Les bonnes intentions du secteur de la mode, par PiBi

Zara, Uniqlo, H&M, Primark, Gap et d’autres, comptent parmi les plus grands noms de la fast fashion qui, suivant à la trace les tendances les plus récentes de la mode, marques se retrouvant partout dans nos placards (je m’adresse à mes consœurs). La fast fashion est l’équivalent du fast food où la nourriture est servie et peut être consommée de manière expéditive, même chose pour le vêtement. Le label fast fashion est synonyme de production de masse et de création de tendances dans la gamme des vêtements à bas prix : 7,04€ en moyenne pour un article de la marque chinoise Shein.

Ces années récentes, 1,2 milliard de tonnes de CO2 ont été émises chaque année par la seule production textile, quatrième facteur de pollution à l’échelle mondiale, où les produits chimiques utilisés pour fabriquer les vêtements mettent des décennies, voire des siècles, à se désintégrer, voire sont même des « polluants éternels ». La fabrication d’une seule chemise en coton nécessite 2.700 litres d’eau et, selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur, les teintures des textiles synthétiques sont le deuxième facteur de pollution de l’eau. La Commission européenne compte que ses citoyens se débarrassent chaque année de 12 kilos de textile. 92 millions de tonnes de déchets textiles sont produits chaque année dont la plupart finissent par être exportés vers les pays les moins favorisés d’Asie du Sud-Est et d’Afrique où ils ne sont pas traités mais enfouis dans l’espoir d’une lente dégradation qui prendra nécessairement des siècles. Quand ils sont incinérés, ils émettent des substances létales telles les dioxines, tout en contribuant massivement au processus global du réchauffement climatique.

Lors du sommet du G7 en France en 2019, un événement intitulé Fashion Pact promouvait l’ambition d’un secteur de la mode à émission zéro gaz à effet de serre et ayant réduit massivement son recours aux plastiques à usage unique. Au total, 150 marques souscrivirent à cette initiative de mode durable, parmi elles des noms prestigieux de la haute couture tels Gucci, Balenciaga, Prada, Burberry, Chanel, Ralph Lauren, Hermès, Karl Lagerfeld, Giorgio Armani et Salvatore Ferragamo, des marques de vêtement de sport mondiales telles Nike et Adidas, ainsi que des vedettes fast fashion telles Zara, Uniqlo, H&M, Gap, et d’autres. Témoignage, affirme-t-on, du fait que l’industrie de la mode aurait pris conscience de son impact sur l’environnement.

Depuis cet accord, Gucci, Burberry, ainsi que la jeune créatrice Gabriela Hearst, ont organisé des défilés dits « à émission carbone neutre ». De leur côté, les marques de fast fashion ont pris l’initiative de vêtements fabriqués à partir de matériaux recyclés. Un organisme de surveillance européen considère qu’à peine la moitié des affirmations de comportment « vert » dans le secteur de la mode sont  véritablement étayées.

C’est l’Allemagne qui avait mis en place en 1977, la première certification environnementale au monde, « Blauer Engel » (ange bleu), encourageant des initiatives du même type au niveau mondial. La multiplicité depuis des labels en sens divers a toutefois totalement opacifié le paysage.

Des entreprises de mode qui valorisent les produits mis au rebut et fabriquent de nouveaux produits « Upcycling = UPgrade + reCycling » (monter en grade + recycler) dans le respect de l’environnement ont récemment vu le jour. Un bon exemple en est offert par la marque suisse FREITAG, qui fabrique des sacs à partir de bâches de camion recyclées.

Sans chercher à faire la publicité d’une firme en particulier, prenons à titre d’exemple Patagonia, marque américaine qui se met au vert depuis 50 ans, affirmant avoir promu les valeurs sociales et environnementales plutôt que les résultats financiers en pratiquant la transparence absolue de ses rapports annuels.

À une époque, le principal slogan de Patagonia, qui choqua ainsi le petit monde des concepteurs de campagnes commerciales, avait été « DON’T BUY THIS JACKET » : n’achetez pas cette veste. Ce message provocateur visait à interpeller l’acheteur potentiel, le forçant à un moment de pause dans l’acte réflexe d’acheter, non pas en vue bien sûr qu’il n’acquière pas la veste en question, mais que s’il achète un article de ce type, c’en soit un qu’il pourrait porter longtemps. Le slogan visait à suggérer une philosophie commerciale respectueuse de l’environnement. En mars de cette année, le slogan de la marque s’en prit directement à Elon Musk, avec une campagne fortement ciblée intitulée « Not Mars », suggérant un recentrement sur les problèmes immédiats de la planète.

Patagonia a également commencé très tôt à utiliser des matériaux recyclés, pratique impliquant des coûts, expliquant pourquoi, selon elle, ses produits sont 10 à 20 % plus chers que ceux de la concurrence. Sa campagne Worn Wear, vêtement déjà porté, lancée en 2013, s’accompagnait d’une éducation des clients à la réparation de leurs vêtements endommagés, plutôt que leur mise au rebut. Le but était d’engager directement le consommateur aux côtés de l’esprit de la marque dans sa quête d’une protection de l’environnement.

Ceci ne retire bien entendu rien au fait que Patagonia soit une entreprise à but commercial. Pourtant, l’année dernière, la famille Chouinard, propriétaire de Patagonia, a fait don de 3 milliards de dollars, l’équivalent de 100 % de ses parts dans l’entreprise, à une fondation environnementale à but non lucratif engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique. La philosophie de l’entreprise, en vigueur depuis 50 ans, envisage, affirme-t-elle, le vêtement comme une facette de la survie du genre humain plutôt que comme un simple objectif commercial.

La sévère crise financière des subprimes en 2008 a conduit à des changements dans le comportement vestimentaire à Wall Street où l’argent tourne plus rapidement qu’ailleurs. Remplaçant les costumes classiques « Brooks Brothers » qui symbolisaient la finance, des gilets Patagonia firent leur apparition, portant les logos d’acteurs tels JPMorgan Chase, Nomura ou BMO, portés à l’occasion du casual Friday, le code décontracté d’application le vendredi, apparu au début des années 1990. Du monde de la finance, le gilet s’est rapidement répandu à la Silicon Valley, où il est devenu le favori de personnalités telles Mark Zuckerberg ou Tim Cook.

Bien entendu le secteur de la mode est loin d’être le seul responsable de la pollution ambiante mais il est le reflet de la société actuelle, rapide, branchée et axée sur les réseaux sociaux. Alors que la température moyenne de la planète augmente à vive allure en raison de l’activité humaine, l’incitation est forte de se tourner vers des produits ou des marques qui défendent des valeurs sociales et ouvrent la voie à la protection de l’environnement, même si les articles en tant que tels sont chers par rapport à l’offre ambiante.

Ces diverses initiatives, prises par des entreprises aux bonnes intentions plus ou moins sincères, feront-elles une différence ? L’avenir ne tardera pas à nous le dire.

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8 réponses à “Les bonnes intentions du secteur de la mode, par PiBi”

  1. Avatar de ilicitano
    ilicitano

    C’était le 24 avril 2013

    Le Rana Plaza s’effondrait : bilan 1135 morts , 2500 blessés

    Le bâtiment abritait cinq usines de confection, une banque et des appartements

    L’effondrement du Rana Plaza est le résultat d’une succession de dysfonctionnements et de négligences coupables : la corruption des autorités administratives locales par les propriétaires de l’usine, l’inaction et la passivité complice des donneurs d’ordre, silencieux face à l’absence de respect des normes de sécurité élémentaires chez leurs sous-traitants.

    Les raisons directes des problèmes de construction étaient:

    Le bâtiment a été construit sur un étang rempli qui compromettait l’intégrité structurelle.
    Conversion d’un usage commercial à un usage industriel,
    Ajout non autorisé de quatre étages non inclus dans le permis de construire original,
    L’utilisation de matériaux de construction de qualité inférieure (ce qui a entraîné une surcharge de la structure du bâtiment aggravée par les vibrations dues aux générateurs et aux machines industrielles lourdes). Ces différents éléments indiquaient des pratiques commerciales douteuses de la part de Sohel Rana et des pratiques administratives douteuses à Savar.

    Les entreprises présentes dans le Rana Plaza étaient au nombre de cinq :
    New Wave Style, Ether Tex, Canton Tech Apparel, Phantom Apparels et New Wave Bottoms.
    Celles-ci produisaient des vêtements pour les marques, entre autres :
    Mango, Benetton, The Children’s Place, Cato Corp, Joe Fresh possédée par la société canadienne Loblaws et vendues dans les magasins J.C. Penney, les marques Cerdarwood et Denim Co. de la compagnie irlandaise Primark, la marque Papaya Denim de la société britannique Matalan, Free Style Baby vendue dans la chaîne El Corte Inglés et la marque espagnole Velilla.
    Des étiquettes de vêtements Carrefour (marque Tex), Auchan (marque In Extenso), Camaïeu et H&M ont été retrouvées dans les décombres du Rana Plaza.

    Cette catastrophe est un des symboles des problèmes liés à la fast fashion et à la mondialisation.

    Le 23 avril 2013 (un jour avant l’effondrement), une chaîne de télévision a enregistré des images montrant des fissures dans le bâtiment du Rana Plaza.
    Immédiatement après, le bâtiment a été évacué, et les magasins et la banque des étages inférieurs ont été fermés.
    Plus tard dans la journée, Sohel Rana a déclaré aux médias que le bâtiment était sûr et que les travailleurs devraient revenir demain.
    Les gestionnaires d’Ether Tex ont menacé de retenir un mois de salaire aux travailleurs qui refusaient de venir travailler.
    Le lendemain tout s’effondrait.
    (wiki)

    1. Avatar de ilicitano
      ilicitano

      Le Rana Plaza se trouvait dans les faubourgs de Dacca , capitale du Bengladesh;

      Au Bangladesh, environ quatre millions d’ouvrières et d’ouvriers sont employés à bas coût dans quelque 4.500 ateliers de textile, dans lesquels les femmes représentent 85 % de la force de travail .
      Le salaire mensuel moyen d’une ouvrière de la couture au Bangladesh est d’environ 83 euros.

      Le travail des enfants dans les usines de confection au Bangladesh .
      Selon un rapport publié par l’Overseas Development Institute (ODI), les enfants des bidonvilles du Bangladesh qui travaillent, souvent dans les usines textiles où des marques internationales produisent leurs vêtements, font en moyenne des semaines de 64 heures .
      15% des enfants entre 6 et 14 ans des bidonvilles de la capitale bangladaise Dacca ne vont pas à l’école et travaillent à temps plein.
      Ce chiffre grimpe à 50% à l’âge de 14 ans.

  2. Avatar de gaston
    gaston

    En février 2019 le magazine « Reporterre » publiait un article intitulé : « Rester sous les 1.5° : voici comment nos vies pourraient changer ».

    Parmi les mesures préconisées par les chercheurs nous trouvons :  » limiter à 1 kg de vêtements neufs la mise sur le marché par personne et par an. » (actuellement la moyenne de consommation en France est de 20 Kg).

    Alors dans ces conditions, tous les bla-bla des gros et petits fabricants, distributeurs et vendeurs relèvent du greenwashing de fringues.

    https://reporterre.net/Rester-sous-les-1-5-oC-voici-comment-nos-vies-pourraient-changer

    1. Avatar de Khanard
      Khanard

      @gaston

      je plussoie

  3. Avatar de Khanard
    Khanard

    J’en profite pour faire une bise à @Jac qui connaît très très bien ce secteur .

    D’ailleurs est ce que PiBi ……..ne serait pas ……….. non vous croyez ?

    😉😉😉😉😉😉😉😉😉😉

    1. Avatar de PiBi
      PiBi

      Je ne travaille ni pour Patagonia, ni avec Patagonia.

      Je voulais simplement utiliser ce blog pour montrer qu’il existe des entreprises qui essaient au moins de faire quelque chose pour la planète.

      Ils sont en mesure de se vendre grâce à l’environnement. Je pense que c’est une bonne chose que cette entreprise suive ses convictions tout en gagnant de l’argent, et les entreprises à but lucratif en particulier peuvent avoir intérêt à agir politiquement en accord avec le gouvernement pour leur propre bénéfice en fonction du climat politique actuel.

      Par ailleurs, combien d’entreprises dans notre société sont prêtes à reconnaître les critiques qu’elles reçoivent de la part des groupes de défense de l’environnement ?

      Tout ce que j’essayais de montrer, c’est qu’il devrait y avoir plus d’entreprises qui se soucient de l’environnement et qui parlent d’une culture de consommation ayant une conscience.

      On trouve sur Influence Watch une excellente évaluation des pratiques de Patagonia ainsi que la manière dont la firme répond aux diverses critiques qui lui sont adressées : « Patagonia ».

      P.S : Mais est-il toujours possible de savoir l’endroit où les vêtements que l’on porte sont fabriqués et dans quelles conditions ?

  4. Avatar de Un lecteur occasionnel
    Un lecteur occasionnel

    @ PiBi

    Vous nous dites que “ces années récentes, 1,2 milliard de tonnes de CO2 ont été émises chaque année par la seule production textile…”
    Il faut savoir qu’en 2022, le total des émissions de CO2 dans le monde était de 40,6 milliards de tonnes (1). Le textile représente donc 3% des émissions.
    Or, Statista, estime la part des émissions du numérique à 3,8% (2). C’est donc plus que la mode et l’habillement.
    Dès lors, il serait intéressant qu’on nous informe davantage sur l’impact des mails, des vidéos, de l’Internet, etc… que nous utilisons tous les jours et sur lesquels nous avons la possibilité d’agir chacun à notre niveau, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour le secteur textile.

    À bon entendeur, merci.

    PS. On comprend que ce sujet ne soit pas abordé par un blog qui utilise abondamment Internet et le digital. Le problème est toujours le même, lorsqu’on a des intérêts dans une activité on est jamais disposé à la restreindre. C’est le cas pour l’ensemble des activités humaines et cela explique que les émissions de CO2 ont encore battu des records en 2022. Preuve qu’on ne fait rien de sérieux pour les diminuer.

    (1) https://www.notre-planete.info/indicateurs/CO2-emissions.php
    (2) https://fr.statista.com/infographie/19739/empreinte-carbone-internet-et-univers-numerique-mondial-emission-de-co2/

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