HELVET IMMO ou l’honneur perdu de la BNP, par Marc Le Son & Paul Jorion

  1. Le procès correctionnel devant la Cour de Paris de BNP PARIBAS pour ses prêts HELVET IMMO est l’occasion de rappeler certains points communs à ces produits et certains crédits « subprimes » : la variété dite « Pay Option ARM » pour qui le montant des mensualités pouvait être inférieur aux intérêts échus, débouchant sur une « amortisation négative » : le fait que le montant du principal à rembourser s’accroisse de mois en mois, à l’inverse de « l’amortisation positive » habituelle dans laquelle les mensualités non seulement acquittent les intérêts échus mais remboursent aussi une part de principal.
  2. C’est en effet l’étrangeté d’une dette qui pouvait augmenter au fil de ses remboursements qui a conduit à l’ouverture d’une instruction pénale contre la BNP en novembre 2011 pour « pratique commerciale trompeuse », puis conduit à sa condamnation le 26 février 2020.
  3. Helvet Immo a été créé par BNP Paribas-Personal Finance, filiale de BNP Paribas et commercialisé de 2008 à 2009 auprès de particuliers réalisant des investissements Immobiliers, le plus souvent « sur plans » ou, selon la terminologie notariale, « en l’état futur d’achèvement » (VEFA).
  4. On y lit qu’avec des règlements constants en euros, la durée du prêt sera allongée ou raccourcie selon l’évolution à la hausse ou à la baisse d’un index (ici le franc suisse): guère d’innovation sur ce point puisque le principe avait déjà été éprouvé par d’autres d’établissements, avec d’ailleurs des sorts divers [1].
  5. En raison justement de ce qu’ils sont souscrits en francs suisses, l’attention a été focalisée par les avocats de la Banque sur le fait que ce serait la progression soudaine de cette monnaie qui aurait placé les emprunteurs en difficulté pour une raison aussi imprévisible qu’irrésistible [2]. Autrement dit, une cause à ce point étrangère à la volonté de la banque qu’elle relèverait de la force majeure.
  6. À suivre cela, on pourrait tout au plus reprocher au professionnel d’avoir délivré à son client une information trop succincte quant au risque de change couru, un manque de transparence finalement si léger qu’il eut été absolutoire si la protection européenne du consommateur n’était venue agiter la sanction des clauses abusives.
  7. Cette vision des choses ne parait pas éloignée de celle induite du réquisitoire du ministère public à l’audience : « On a caché un certain nombre de risques à l’emprunteur pour le pousser à souscrire ce prêt », ce n’est donc « pas lui qui se serait trompé mais la banque qui l’aurait trompé ».
  8. Une tromperie ? même s’il s’était agi de l’écarter à l’issue de quatre années d’instruction et dix ans de procédure, voici le mot lâché du bout des lèvres ; une tromperie dont on va montrer qu’elle ne relève pas de la turpitude mineure d’un dol par réticence mais d’une construction malicieuse de la première banque européenne.
  9. Il est notoire en effet que, lors de la présentation du prêt HELVET-IMMO en interne à BNP Paribas-Personal Finance en 2007, des réserves avaient été émises par des cadres de la banque après qu’ils eurent effectué des « crash tests » au moyen de simulateurs de variation de change.
  10. Si la presse fait état de ce que les PV d’audition de certains de ces cadres sont au dossier d’instruction, celui-ci contient-il ces « simulateurs de variation de change » ? le réquisitoire du parquet permet d’affirmer que non : quatre ans d’instruction pour renoncer à un tel instrument, c‘est refuser au sujet rabaissé la fierté de sa révolte…
  11. Tout est pourtant là puisque, une fois acquis ce simulateur, on voit bien que la difficulté des emprunteurs résulte moins de la progression d’un index au cours du prêt que du mécanisme d’indexation lui-même. Autrement dit, un vice structurel qui fait que tout était déjà scellé à l’instant même de formation du contrat !

QUEL PRÊT, QUELLE DURÉE ?

  1. HELVET IMMO finançait généralement un achat immobilier en l’état futur d’achèvement d’une valeur moyenne de 175.000 € : cette valeur d’acquisition se traduisait en francs suisse selon l’index EUR/CHF retenu par la banque à l’émission de son offre, que pour illustrer le propos, l’on fixera à 1,60 en septembre 2008.
  2. Un EUR/CHF de 1,60 fixe le prêt à : 175.000 € x 1,60 = 280.000,00 CHF.
  3. Très simple, mais seulement voilà : personne ne semble avoir recherché la position de l’index deux mois plus tard, à l’instant de formation définitive du contrat (l’acte notarié de prêt est intervenu début novembre 2008) ; il était pourtant indispensable de le faire puisque le prêt en francs suisses est l’exacte traduction d’un prix d’achat immobilier concomitant exprimé en euros qui sera d’ailleurs directement payé par la banque. La position quotidienne de l’index est fournie par le site de la Banque européenne.
  4. Dans notre exemple, la parité EUR/CHF était 1,4983 au jour de signature d’un acte authentique qui devait seulement réitérer les conditions d’une offre acceptée où elle s’élevait à 1,60 et ce n’est plus la même chose, car  – Au jour d’émission de l’offre, un EUR/CHF de 1,60 convertit 280.000,00 CHF en 175.000,00 €. – Au jour de l’acte notarié, un EUR/CHF devenu 1.4983 convertit 280.000,00 CHF en 186.878,46 €. [3]
  5. La dette de 175.000 €, qui était celle envisagée par l’emprunteur au jour de l’offre, est portée à 186.878,46 € au jour de signature de l’acte notarié du seul fait de la variation de l’index entre ces deux dates. On chercherait vainement une justification à cette somme supplémentaire de 11.878,00 € empruntée, pourrait on dire « fictivement » puisque le client va s’en reconnaître débiteur alors qu’elle ne lui a jamais été prêtée. Cet excédent supportera chaque mois des intérêts et devra être « restitué », y compris en cas d’incident contractuel où il contribuera à l’assiette de calcul des indemnités de remboursement anticipé (IRA).
  6. Il reste qu’alors que les termes de paiement de l’emprunteur restaient inchangés depuis l’émission de l’offre de prêt, la dette en euros a augmenté au jour de l’acte notarié, viciant ab initio l’économie de l’acte de prêt, notamment la durée qui s’y trouvait faussement affichée de manière « prévisionnelle ».
  7. Apparait alors très clairement ce que personne n’a voulu voir : Au jour de l’acte de prêt, l’emprunteur ne connait ni le montant du prêt en euros ni sa durée.
  8. Dans ces conditions et même en ne retenant que les circonstances les plus favorables à la banque, comment considérer qu’une telle obligation ait pu rencontrer le consentement libre et éclairé de l’emprunteur ?
  9. Le contrat HELVET IMMO est tout simplement nul, les titres exécutoires et les avantages fiscaux également et, compte tenu des mensualités déjà versées sur quinze ans, les emprunteurs ne doivent généralement plus grand-chose en dépit de l’étrange augmentation de leur dette parfois constatée.

L’AUGMENTATION DE LA DETTE

  1. Ce que l’on vient de montrer, c’est que la dette exprimée en euros s’est considérablement alourdie entre l’offre de prêt et sa réalisation et que cette situation a évidemment impacté tous les règlements en capital et en intérêts de manière invisible puisqu’elle n’a entraîné qu’une extension de la durée de remboursement restée discrète.
  2. L’emprunt ayant été souscrit en francs suisses, il n’est pas étonnant que la progression du franc suisse ait entraîné celle de la dette exprimée en euros.
  3. Mais pour que la dette augmente aussi en franc suisses il fallait une très forte progression du franc suisse pour en arriver à la création d’une « échéance de remboursement qui ne rembourse pas » ; pour être marginale, l’occurrence n’est pas absurde car si le calibrage était fait à l’époque sur une parité EUR/CHF de 1,60, il faut constater qu’elle est actuellement inférieure à 1 (révélant une progression du franc suisse de plus de 60%).
  4. Bref, cette situation dans laquelle la dette exprimée en francs suisses augmente ne peut se présenter que si la mensualité (en euros) ne couvre pas la totalité des intérêts normalement échus (en francs suisses) , c’est alors que la fraction d’intérêts que l’emprunteur n’a pu régler à l’échéance sont capitalisés dans un enchaînement imparable, selon la même logique que celle du« Pay Option ARM » américain, dont la dimension spéculative dans le chef de la banque octroyant le prêt avait été soulignée par les analystes une fois refroidies les cendres de la crise des « subprimes ».
  5. Les techniques bancaires anglo-saxonnes permettent de faire cela sans trop de problèmes mais c’est le droit français qui régit ce contrat et le procédé méconnait les règles que fixe l’article 1343-2 du CC : la prohibition de la capitalisation des intérêts pour moins d’une année entière constitue une règle d’ordre public, toute stipulation contraire est nulle et réputée non écrite [4].
  6. Et puis surtout, à y regarder de plus près, cette capitalisation interdite était impliquée par la nature du prêt : il était dédié au financement d’un bien immobilier en l’état futur d’achèvement (VEFA), ce qui contraignait aux les déblocages successifs que vise l’article R261-14 du code de la construction et donc, concrètement, à un différé d’amortissement pendant lequel cette capitalisation a prévalu [5].
  7. Et c’est pire en effet car cela implique que, pendant cette période initiale qui pouvait durer trois ans, la moindre progression du franc suisse entraînait ipso facto l’augmentation de la dette et celle, invisible, de la durée du prêt. Le simulateur que nous avons acquis établit qu’en pareilles circonstances, la durée de remboursement serait augmentée de 24 mensualités.
  8. Dire que la banque n’aurait pas satisfait à son obligation de transparence serait moins une litote qu’un euphémisme de courtoisie : une fois soulevé le voile de son camouflage, on voit le piège tendu à des victimes dont on continue à se moquer.
  9. De manière générale, la formule du prêt contracté dans une devise étrangère mais dont les mensualités sont à régler en devise locale est par nature spéculative dans le chef de la banque octroyant le prêt du fait qu’elle constitue un pari directionnel : elle repose sur le pronostic implicite d’une évolution du taux de change entre les deux devises qui sera la cause d’un gain sans cause pour l’établissement prêteur et d’une perte sans cause pour l’emprunteur. Cette formule permet par ailleurs à la banque de se couvrir contre le risque de change entre ces deux devises en transmettant ce risque à ses emprunteurs. Ces deux dimensions doleuses de ce type de prêt justifient l’appellation de « construction malicieuse ». Les consommateurs devraient être à l’abri des manœuvres spéculatives des établissements prêteurs sous la forme de leurs paris directionnels et ne pas se voir transférer la charge de la couverture du risque de change auquel ces établissements sont exposés par nécessité dans leurs transactions internationales.

Sous l’honneur perdu, on a trouvé la honte !

[1] C’est à la même époque et sur reconnaissance préalable de culpabilité, que le CREDIT FONCIER DE FRANCE avait été condamné pour ce type de crédit à une amende pénale par le juge de Créteil le 21/01/2010 pour tromperie et pratique commerciale trompeuse dans des prêts offerts aux consommateurs entre 2003 et 2007.

[2]  Le 15/01/2015, le franc suisse a brutalement progressé de 20% par rapport à l’euro et de 65% entre 2008 et 2023.

[3]  280.000 CHF/1,4983 = 186.878,46 €.

[4] CC,Ch civ 1, 10 juillet 2014, 13-21.144

[5] Cela s’établit facilement au regard des intérêts compris dans la première échéance de remboursement selon la banque : étant supérieurs à ceux produits par un déblocage complet du prêt, ils impliquent bien une capitalisation.

 

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2 réponses à “HELVET IMMO ou l’honneur perdu de la BNP, par Marc Le Son & Paul Jorion”

  1. Avatar de Hervey

    Question.
    Et si le vote était un prêt lui aussi pipé pour habiter en démocratie ?

  2. Avatar de luami

    Bon-Jour qui rime avec Toujours,

    Si l’élection était un prêt
    D’habitants en démocratie
    Nous pourrions par un coup d’arrêt
    En faire cesser les facéties !

    Celui-ci pourrait être un vote
    Sur une question bien posée
    Sans que son résultat capote
    A cause de voix méprisées !

    Ceci suppose de l’écoute
    A l’abri de tous les censeurs
    Qui par leur censure nous déroutent
    Pour profiter de l’ascenseur !

    C’est une belle bifurcation
    Qui fait réfléchir tous les êtres
    Hormis ceux qui ont pour mission
    De se figer dans leur paraître !

    Bon voyage dans la poésie de la Vie !

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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