Je regardais à l’instant sur une chaîne américaine, un groupe de panélistes de gauche – dont le Révérend Al Sharpton – passablement irrités par la dénonciation à droite du « wokisme ». À un moment de la discussion, Sharpton, excédé, a voulu mettre fin au débat qui s’éternisait en disant : « Ils disent aujourd’hui « Woke », comme ils disaient autrefois « Communiste », c’est tout ! ».
C’est vrai : « c’est tout ! » mais Sharpton ne renvoyait pas à un simple glissement dans le vocabulaire, il mettait également involontairement le doigt sur le nœud du problème.
Combien de fois dans un débat, n’a-t-on pas cherché à me faire taire en m’interpellant avec des mots du genre : « Oui, mais le communisme soviétique a été échec ! ». Comme s’il avait été possible d’établir de bonne foi un lien quelconque entre mes propos et le communisme soviétique. Keynes était irrité de la même manière, se plaignant auprès de ses proches que Marx (qu’il considérait comme un simple commentateur de Ricardo) avait rendu impossible pour deux cents ans au moins que les propositions de la Gauche soient prises au sérieux.
Les mots nous jouent des tours : nous nous laissons prendre aux pièges qu’ils nous posent. De même que le mot « Droite » suggère qu’il soit normal qu’une position radicale inspirée par la Droite soit qualifiée d’ « extrême-droite », il a paru légitime jusqu’ici que toute position extrême à Gauche soit qualifiée d’ « extrême-gauche ». Mais il y a là un leurre dû au fait que l’on a toujours ignoré que la Gauche puisse avoir sa propre extrême-droite. Ce que l’on qualifie de positions d’extrême-gauche est en effet une collection de propositions inconciliables où se trouvent rassemblées celles d’une authentique Gauche radicale et celles d’une extrême-droite à l’intérieur de la Gauche, dont celle-ci n’a pas été capable de faire l’économie.
L’extrême-droite est autoritaire, sectaire, identitaire, militante de la non-réciprocité. Or ces tares vicient aussi certains courants à Gauche qui ont bénéficié jusqu’ici d’avoir su créer la confusion en s’affirmant d’ « extrême-gauche » sans être jamais contredits.
Le moment est venu de le rappeler : les partisans à Gauche de l’autoritarisme, du sectarisme, d’une conception identitaire prônant la non-réciprocité en refusant le plein statut d’être humain à certains pour des raisons diverses relevant aussi bien de la nature que de la culture ou des horreurs de l’Histoire, ne constituent pas une variété de l’extrême-gauche, mais l’extrême-droite de la Gauche, ne plombant pas moins la Gauche dans ses aspirations à faire prévaloir la générosité de ses vues, que l’extrême-droite déforce de son côté la Droite dans son conservatisme de « bons principes ».
Laisser un commentaire