Illustration par Stable Diffusion (+PJ)
En introduction, je considère que les discours récents de Trump sont fascinants !
Il se présente aux médias avant d’entrer dans une audience d’inculpation majeure ? « C’est un jour noir pour l’Amérique ». (C’est la fin de la démocratie, etc.) D’une phrase, il échappe à la vision normale d’un accusé qui se défend, et impose la vision (paranoïaque) d’un grand homme poursuivi par des salopards illégitimes. Il dénonce d’ailleurs « l’instrumentalisation sans précédent de la justice », ce qui évoque d’un mot un complot que d’autres dans son public assumeront sans vergogne. Il désigne chaque juge à la vindicte.
Il ne cherche aucunement à discuter de la scène institutionnelle légale, qui l’incrimine ; il révèle un décor de carton-pâte que le peuple doit facilement renverser, en acclamant son champion pour une nation « great again ». Les faits sont sans importance, sans valeur de faits ; et le complot réel qu’il paraît avoir ourdi pour manipuler les élections à divers niveaux passe ainsi à la trappe…
Il n’évoque jamais le parti Républicain. C’est lui (et vous, ses amis, pris à témoin) contre les méchants.
Dans les deux jours suivants, il a deux prestations publiques, pour confirmer sa version des faits et sa victoire inéluctable dans les urnes :
« Chaque fois que les Démocrates radicaux s’en prennent à moi, et que les marxistes, communistes, fascistes m’inculpent, je considère que c’est un honneur, car je suis mis en examen à votre place ». « Donald Trump continue de jouer la victime, le parangon de la liberté d’expression attaqué par un État profond » commente RFI. Et il s’identifie à la Nation, ou plutôt identifie la Nation à sa cause.
Ce positionnement improbable, intenable, est une manœuvre parfaite de manipulation par le discours. Elle ne convaincra que ses partisans ? Mais la question est de conserver une masse de convaincus, un volume de voix qui le maintient en tête aux primaires. Et ensuite de piéger les Républicains qui vont concourir dans les États pour des postes locaux, et qui ne pourront s’opposer à lui. J’y reviendrai.
* * *
Une discussion est née sur les rapports entre fascisme et capitalisme, dans les commentaires du billet signé par Hervey.
L’idée commune selon laquelle les capitalistes préfèrent le fascisme, le créent ou le soutiennent dès le début, ne correspond pas aux leçons historiques, et une précision est nécessaire.
Les capitalistes souhaitent un État libéral, qui fournisse un cadre légal aux pratiques patronales. Ce cadre comporte la gestion juridique des contrats, l’établissement de normes de comptabilité, la sécurisation du système de la monnaie et des banques, toutes mesures favorables à la confiance dans les affaires. Par delà, les capitalistes varient sur la politique régalienne (police, défense…) et sur des politiques sociales et culturelles, en fonction des circonstances. Tout est bon pour encadrer, former, motiver et exploiter les travailleurs… jusqu’au point nécessaire à une soumission sans histoire. Et tout est bon pour surveiller et combattre les organisations qui perturbent sérieusement ce fonctionnement. Espionnage privé, syndicats « maison », licenciements ciblés, violences parfois, sont légitimes à leurs yeux.
Mais parfois, la démocratie dérape, les options extrêmes se fortifient, des émeutes et autres violences surviennent… Bien sûr, aucune violence désordonnée et populaire n’est acceptable aux yeux des capitalistes : les nombreuses tentatives révolutionnaires en 1917 et 1918 en Europe ont été combattues durement. Dans ces cas, le patronat est partisan d’un « État fort », de pouvoirs spéciaux, etc. Il s’agit de s’opposer à « la chienlit », à « la rue ».
Et parfois, un parti spécifique de violence anti-progressiste surgit. Il combine des idées nationalistes (« America Great Again », le « rôle traditionnel de la France dans le monde », la race supérieure des Germains, l’Empire italien depuis Rome, etc.) et des idées progressistes assez vagues, avec assurément la désignation d’un bouc-émissaire, complotiste et profiteur, sans limites de légalité, anti-national : les Juifs, les étrangers de toute sorte, etc. À ce bouc-émissaire est associée une domination financière partielle, celle des affairistes et ploutocrates, mais pas les « bons patrons » nationaux. Des groupes violents surgissent spontanément (anciens combattants, bagarreurs frustrés..) qui attaquent les mouvements progressistes et appuient très vite l’État fort, les familles possédantes, et le (nouveau) parti d’extrême-droite nationaliste/populiste. Le patronat regarde la montée de ces forces nouvelles, il s’informe, mais il reste neutre le plus longtemps possible (aux USA, il finance les deux camps avant de voir lequel a le succès électoral). Seuls quelques patrons fascistes prennent une option précoce (les ancêtres Ford et Trump auraient fait ce choix). Mais les partis nationalistes, dès qu’ils accèdent au pouvoir, et avec une forme de coup d’état ne permettant pas le retour en arrière, exigent des patrons un appui financier sans réserve, en échange d’une promesse d’écraser le mouvement social, de mobiliser la population dans sa dimension nationale et de ne prendre aucune mesure radicale contre le capital.
Bref, le Capital n’a pas désiré le Fascisme, il ne l’a pas choisi ou voulu, c’est une option neutre, parfois inutilement autoritaire ou manipulatrice, mais c’est le moindre mal et dans certaines circonstances, l’option qui s’impose. Tandis que l’option d’autonomie progressiste, même pas vraiment radicale, sera combattue sans vergogne : c’est le marché financier contre le premier gouvernement de gauche en 1981 et ses nationalisations bancaires, contre le Portugal et la révolution des œillets, etc.
* * *
Trump est-il fasciste ? Oui, avec quelques nuances, et c’est à l’honneur de Paul Jorion de l’avoir dénoncé (comme proto-fasciste) dès son avènement. Mais le moment de ses inculpations, avec le positionnement adopté, est instructif.
Trump n’a pas créé un parti, n’a pas impulsé de groupes violents. De même les groupes violents ont préexisté, sous des régimes socialistes réformistes, avant Mussolini en Italie ou Hitler en Allemagne. Et parfois longtemps avant : avec le sinistre Noske en 1918, dont l’assassinat des dirigeants radicaux Rosa Luxemburg et Karl Liebnecht par des bandes organisées, et jusqu’à l’émergence des nazis en 1936.
Mais les groupes violents se sont rassemblés autour de lui.
Trump, comme les deux dirigeants fascistes avant lui, s’adresse d’abord à la petite bourgeoisie, qui craint un déclassement inéluctable (le mouvement Tea-party aux USA) mais craint aussi la résistance progressiste. Elle cherche le retour aux affaires commerciales locales, la sécurité, le business as usual. Elle a besoin de promesse d’une grandeur retrouvée, de répression des profiteurs (donc surtout les allocataires) et des immigrants, désignés comme cause immédiate.
Ces partis fascistes sont d’abord des partis de droite traditionnelle, mais demandent une solution spéciale, simpliste pour sortir de leur crise. (Il y avait parmi le mouvement des Gilets jaunes diverses catégories de petits-bourgeois, commerçants et agriculteurs, autant que des travailleurs embourgeoisés ; et l’extrême-droite a très vite cherché à récupérer le mouvement, mais sans effet visible immédiat). Leur espace politique est différent en Allemagne, en Belgique, en Italie ou en France. Mais la tendance est parallèle.
Trump, dans le système électoral US, va tenter de profiter longtemps de son OPA réussie sur le parti Républicain. Il a un parti majoritaire à utiliser, qu’il prend en otage avec cette conjonction des élections fédérales et locales. Il n’a pas besoin d’un parti séparé, et ses adversaires Républicains ont tout à perdre dans une aventure de scission. Mais il a clairement envisagé un Coup d’État, comme ses prédécesseurs fascistes avec la Marche sur Rome ou l’incendie du Reichstag. Nul doute qu’il l’imposera inéluctablement. Et les éléments de langage qu’il crie aujourd’hui préparent cette aventure hors la loi : L’instrumentalisation de la loi par les méchants est un jour noir pour l’Amérique. C’est cela qui est fascinant.
Illustration par Stable Diffusion (+PJ)
Laisser un commentaire