Ce qui se joue à présent est notre destinée d’être humain.
Un affrontement sans merci oppose les instances étatiques et mondialistes du profit et un peuple, dont la vie se réduit comme peau de chagrin sous la pression de la rapacité dominante.
Ce conflit, l’État a intérêt à le tirer en longueur, car la répression est l’ultime fonction qui lui permet d’exister. Dans le même temps, nous sommes plus en plus nombreuses et nombreux à le pressentir avec un mélange d’exaltation et d’inquiétude : nous entrons dans des années dont le cours nous intime un choix crucial. Nous sommes face à une option qui va déterminer notre sort. Elle est simple.
Ou, résignés à désertifier la planète, nous travaillons à notre propre destruction.
Ou nous nous engageons dans une lutte pour la souveraineté de la vie et des valeurs humaines.
Nous nous engageons ? Non ! Foin des prônes et des exhortations humanitaires ! L’époque n’est plus à la bonne volonté. Elle est au fait accompli.
Les gilets jaunes ont initié une occupation festive des rues et des cœurs. Elle touche des millions d’êtres qui s’éveillent d’un demi-siècle de léthargie et redécouvrent une humanité dont le règne de la marchandise ne cessait de les dépouiller. Mu par un effet d’attraction passionnelle, un peuple s’est soulevé. Son intelligence du vivant a ravivé les Lumières, dont la France révolutionnaire avait illuminé le monde et que s’efforçait d’occulter un obscurantisme d’atterrants crétins.
Les sociologues trouveront mille explications à cette galvanisation psycho-sociale plus inattendue, plus surprenante que Mai 1968, dont les prodromes sont connus. On pointera du doigt la hausse du coût de la survie, la récession, l’augmentation des taxes. On invoquera l’ennui corrosif, suintant le ressentiment et l’agressivité, pour ne déceler en fin de compte dans le « phénomène » des gilets jaunes qu’une fièvre jubilatoire et éphémère brisant la sordide médiocrité ambiante, le temps d’une ou deux émeutes promptement écrasées.
Ce n’est pas ce qui s’est passé. Non seulement le scénario traditionnel de l’insurrection vaincue ne s’est pas répété, mais le coup de l’éphémère a subi une éclipse aussi insolite que remarquable. Un vaste courant d’agitation a affermi ses assises. Il s’est développé sous le regard méprisant du conservatisme et du progressisme. L’extrême-droite, qui espérait le dévorer, s’y est cassé les dents. Le gauchisme n’a pas caché sa déconvenue de ne pas retrouver traces, dans cette horde disparate, du prolétariat que sa politique avait par ailleurs mené à la faillite.
Que ressortait-il du tumulte ? Quelques envolées de colère. Aucun programme, si ce n’est une mise en garde liminaire et rudimentaire que, curieusement, aucune insurrection du passé, si radicale fût-elle, n’avait eu la précaution d’adopter. C’était un avertissement clair, sans ambiguïté, lourd de conséquence : « ni chefs, ni délégués autoproclamés, ni représentants d’appareil politique et syndical. L’humain avant toute chose ! »
Que la résolution n’ait pas varié d’un pouce est moins l’expression d’une fermeté morale que l’indice d’un ancrage plus profond. Il faudra en convenir un jour ou l’autre : la substance des insurrections qui, aux quatre coins du monde, flamboient, s’éteignent, reprennent de plus belle, c’est la vie et sa conscience.
Les mobilisations visant à améliorer les conditions de survie n’ont pas disparu mais elles ne suffisent plus, tout simplement. Elles sont dépassées. C’est pourquoi, telle une musique du vivant en quête d’harmonie, le sentiment d’« être là » s’est propagé irrésistiblement. Au départ d’une poignée de « rustauds acculturés, » il a atteint à la dimension d’un peuple universel, qui n’a plus besoin de gilets, de couleurs, de mots d’ordre pour affirmer et affiner sa détermination.
Ce peuple n’est investi d’aucune mission, il n’a aucune prétention eschatologique. Il a soudain conscience d’assumer la présence massive d’êtres dont la vie a été usurpée, pour qui l’autonomie était un leurre et l’humanité un mot dénué de sens. Une vague sans cesse renaissante le délave de l’indignité à laquelle il avait été condamné. Il a entrepris de recouvrer une liberté naturelle, qui n’est rien d’autre que la pulsion vitale présente en toutes et tous.
La lutte des classes a été la forme historique qu’a revêtue, à l’époque du capitalisme industrialisé, la volonté d’émancipation que les esclaves ont toujours érigée contre les maîtres.
La lutte des classes est inséparable de la conscience de classe qui donne au prolétaire les armes nécessaires pour s’affranchir de la prolétarisation. La bureaucratisation du mouvement ouvrier et la colonisation consumériste n’ont abouti qu’en apparence à la liquidation du prolétariat et de son projet d’une société sans classes.
Dans les insurrections de la vie quotidienne s’incarnent aujourd’hui les libertés égalitaires à laquelle les esclaves n’eurent jamais le bonheur d’accéder.
Or, voici que le joug des maîtres, qui leur brisait les reins, se délite. Il ne résiste plus à l’implosion du système marchand, à l’effritement du Pouvoir, à la déchéance de l’autorité, au débridement de l’argent fou. Un monde s’écroule, qui était dévolu à la mort. C’est à nous de l’évacuer en éradiquant le culte de la charogne.
Créer et multiplier partout nos oasis devient le seul choix à mesure que la paupérisation progresse, annonçant à petit pas les pillages de supermarchés, le sabotage des machines à payer, le feu bouté aux centres d’impôts, le grand bûcher des factures. Que le Pouvoir des possédants assume l’incendie qu’il a déclenché ! Quant à nous, qui ne désirons que les feux de la vie, nous accueillons avec un réalisme placide un constat qui joue en notre faveur : la quantité d’avoir, qui définit la survie, cède la place à la qualité de l’être qui fonde la vie. En d’autres termes, la société marchande s’effondre, laissant à la société humaine le soin d’évacuer les décombres.
Sauf si le Parti de la mort nous convainc de l’accompagner dans sa chute ! Dix mille ans d’autodestruction sont-ils solubles dans une goutte de vie pleine et entière ? Vous en doutez ? Mais quoi ? Pour la première fois dans l’histoire, même l’autodestruction s’écroule de lassitude. La mort est devenue plus ennuyeuse qu’effrayante. La vie qui va devant soi ignore la peur. Elle s’ouvre sur un présent où tout est possible.
Le nettoyage de printemps montre que le printemps est de toutes les saisons. Comment le contester quand on voit les luttes pour la libération de la terre et pour le droit d’y vivre balayer, comme fêtus de paille, les croyances idéologiques et religieuses dont il ne subsiste que des carcasses éviscérées. Si le Pouvoir prend encore la peine de les agiter et de les entrechoquer, la raison en est que, contraint de diviser pour régner, il se doit de leur prêter assez de crédibilité pour les enrôler dans sa stratégie du bouc émissaire.
Le clientélisme a fait du conservatisme et du progressisme, des marchandises interchangeables. Hier encore leur antagonisme les rendait plausibles. Allez donc démêler les enjeux des élections à venir, quand l’opinion publique a entendu le populisme fascisant réclamer la liberté conjointe de ne pas se faire vacciner et de noyer les migrants ; tandis que le populisme gauchiste prônait une vaccination obligatoire, comme s’il ignorait que sa démarche frayait la voie au Crédit social à la chinoise.
N’est-ce pas dans le même ordre d’idées confuses que l’écologie quémande une protection des espèces auprès d’autorités qui les exterminent ? Les gémissements que suscitent les violences policières sont doux aux oreilles des misérables qui les excitent. Qu’espérez-vous de gouvernements à la solde de mafias financières décidées à vider les fonds de tiroirs du Bien public, qu’avaient remplis les luttes ouvrières du passé ?
Paradoxalement, alors que nous pataugeons dans un no man’s land de nuit et de brouillard, tout devient clair. Nous sommes l’émanation de la vie, nous nous revendiquons comme tels. Nos ennemis sont le parti de la mort. Si redoutable que soit leur arsenal de guerre, il suffit d’un reste de vivant immiscé dans leur comportement mécanique pour les déstabiliser et les pousser de guingois.
Ils disposent d’armes qui les font dépérir à petit feu quand ils tirent. Nous n’avons d’autres armes que la vie. Elles ont la gratuité de l’inépuisable. Leur puissance est sans limite, car ce sont des armes qui ne tuent pas.
Il n’a échappé à personne que le souffle des grandes luttes sociales dissipent les plus odieux préjugés. La volonté d’émancipation va au-delà des vieilleries dont nous sommes pétris, elle ne les efface pas, elle les dénoue.
Dans le Landerneau politique, on s’inquiète des exhalaisons malsaines d’un folklore néo-nazi. Le populisme fascisant est devenu la cible élective des apéros gauchistes où l’on a oublié le propos de Berneri, « Seule la lutte anticapitaliste peut s’opposer au fascisme. Le piège de l’antifascisme signifie l’abandon des principes de révolution sociale. La révolution doit être gagnée sur le terrain social et non sur le terrain militaire.» Où l’on oublie, dans la foulée, combien de ces valeureux militants recommandèrent de voter pour un gâteux précoce, tripoteur de matraques, afin de barrer le passage à une Obersturmfuhrer délabrée qui tient la boutique concurrente d’à côté.
Le Pouvoir a toujours alimenté en nous un enfer existentiel où le refoulement des pulsions vitales se défoulait en réflexes de mort. Guerres, émeutes, religions, idéologies offraient à la haine de soi et des autres des exutoires amplement suffisant pour que la vie y paraisse sans usage, sans valeur, inexistante.
L’absence de conflits de grande envergure, la pacification consumériste, la mesquinerie croissante du profit, l’ensommeillement bureaucratique des révolutions, les ordures sans os à quoi se résument les idéologies et les religions mafieuses, ont pour ainsi dire arraché la mort à sa goinfrerie immodérée, à la dévoration outrancière qui lui avait été consentie jusqu’aux hécatombes hitléro-staliniennes. La majesté du Grand Faucheur ayant été quelque peu détrônée et dévalorisée sur le marché, on s’est mis à parler de la vie comme d’un objet insolite mis à jour par un archéologue.
La démocratie totalitaire qu’a instaurée la dictature du libre-échange a été contrainte de rafistoler la peur dont aucun pouvoir hiérarchique ne peut se passer. Après la retombée d’une panique suscitée par la gestion tragi-comique du coronavirus, après le flop de la terreur nucléaire importée d’Ukraine, après une trop incertaine invasion d’extra-terrestres, on se serait volontiers rabattu sur ce furoncle d’extrême droite qui avait servi à Mitterrand pour assainir sa fistule pétainiste, mais l’abcès était crevé de longue date. C’est donc à une terreur en panne d’idéologie, à une répression aveugle, à un viol collectif, à une horreur sans appellation contrôlée que recourent désormais les forces de l’Ordre étatique et supra-étatique.
Nous sommes la proie d’un fascisme botté, casqué, motorisé, violant, violeur, matraqueur, éborgneur, tueur. Il ne relève pas du parti d’extrême-droite, même si celui-ci applaudit à ses exploits. Sa barbarie porte le sceau de la légalité. Elle est le mode d’expression des milices gouvernementales et mondialistes. Le fascisme est le bras armé du parti de la mort. Il est par excellence le culte de la charogne. Il en perçoit la dîme.
Ensauvagés par le ressentiment, les frustrations dont ils se vengent en tabassant et en massacrant ce qui passe à portée, les policiers ont quelques raisons de se gausser de notre indignation, de nos protestations humanitaires, de nos pétitions, de nos cahiers de doléances. Pourquoi se priveraient-ils de ricaner quand ils nous voient implorer la clémence de pantins mécanisés dont ils enragent secrètement d’être la vile serpillière ?
Ce qu’ils attendent fébrilement n’est pas qu’on les aime mais qu’on les haïsse. Leur haine de soi et de la vie se nourrit de la peur qu’ils éprouvent et qu’il propagent. Les conflits du passé ne manquaient pas de clarté. L’ennemi faisait sens, il était le nazi, le communiste, l’envahisseur, le barbare venu d’ailleurs. Mais pour taper sur une foule de promeneurs, quelle raison la matraque invoquera-t-elle si, par le plus improbable des hasards, il lui arrive de penser ?
Cette absence de raison est par elle même une question. Ne pas y répondre la renvoie au demandeur. Il se peut qu’elle tourne et se retourne en lui, qu’elle le taraude de son absurdité. Mais combien de temps prendra-t-elle pour inciter la troupe à dresser la crosse en l’air ?
L’autre solution est de répondre mais en n’apportant pas la réponse attendue. Quelle est la réponse espérée ? L’exécration, le rejet, le mépris, la tenue de combat, la descente dans l’arène. Un comportement où nous perdrions notre humanité pour avancer en porte-à-faux et entrer en barbarie.
Puisque la réaction attendue est « on va vous rendre l’existence impossible », décrétons, à l’inverse, « nous allons vous rendre la vie possible. » Non par esprit de provocation mais parce que nous restons fidèles au projet humain qui est le nôtre.
Il serait illusoire, voire ridicule, de miser sur un travail de dissociation du policier, qui lui laisse une chance de recouvrer son humanité en désertant la machine à broyer le vivant, dont il est lui-même victime. Mais que risquons-nous à lui signifier – de loin et à l’abri de ses réflexes sado-masochistes – que nous ne voulons ni pardon ni talion ? Que vous voulons seulement que la vie soit à tous et à toutes, sans exclusion.
Nous n’avons pas de message à adresser, nous avons une expérience à mener sans discontinuer. Il nous appartient de poursuivre l’occupation de notre terre, d’autogérer notre eau, de fonder partout dans le monde des micro-sociétés où les assemblées permettent à chacun la libre expression de ses désirs, leur affinement, leur harmonisation (l’expérience zapatiste montre que c’est possible.)
Osez parler d’utopie et de chimère alors que la France retrouve l’élan qui la libéra de l’Ancien régime ? Alors que s’esquissent sous nos yeux des collectivités où s’incarnent dans l’authenticité vécue ces idées d’égalité, de liberté, de fraternité, qui avaient été vidées de leur substance ?
Notre révolution sera celle de la jouissance contre l’appropriation, de l’entraide contre la prédation, de la création contre le travail.
Ne rien céder sur l’invariance de notre projet humain tisse une cohésion existentielle et sociale qui a les moyens et l’ingéniosité de pratiquer une guérilla démilitarisée soumettant à un harcèlement constant le totalitarisme étatique pourrissant.
Ceux qui misent sur notre essoufflement ignorent que le souffle de la vie est inépuisable. A courir en revanche partout où l’on détruit leurs machines, comment les oppresseurs ne s’étoufferaient-ils pas à perdre haleine ?
Nous entrons dans l’ère de l’autogestion et du renversement de perspective.
Nous n’avons connu de vie que sous l’ombre glacée de la mort. Nous n’avons rien entrepris sans penser que notre entreprise était vaine et insensée.
La France, en se soulevant, ouvre au monde des voies radicalement nouvelles. La créativité poétique du « peuple des bassines » s’inscrit dans un mouvement d’autodéfense du vivant appelé à croître, à se fédérer, à multiplier, non par volontarisme mais parce que c’est cela ou se momifier dans un environnement sans insectes et sans oiseaux.
Nous ne sommes ni Sisyphe ni Prométhée, nous refusons les sacrifices, à commencer par le sacrifice de notre existence. Nous sommes des individus conscients que la vie et la terre leur ont été données avec un mode d’emploi dont ils sont en tant qu’humains les seuls détenteurs.
La vie en quête d’humanité a tous les droits, elle n’a aucun devoir. Tel est le renversement de perspective qui nous affranchit du ciel des Dieux et des idées, et nous remet droit debout, bien ancrés sur la terre.
Nous sommes arrivés à un point de rupture avec un passé qui nous a mécanisés (le comportement militaire en fait partie). Nous sommes le point de départ d’un présent qui ne régressera plus. Nous sommes la renaissance d’une vie que rien n’a réussi à étouffer et qui maintenant revendique sa souveraineté. Regardez ! Nous étions une poignée de gueux, le gratin des rien-du-tout. Nous sommes des millions à découvrir une intelligence du vivant qui nous tient quitte de l’intelligence morte, qui nous a gérés comme des choses. Nous ne sommes plus une marchandise. Nul besoin de fanfaronner pour le faire savoir. Commençons par la base : plus d’école inféodée au marché, plus d’agriculture dénaturée, plus d’ordres à donner ni à recevoir !
Il faut cesser de raisonner en termes de victoire et de défaite, comme des encasernés. La militarisation des corps et des consciences, ça suffit !
Ce qui effraie le Pouvoir, c’est moins le grand nombre des opposants que la qualité de la vie qu’ils revendiquent. Lors des grèves anciennes, les patrons redoutaient moins l’ampleur numérique du mouvement que la joie profonde qui animait les insurgés. Ils avaient les moyens d’en venir à bout grâce au chantage habituel du « pas de travail, pas de salaire ! ».
Alors que le capitalisme annonce aujourd’hui sans ambages que la hausse du prix des denrées et la baisse des salaires sont inéluctables, que l’on m’explique comment le chantage traditionnel a la moindre chance d’obtenir une reprise générale du travail ! On comprend en revanche que l’État – tenu d’enrichir ses pourvoyeurs – n’ait plus, pour masquer sa faillite sociale, qu’à tabasser ce peuple dont la présence le terrorise. Mais pendant combien de temps ?
Qu’on ne nous accuse pas de vouloir abattre l’État. Il s’abat tout seul et il s’abat sur nous.
Son inutilité dévastatrice nous met en demeure de palier, par la création de zones d’autodéfense du vivant, la disparition programmée des biens dont il nous pourvoyait jadis quand il se souciait d’une communauté citoyenne. Ce n’est pas le tout de mourir, il faut bien vivre !
Rien ne résiste à l’autodéfense du vivant.
Il n’est pas une seule forme de gouvernement qui n’ait fait le malheur des peuples censés bénéficier de ses bienfaits. A peine sortis des pires dictatures, nous avons hérité de la meilleure, si l’on peut qualifier ainsi un totalitarisme économique où le politique perd pied tant se déversent et s’amoncellent en cette fin de parcours les excréments de ce qui fit la gloire du passé – aristocratie, démocratie, oligarchie, impérialisme, monarchie, autocratie et tutti quanti.
C’est de ce tout-à-l’égout où ils s’enlisent que nos ennemis prétendent mener contre nous une guerre à outrance ? Voire ! Nous sommes capables de frapper, de disparaître, de resurgir où on nous attend le moins. Nous avons appris des guérillas traditionnelles que leur échec fut moins le fait de la violence répressive que de leur propre organisation interne où se perpétuait la structure hiérarchique du monde dominant. Souvenez vous de l’effarement des élites françaises devant les gilets jaunes : « où sont donc les chefs, les responsables avec qui discuter ? » Eh non ! Il n’y en avait pas. Faisons en sorte qu’il n’y en ait jamais !
L’autogestion est une expérience qui a prouvé sa viabilité dans l’Espagne révolutionnaire de 1936, avant d’être écrasée par le parti communiste. Elle est l’organisation par le peuple de la satisfaction des besoins et des désirs de celles et de ceux qui le composent. Ses principes théoriques prennent naissance dans le vécu des collectivités où lutter ensemble enseigne un art des accords et des discordances qui n’est pas étranger aux résonances musicales de l’existence individuelle et de la nature. Partout où apparaissent des zones d’autodéfense du vivant, l’intelligence du cœur l’emporte sur l’intelligence de la tête et enseigne à tout réinventer.
Ce que mai 1968 nous a légué de plus radical, c’est le projet d’occupation d’usines où les prolétaires commençaient à envisager de les faire tourner au profit de tous et de toutes (éventuellement en les reconvertissant). Le parti communiste s’y opposa violemment, ce fut sa dernière victoire avant l’effondrement définitif.
Le travail parasitaire et la spéculation boursière ont fait disparaître les lieux de production socialement utiles mais la volonté d’occuper des lieux où nos racines sont les racines du monde n’a pas fléchi. Récupérer les rues, les places, les communes, c’est un combat qui se livre à la base. Il n’est pas tolérable que les nourritures empoisonnées par l’industrie agro-alimentaire pourrissent l’air ambiant et pénètrent dans nos cuisines où nous avons le bonheur de concocter des plats sains et savoureux.
La terre est un lieu de jouissance humaine, non une jungle où règnent la prédation et l’appropriation. Nos libertés sont nourricières. Nous assistons à la renaissance d’une vie qui n’a que des commencements et ignore qu’il existe une fin.
Nous n’avons qu’un monde meilleur à offrir.
Raoul Vaneigem
5 avril 2023
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