49.3 : Comment explique-t-on les choses ?, le 20 mars 2023 – Retranscription
Bonjour, nous sommes le 20 mars 2023 : « Comment explique-t-on les choses ? »
Voilà ! J’ai un blog depuis 2007. Ça nous fait un certain nombre d’années : ça nous fait quinze ans, seize ans.
Je suis enseignant, j’ai été enseignant, à différentes époques de ma vie. J’ai travaillé dans le secteur public et dans le secteur privé. Il y a eu beaucoup de réunions. J’ai essayé de faire passer mon point de vue.
Et en ce moment, un problème se pose quant à l’explication : il y a des évènements, en particulier le passage en force de la réforme de la retraite en France par décret, par le 49.3, et quand j’explique pourquoi on en est arrivé là, quand je donne les raisons, quand je montre la succession des événements, l’enchaînement des événements, j’ai un problème, c’est que le cadre dans lequel je décris les choses me conduit à des conclusions et à des recommandations qui sont à ce point « hors du cadre » qu’il y a une difficulté majeure à faire passer mon point de vue.
Je vais un peu illustrer cela.
« Inflation = piège à cons ! », « Règles comptables = ennemies du peuple ! »
Le 19 avril 2022, il y a presque un an, j’ai fait un billet sur mon blog où j’expliquais une succession d’événements probables.
Je commençais par la Covid, le confinement, l’interruption de certaines chaînes d’approvisionnement, en particulier venant du pays, la Chine, où la pandémie avait démarré. Cette rupture dans les chaînes d’approvisionnement, parfois même des ruptures de stock, a conduit à des interruptions, bien entendu, à du renchérissement des produits. Cela a produit une inflation.
La hausse généralisée du prix des produits conduit à ce qu’on appelle un phénomène monétaire d’inflation, et les banques centrales, dans un cadre libéral, même ultralibéral, ont pris l’habitude de tenter de contrer l’inflation en augmentant les taux (à moyen et long terme) et les taux directeurs, dans la mesure où elles ont le pouvoir de décider du niveau de ces taux. Elles peuvent le faire directement pour les taux à très très court terme, en disant : « À partir de demain, ce ne sera plus 2,75%, ce sera 3% ».
Elles peuvent agir aussi sur les taux à plus long terme par des ventes et des achats d’obligations d’État – c’est une manière de faire pression. Et les banques centrales ont pris la très mauvaise habitude, dans le cadre de la théorie économique prévalente, qui est absolument fausse, de considérer qu’il faut protéger à tout prix le rendement des taux pour ceux qui prêtent de l’argent : la rente.
Il faut protéger les rentiers et le moyen de le faire, c’est donc de lutter contre l’inflation, non pas en agissant sur l’offre et sur la demande comme c’est parfois raconté, mais en permettant aux rentiers, de continuer d’avoir des revenus, c’est-à-dire que les taux d’intérêt qui sont véritablement versés soient supérieurs à l’inflation, sans quoi l’inflation éroderait entièrement les revenus sur le capital de ce type.
Alors, ça a pour conséquence en particulier que les États émettant de la dette doivent l’émettre à un taux plus élevé, c’est-à-dire que le « service de la dette » : payer les intérêts que l’État doit payer, qu’il s’est engagé à payer aux acheteurs d’obligations, c’est-à-dire aux personnes qui ont prêté de l’argent à l’État, il y a moins d’argent pour le social parce que nous avons pris cette autre très mauvaise habitude de considérer que l’aide à la population, sur tout ce qu’on appelle le « social », c’est un luxe qu’on peut se permettre quand il y a de la croissance et quand il n’y a pas de croissance, on ne peut pas se le permettre.
Donc, s’il y a augmentation des taux d’intérêt en réaction à l’inflation, il y aura moins d’argent pour le social et les États vont essayer de faire des économies.
Par ailleurs, quand les banques centrales décident une hausse des taux d’intérêt, cela veut dire que l’État, en particulier va émettre des obligations, va emprunter, à des taux plus élevés, plus élevés qu’il ne l’avait fait dans les mois, les années, précédentes.
Et cela veut dire que les obligations en circulation qui ont été émises les années précédentes à des taux inférieurs à ceux que l’on consent maintenant, vont se déprécier.
Pourquoi ?
Parce que quand on vous dira : « Maintenant, on émet une obligation à du tant, à du 4 % ».
D’accord. Et à partir de maintenant, quand l’État emprunte, il emprunte à du 4 % pour une durée particulière, ce qu’on appelle la « maturité » de l’obligation. Celles qui ont été émises précédemment à du 2 % et du 3 %, si on veut les acheter sur le marché, elles valent moins : rapportant moins que du 4 %, leur prix va se dévaluer.
Et si des banques se sont constitué – comme les États aiment bien qu’elles le fassent de toute manière – de grands portefeuilles justement remplis de ces obligations, la valeur marchande, le prix auquel ils pourraient revendre éventuellement ces portefeuilles, va baisser et donc les banques vont avoir des avoirs dépréciés qui sont ces portefeuilles d’obligations.
Si ces banques sont fragiles à ce moment-là, elles seront victimes de ce qu’on appelle un « krach obligataire » ou une « crise obligataire », c’est-à-dire la dépréciation, la dévalorisation, de justement ces portefeuilles d’obligations d’État qu’elles ont en leur possession.
C’est une dépréciation de ce type là qui a causé il y a quelques semaines, la faillite de la banque Silicon Valley Bank aux États-Unis et d’une banque aux États-Unis qui s’appelle Signature, qui était dans une position assez semblable, avec un facteur aggravant, le fait qu’elle avait un portefeuille important de « crypto-monnaies » qui sont des jetons qui, n’ayant aucune garantie véritable dans l’économie, se déprécient encore davantage puisque c’est uniquement la croyance dans le fait que ça a une valeur quelconque qui soutient le prix de ces ‘crypto-monnaies », le mot « monnaie » devant être mis entre entre guillemets.
C’est-à-dire que quand je vois un an plus tard, – un an après avoir publié mon billet, – le fait qu’effectivement des banques sont victimes de la crise obligataire, du krach obligataire, quand je vois les gens dans la rue, je pense à l’explication générale que j’ai donnée, qui est que c’est une conséquence quasiment inéluctable – il faudra que je revienne sur le mot « inéluctable » – du fait qu’il y a eu des confinements et que ces confinements ont été parfois prolongés et ont touché des régions entières où de la production en grandes quantités, s’opère.
Si l’on voulait protester contre cela dans la rue, il faudrait aller avec des panonceaux disant : « Inflation = piège à cons ! », en visant tout particulièrement les banques centrales et leurs politiques de réagir contre l’inflation, l’augmentation du prix des produits, en augmentant les taux, en haussant les taux, avec les conséquences désagréables que je viens de mentionner.
Or, les gens ne vont pas dans la rue en disant : « Inflation = piège à cons ! ».
Parmi les remèdes que j’ai proposés à des baisses considérables des rentrées de l’État, j’ai suggéré – et ça, ça date de 2012 – j’ai commencé par faire ça dans un billet, une chronique dans le journal Le Monde, j’ai aussi repris ce thème, en particulier de manière détaillée dans un livre de discussion avec Bruno Colmant, économiste belge, sur l’état de l’économie à ce moment-là, un livre publié en 2014.
Qu’est-ce que je propose là-dedans ?
C’est une idée qui fait son chemin : elle a d’abord été reprise par Monsieur Benoît Hamon en France, comme vous le savez. Et, récemment, Monsieur Bill Gates aux États-Unis et Monsieur Bernie Sanders encore plus récemment, reprennent cette idée d’une taxe sur la valeur ajoutée par les robots.
Pourquoi est ce qu’on ne le fait pas ? En particulier, parce que ça n’apparaît pas quand des travailleurs, des travailleuses, sont remplacés par des machines, il n’y a pas un poste qui s’appelle, à l’intérieur de la comptabilité : « robot travaillant à la place d’une personne ». On change des chiffres dans des colonnes, il y a des choses qui coûtent moins cher à l’intérieur de l’entreprise.
Le travail de la machine n’apparaît pas à l’intérieur du système des règles comptables qui sont les nôtres.
Alors, si l’on veut protester contre cela, il faut protester contre l’état dans lequel se trouve notre système de règles comptables. Et il faut que les gens défilent dans la rue en disant : « Règles comptables = ennemies du peuple ! », et qu’ils défilent en demandant à ce qu’on change cela.
Bon, alors, ma première pancarte, « Inflation = piège à cons ! », ma deuxième pancarte : « Règles comptables = ennemies du peuple ! », vous ne les verrez pas !
Vous ne les verrez pas parce que tout ça dépend du fait d’être d’accord avec un schéma qui est un schéma d’explication globale.
Alors, c’est quand même, je dirais, en faveur de mon explication d’il y a un an, le fait que tout ce que j’ai annoncé se vérifie : c’est un facteur qui soutient, je dirais, la véracité de mes propos, de mon diagnostic et de mon pronostic.
Quand je dis que la richesse existe mais qu’on ne la voit plus apparaître et qu’en tout cas elle n’apparaît pas sous forme d’impôts, c’est parce que le travailleur, la travailleuse, sont remplacés par la machine qui produit de la richesse qui va tout droit dans les bénéfices de l’entreprise.
Et vous ne serez pas surpris de voir que les entreprises font des bénéfices à ce point considérables – alors que la population ne se porte pas particulièrement bien – au point qu’elles ne savent pas trop quoi faire de l’argent en trop et finissent par racheter leurs propres actions. Des choses de cet ordre là.
La difficulté qui est la mienne, c’est que je donne des explications, je propose des remèdes et que personne, jamais, ne parle de cela.
Pourquoi ?
Parce que les peuples préfèrent dire « M. Machin, Mme Machin, les Untels et les Ceci… » et que dès qu’on donne une explication un petit peu compliquée, on regarde au plafond ou on regarde ailleurs et en tout cas on ne verra jamais mes panonceaux dénonçant les règles comptables, dénonçant la manière dont les banques centrales traitent l’inflation, alors que c’est à ces deux endroits là que l’on couillonne – si vous me permettez l’expression – le peuple en question, qui aurait raison de dire que c’est à cet endroit-là qu’on lui fait un mauvais coup. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe.
Alors, jusque-là, ce n’est que des mauvaises nouvelles.
C’est-à-dire que je peux faire des pronostics, que ces pronostics soient probablement de grande qualité … à la suite de diagnostics d’une très très grande qualité eux mêmes … et que ça ne fera jamais aucune différence parce qu’on me regardera, comme toujours, avec des yeux ronds en disant : « Qu’est-ce que c’est que votre histoire de règles comptables ? Qu’est-ce que c’est que votre histoire de la manière dont les banques centrales traitent l’inflation ? Est-ce que vous n’avez pas compris que c’était une question d’offre et de demande le fait que les banquiers haussent les taux quand il y a inflation ? Tout le monde sait ça ! »
Or, ce n’est pas que tout le monde sait ça, c’est que tout le monde a eu le cerveau lavé d’une certaine manière et que ça produit un produit extrêmement blanc, effectivement, mais dans lequel tout raisonnement a disparu : le raisonnement a été complètement oblitéré.
Quand les robots apparaissent dans les entreprises et qu’on nous dit : « Ça ne modifie absolument pas la productivité des gens, regardez ! ». On vous montre les chiffres et vous vous demandez comment ça se fait que quand on remplace, quand on met un robot à côté d’une personne, eh bien on ne voit rien du tout. Et que quand quelqu’un a sa machine à écrire remplacée par un ordinateur qui lui permet de faire 100 fois plus que, eh bien, apparemment il ne produit pas plus, etc.
Parce que nos règles comptables cachent tout ça à l’intérieur de rouages.
Alors que faire?
Que faire?
Heureusement la cavalerie est arrivée, la cavalerie est là. Elle s’appelle ChatGPT. Elle s’appelle GPT-4
Et pourquoi est-ce que ça va arranger les choses ?
Ce n’est pas parce que ces intelligences artificielles vont prendre le pouvoir à notre place, mais c’est parce qu’il se passe la chose suivante, que j’ai pu constater d’ailleurs quand j’ai écouté, ou plutôt quand j’ai lu, le texte d’un article de Monsieur Kevin Roose dans le New York Times, le raisonnement fait par la machine.
Vous le savez tous que je propose par ailleurs un modèle d’intelligence artificielle. Ce modèle d’intelligence artificielle était fondé sur une compréhension « à la psychanalytique », ressemblant fort au modèle de Freud du fonctionnement d’une personne.
Bon. Quand vous regardez les grands raisonnements faits par les grands techniciens de l’intelligence artificielle, ils vous expliquent, ils vous donnent un modèle : « Oui, les gens ont une conscience, La conscience leur permet d’avoir une volonté, la volonté leur permet d’avoir des intentions. Et puis, grâce à la volonté, ils vont réaliser leurs intentions. »
Or, on ne sait pas où elle est cette volonté. On ne sait pas comment se manifestent ces intentions. Quand on essaie de mesurer les intentions, on s’aperçoit qu’elles apparaissent à la conscience une demi-seconde après que les actes aient déjà été initiés. Des choses de cet ordre là.
Quand on regarde la manière dont ChatGPT réfléchit à la manière dont les gens fonctionnent, j’ai été épaté : qu’est ce qu’il découvre, lui ?
Il a d’un côté un énorme réseau neuronal, artificiel mais enfin bon, il est très gros. Et d’autre part, il a l’ensemble des données.
Et qu’est-ce qu’il nous donne comme explication du comportement des gens ?
Il ne vous parle pas du tout de conscience, de volonté, d’intention, de volonté qui réalise les intentions, il vous produit spontanément le modèle de Freud. Il ne dit pas que c’est le modèle de Freud – et à mon avis, il n’est pas allé le copier dans Freud – il l’a refait tout seul : il a découvert ça tout seul !
Bon, alors, où est la bonne nouvelle ?
La bonne nouvelle, c’est qu’on va de plus en plus demander à ChatGPT ce qu’il en pense. Et tout à l’heure, il y a une collègue qui m’envoie un message : elle est allée consulter une fois de plus ChatGPT sur un truc que nous sommes en train de discuter depuis des mois, sinon des années, et on demande l’avis, on produit du code, on va voir de ce côté là, etc.
Si ces machines viennent de plus en plus avec non pas les modèles idéologiques qu’on a, mais avec le véritable fonctionnement des choses, et si, pas seulement en intelligence artificielle, elle va vous produire, elle va vous réinventer du Freud de son côté en vous disant que c’est comme ça que ça marche, elle va aussi, la machine, elle va aussi faire des raisonnements « à la Jorion », c’est-à-dire connecter le Covid en Chine avec des difficultés d’approvisionnement dans nos pays qui vont provoquer une augmentation du prix des produits, qui vont conduire les banques centrales à hausser aussi les taux, avec deux conséquences qu’il y aura moins d’argent pour le social, et que les gens iront dans la rue, et que par ailleurs, le portefeuille d’obligations des banques va perdre de sa valeur et que les banques vont s’écrouler. Si la machine se met à faire des raisonnements comme ceux-là, et bien ils vont se familiariser.
On ne va peut-être pas essayer de comprendre ce que la machine produit comme modèle, mais on va tenir compte du fait qu’elle sait mieux que nous tous. Alors, moi, je vois ça comme l’arrivée de la cavalerie.
C’est-à-dire que jusqu’ici, j’ai fait des analyses qui conduisent à ce que les gens devraient aller dans la rue avec des panonceaux « Inflation = piège à cons ! » et « Règles comptables = ennemies du peuple ! », mais le fait que nous allons tous de plus en plus consulter des machines qui comprennent mieux que nous, va nous habituer au fait qu’il faut raisonner comme cela et on n’appellera plus ça « raisonner hors du cadre », on appellera ça « la solution de GPT-numéro quatre, numéro cinq ou numéro douze ». Voilà !
Je fonde quelques espoirs là-dedans et je vous tiens au courant des progrès que j’observe et je vous dis : « À bientôt ! ».
Voilà, au revoir.
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