sont incluses dans mon ouvrage Comment la vérité et la réalité furent inventées (Gallimard 2009 ; traduction allemande : Turia + Kant 2021). Ce n’est que récemment que j’ai découvert que la médiocrité de la démonstration de Gödel est probablement liée au moins partiellement au caractère chancelant de sa santé mentale tout au long de sa vie (Pierre Cassou-Noguès, Les démons de Gödel. Logique et folie, Le Seuil 2007).
P.S. Vous aurez peut-être reconnu sur l’image le nom de Stefan Lorenz Sorgner. La « disputatio » qui nous opposa à Lille en 2018 est au centre du volume collectif Humanism and its Discontents. The Rise of Transhumanism and Posthumanism (Palgrave Macmillan 2022), dont j’ai assuré la direction.
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