Les carnets du psychanalyste – Le complexe d’Œdipe. À qui la faute ?

15.2.23. Le complexe d’Œdipe. À qui la faute ?

Merci à T.K. pour sa relecture et sa suggestion d’ajouter au texte d’autres de mes notes.

Freud écrit en 1908 : « … appelons complexe tout groupe d’éléments représentatifs liés ensemble et chargés d’affect » (1968 [1908] : 34). Il évoquera à partir de 1910, un « complexe d’Œdipe ».

Le mot « complexe », à ne pas entendre donc au sens qu’a le mot dans l’expression « complexe d’infériorité », mais comme une configuration. En l’occurrence, une configuration où un petit garçon entend évincer son père en tant qu’objet d’amour privilégié de sa mère.

La notion de complexe d’Œdipe deviendra centrale à la métapsychologie freudienne. Freud, contrairement à ses habitudes, voudra en faire un phénomène phylogénétique : se transmettant de manière souterraine de génération en génération. Il ira même jusqu’à imaginer un événement fondateur : le meurtre du père par une coalition de fils rebelles se partageant ensuite ses restes au cours d’un banquet d’anthropophages. Il y a pour Freud une transmission à l’espèce tout entière du meurtre du père de la horde, pour les siècles des siècles.

En 1966, faisant état de leur expérience de psychanalystes à Dakar, Marie-Cécile et Edmond Ortigues mettaient en cause l’universalité du complexe d’Œdipe dans leur ouvrage intitulé Œdipe africain. Pour eux, dans les sociétés africaines, les rivalités existent prioritairement entre frères, le père étant déjà assimilé, de son vivant, aux ancêtres morts (cf. aussi Jorion 1985 : 162).

Dans ma propre expérience de psychanalyste, le complexe d’Œdipe est là aussi essentiellement aux abonnés absents. À une exception près.

L’initiative, si l’on peut dire, du complexe d’Œdipe, est celle, chez Freud, du petit garçon : c’est lui qui ouvre les hostilités, c’est lui qui entreprend d’évincer son père, celui-ci n’y étant pas pour grand-chose. La responsabilité du père dans l’affaire est cependant plus prégnante quand Freud met en scène le meurtre d’un père, assassiné par des fils réunis en bande, rassemblés ensuite dans un repas cannibale : difficile d’imaginer que le père en question n’ait pas été quelque peu autocrate.

« À une exception près », ai-je précisé. Voici ce dont il s’agit dans le cas de mon analysant T.K.

« Mon père était le fils de sa femme, me dit-il. Mon père était le mari ET le fils de sa femme. Mon frère et moi nous étions ses concurrents. En étant mon frère aîné, mon père m’a usurpé ma place.

J’existe et je dérange mon père : il voudrait m’éliminer carrément. C’est la guerre des pénis. Je n’ai aucune chance. 

Mon père ne voulait partager avec moi ni ma mère, ni sa mère. Il ne m’a jamais pris au sérieux. Il s’arrangeait pour me dénigrer. Il était en concurrence permanente, en tant que frère aîné. »

On le voit, alors que dans la configuration dite « classique », c’est le jeune fils qui décrète que son père constitue pour lui un rival vis-à-vis de sa mère, ici, c’est le père qui engage les hostilités en étant à la fois mari ET fils de son épouse, faisant automatiquement de chacun de ses propres fils, des frères cadets censés chercher à le déboulonner de son statut de chef de fratrie.

Bien entendu, dans ces hostilités, la mère est complice en ayant accepté / voulu que ce père soit à la fois mari ET fils.

Mais comme dans la plupart des cas, la conscience de ce schéma qu’a le fils, d’une offensive menée contre lui par son père, ne le retiendra pas de reproduire la même configuration à la génération suivante. Ou plutôt, la conscience de ce qu’il a vécu lui sera insuffisante à empêcher que la configuration ne renaisse en lui.

Ainsi, quand T.K. fait la liste des trois événements les plus traumatisants de sa vie, il mentionne en premier le spectacle d’un parent malade, en second, une interaction avec un enfant handicapé, et en trois : « La naissance de mon fils. »

Je lui fais la remarque : « Cherchez l’intrus dans votre liste ! ».

« J’ai très mal vécu la conception de mes enfants. À l’idée de la naissance de mes enfants, j’étais anéanti. Parce que ça révèle que j’ai un pénis. Tant que nous somme mariés sans qu’elle soit enceinte, le doute subsiste. Mais ça va se savoir : un pénis qui existera au su de tout le monde. Le monde va comprendre qu’il y a une confusion malsaine.

Au lieu de donner la mort, ce pénis donne la vie. Il y a une deuxième grossesse : je suis responsable d’une naissance future, je trouve ça dangereux.

Moi : Parce qu’un fils, c’est en réalité un frère cadet ?

Oui, des créatures qui viendront occuper mon espace. »

La naissance de son fils constitue pour T.K. une double menace. D’abord parce qu’elle révèle aux yeux du monde que son épouse/mère, n’est pas seulement sa mère mais aussi véritablement, son épouse. Dans les termes auxquels il recourt : « Le monde va comprendre qu’il y a une confusion malsaine. » Ensuite parce que la naissance de ce fils est celle d’un rival : tout homme étant le fils aîné de son épouse, ses propres fils viennent nécessairement se situer dans la lignée en tant que frères cadets.

Mais les choses sont différentes à la naissance du petit-fils : son grand-père voit en lui enfin un fils à proprement parler, le premier, à la différence du vrai fils dont la naissance a été vécue comme celle d’un frère cadet :

« Mon petit-fils est l’élément pacificateur. À ceci près que ma fille a eu ce fils pour moi : la loi a changé, on peut maintenant donner le nom de la mère ».

Avec la nouvelle formulation des textes juridiques, dans le cadre de cette logique particulière, les choses rentrent dans l’ordre : une reconnaissance du fait que, dans la représentation que tous s’en font, le mari est le fils aîné de son épouse alors que ses propres fils sont ses frères cadets, ainsi qu’une reconnaissance du fait que, dans cette même représentation, le petit-fils est le premier fils véritable.

Dans tout cet arrangement, la mère joue bien entendu le rôle-clé : c’est par elle que se fait le décalage des générations faisant de son époux, l’aîné de ses enfants, et du coup, la déclencheuse des hostilités dans un environnement où, non seulement le complexe d’Œdipe existe mais la guerre a été déclarée d’en-haut : ce n’est pas le petit garçon qui décide d’aller affronter son père comme un rival, c’est son père qui a décrété que sa naissance à lui était celle d’un concurrent.

« Ma mère était obsédée par mon sexe. Et moi j’avais peur d’elle. Je devais protéger mon sexe par rapport à elle. C’est plus qu’une simple imagination de castration [il s’agit d’une véritable émasculation]. Que je sois une partie d’elle-même. Que je sois son pénis, une partie de son corps. Elle ne m’aime que comme une partie d’elle-même. Mes contours disparaissent, sont mis en péril. J’ai un poids sur l’estomac. Vouloir m’ouvrir, et en même temps me refermer pour me protéger. Mon corps se referme. Ce poids sur l’estomac : couper mon corps en deux. Rendre une partie de mon corps inexistante. Donc personne ne peut me le prendre : je suis un enfant-tronc.

Mon doudou, ma mère l’avait appelé « mon kiki », comme mon pénis.

Ma mère voulait me garder entièrement à elle : je coupe une partie pour qu’elle n’ait pas tout. Il faut que je sauve mon pénis en particulier. Je viens de son corps, j’en suis sorti, mais d’une certaine manière elle voudrait que je n’en sois pas sorti. Ou reste collé à elle. Aimer ses petits-enfants, c’est les garder collés à elle, pour pouvoir se compléter.

À la fois elle veut m’utiliser et me protéger de mon père. Il n’aura pas ma peau grâce à elle. »

Et T.K. d’ajouter : « Les premières années : un double danger, mon père ET ma mère. »

La ou le psychanalyste a-t-il un rôle à jouer dans une telle configuration ? Un petit rôle en tout cas dans le cas de l’analyste qui m’a précédé dans l’écoute de T.K. :

« Mon père se fâchait sur ses amis, en leur hurlant dessus. Ma mère disait : « C’est parce qu’il veut leur bien : pour exister il faut être agressif ». Je me lève après une séance avec ma psychanalyste pour aller lui casser la gueule. C’est ce que j’ai d’ailleurs fait. »

Quant au second analyste :

« Avec vous je parle de mon père. Avec votre voix, je peux me resituer par rapport à lui. Je me suis posé la question ces derniers jours, du bout de chemin non-négligeable que nous avons fait ensemble, par rapport à ma demande initiale d’apaisement : séparer le lignage et mes problèmes personnels. Vous me ramenez à ça de manière clairvoyante et intelligente : en relativisant la difficulté de vie que j’ai eue avec mes parents. Vous étiez dans le camp de mes parents, mais vous vous substituiez à eux de manière compatissante ».

Références :

Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse [1908], Paris : Payot 1968

Paul Jorion, compte-rendu d’Œdipe africain, L’Homme, 25e Année, No. 96, Oct. – Déc. 1985, p. 162

Marie-Cécile et Edmond Ortigues, Œdipe africain, Paris : Plon 1966

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20 réponses à “Les carnets du psychanalyste – Le complexe d’Œdipe. À qui la faute ?

  1. Avatar de Tom
    Tom

    Pfff, effectivement, on comprend mieux la fatigue de l’analyste qui écoute vraiment et qui doit éventuellement aiguillonner l’analysant.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Le « complexe d’Ouranos » !

      1. Avatar de JMarc
        JMarc

        1) « La naissance de son fils constitue pour T.K. une double menace. D’abord parce qu’elle révèle aux yeux du monde que son épouse/mère, n’est pas seulement sa mère mais aussi véritablement, mon épouse. »
        Que pensez de ce « mon » ?
        Je sais bien que tous les lapsus ne sont pas révélateurs de grand chose.
        Celui-ci pourrait bien montrer que le psy d’investigation s’est parfois senti gagné par la confusion de son patient.

        2) J’ai parfois lu que le sphinx était en fait une sphinge. A creuser (si ce n’est déjà fait) ?

        1. Avatar de Paul Jorion

          Ce n’est pas un lapsus : c’est un reste de la formulation initiale de la phrase, d’abord écrite entre guillemets.

          1. Avatar de JMarc
            JMarc

            Bonjour Paul,
            J’avais bien compris que « c’est un reste de la formulation initiale de la phrase ».
            J’avoue que supposer un lapsus dans cette petite erreur de retranscription, c’est un peu chercher la petite bête.
            Je vois que vous avez corrigé.

    2. Avatar de Hervey

      Bartolomeo Spranger a donné une image très justement « féconde » de Gaïa.

      https://www.wikiart.org/en/bartholomaus-spranger/vulcan-and-maia-1585

    3. Avatar de Garorock
      Garorock

      Gaîa, chacras, huiles essentielles, bio feedback quantique…
      Et Les testicules d’Ouranos sur Tiktok.
      😎

  2. Avatar de Garorock
    Garorock

    Si Poutine a un complexe d’Eudipe, c’est la faute de sa mère. Et on est dans la merde.
    Si Poutine n’en a pas, c’est la faute de Freud. Et on en est toujours au stade anal.
    Si la mère de Freud était Raquel Welch, on le pardonne.
    Mais qu’on ne l’y reprenne pas!
    😎

  3. Avatar de Kevin L
    Kevin L

    Et si on en finissait tout simplement avec ces croyances ?

    Et si on tuait le complexe d’oedipe ?

    A chaque fois les justifications que j’entends sont de l’ordre de l’anecdote. J’ai l’impression que les psychanalystes refusent de tuer le père en admettant que ce sont des croyances sans fondement, et que ces fantaisies font aujourd’hui plus de mal que de bien aux patients, et même à la société française.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Nous vivons dans un monde où la lucidité de chacun lui sera chaque jour davantage son bien le plus précieux.

      Vous venez nous dire : « Moi de mon côté, je m’enfuis dans la direction opposée ! »

      Que vous répondre ? Je ne vois malheureusement que « Ressaisissez-vous ! »

      1. Avatar de Kevin L
        Kevin L

        Suis-je vraiment seul à ne pas croire en ce complexe ? Ce désir d’inceste de la part des enfants est-il universel ? Existe t’il tout simplement ? Peut-on imaginer un inconscient sans oedipe ? Quel rapport avec la lucidité ?

        Votre réponse ne m’aide malheureusement pas.

        « Moi de mon côté, je m’enfuis dans la direction opposée ! » Je crois que c’est l’histoire de votre blog !

        Dans tous les cas, je suis ravi pour votre patient si vous avez réussi à lui apporter de l’aide.

        1. Avatar de Paul Jorion

          L’essentiel, c’est que vous compreniez que l’idée que votre Moi conscient est aux commandes, est une illusion : la plupart du temps il n’est informé de ce qui s’est passé qu’après la bataille. Une fois que vous avez intégré ça, le reste coule de source.

          1. Avatar de ryuken
            ryuken

            Ben oui… mais il faut comprendre également que l’appareil psychique, s’il est une sous-couche du moi conscient, n’est pas la sous-couche la plus profonde, qui serait plutôt du type « qu’est ce que ca fait d’être une chauve-souris ».
            Et il y aurait encore beaucoup de couches entre cette dernière et « l’appareil psychique ». Le truc, c’est que le moi conscient, s’il ne peut pas tellement modifier l’appareil psychique (en fait si, à condition de s’auto-hacker à la manière d’Ulysse sur son bateau), peut toutefois travailler sur les couches les plus profondes, avec des exercices appropriés, qu’on qualifiera de techniques spirituelles.
            On trouve ca chez Spinoza, chez Deleuze, chez Plotin, chez Bergson, et dans toutes les grandes traditions spirituelles (hindouisme, bouddhisme, soufisme, taoisme, mystiques catholiques, etc.).
            In fine, ce qui est emmagasiné dans l’appareil psychique, même si déterminant, reste à peine moins superficiel que le moi conscient .
            De sorte qu’on s’économiserait bien du temps en remplaçant la cure psychanalytique par de tels exercices. Parce que même là on pense travailler en profondeur, alors qu’in fine on ne travaille encore qu’en surface.
            Évidemment, c’est un peu plus exigeant de s’astreindre à ces exercices (l’un d’entre eux porte le joli nom de « vertus », qui n’est pas autre chose). Beaucoup, comme en psychanalyse, veulent bien être plus heureux… à condition que ça ne leur coûte pas trop (en tout cas pas plus que de l’argent). Et les exercices de ce type, ca côute beaucoup, ca coûte absolument tout.

  4. Avatar de Karluss

    « Il y a pour Freud une transmission à l’espèce tout entière du meurtre du père de la horde, pour les siècles des siècles. »
    on retrouve le thème de la dette infinie…

  5. Avatar de PHILGILL
    PHILGILL

    Le mystère des trois états

    Et si le complexe d’Œdipe nous révélait autre chose sur le fonctionnement invisible de l’humain.
    Un mystère que le peintre Edvard Munch aurait réussi à rendre visible dans une de ses toiles, en particulier : « Les trois étapes de la femme ».

    https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/12/Edvard_Munch_-_The_Woman_in_Three_Stages_%281894%29.jpg

    Tiens donc ! me direz-vous. Et pourtant… On peut trouver de troublantes similitudes dans l’œuvre de Munch avec l’idée du complexe d’Œdipe.
    Ainsi, par exemple, dans L’interprétation des rêves, Sigmund Freud publie les résultats de son autoanalyse, à la suite d’une dépression que lui causa la mort de son père et le sentiment de culpabilité qu’il entretenait à son égard ; ce qui l’amènera à faire émerger, entre autres, l’idée du complexe d’Œdipe. Munch notera lui aussi ses souvenirs et cherchera à transcrire dans sa peinture l’un de ses traumatismes les plus obsédants : l’agonie de sa sœur Sophie emportée par la tuberculose alors qu’elle n’avait que quinze ans. Cette scène de « L’Enfant malade » restera profondément et douloureusement gravée dans sa mémoire toute sa vie durant, ne pouvant détourner son cœur ni de son chagrin ni de sa culpabilité à survivre. Mais Munch, pareillement à Freud, y a trouvé le « ferment de son œuvre » : « restituer dans son intensité originelle la première impression gravée dans sa mémoire » — Aux arts et cætera (cf. documentaire : Edvard Munch, un cri dans la nature) : « Se projettent dans sa mémoire les souvenirs ambivalents qu’il ressasse de ce père si strict et avec lequel il a si souvent été en conflit. Et quand il reprendra le motif de sa sœur malade, il représentera son père impuissant à guérir sa fille…»
    Ainsi, dans « Les trois étapes de la femme », toujours d’après le documentaire cité ci-dessus, « il s’imagine en Œdipe, debout dans la forêt, en train de méditer non sur les trois âges de la vie, mais sur les trois états de la femme, tout à la fois sainte, putain et victime. »

    Or, étrangement — car il reste à comprendre pourquoi — ces « trois étapes » nous rappelle celle de l’énigme du sphinx : « Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes, puis deux jambes, puis finalement trois ? » Tous échouent à y répondre et meurent d’atroces souffrances, sauf Œdipe qui lui donne la réponse suivante : « L’homme, car lorsqu’il naît il se traîne sur les pieds et les mains, qu’à l’âge adulte il est debout sur ses jambes, et que vieillard, il s’aide d’un bâton pour marcher ». Alors le Sphinx, pris à son propre piège, se précipite de la falaise et se tue… Pourquoi existe-t-il le même schéma structurel entre l’énigme du Sphinx et « Les trois étapes de la femme » ?
    Pour définir et relier la variété des émotions qu’il ressent notamment pour les femmes, Munch met en place dans ses tableaux une symbolique des couleurs. Aux arts et cætera : « Le blanc pour la jeune femme, innocente, vierge, inaccessible. Le noir pour la femme sacrifiée à sa famille ou à la religion… Le rouge pour la tentatrice, séductrice et destructrice, qui lui inspire un mouvement d’attraction ou de répulsion. » Enfin Munch, en s’imaginant en Œdipe, semble vouloir faire corps non seulement avec sa peinture, mais aussi, se fondre avec son sujet. En réalité, c’est comme si, pour reprendre une formule écrite par Paul Jorion, Munch essayait de fondre l’une dans l’autre en une flamme fulgurante et aveuglante ce qu’on ne peut dissocier, séparer, c’est-à-dire les sentiments avec ce qui les modélise, à savoir : « Les anthropologues opposent dans un couple indissociable les « structures » aux « sentiments ». Ce sont les sentiments des femmes et des hommes qui les conduisent à bâtir des structures qui les contraignent ensuite et modèlent alors leurs sentiments ».

    À ce stade, retournons maintenant notre regard, pour revenir aux carnets du psychanalyste, et à ce qu’il écrit au sujet du complexe d’Œdipe. À qui la faute ?
    « Appelons complexe tout groupe d’éléments représentatifs liés ensemble et chargés d’affect » écrit Freud.
    Or, l’histoire même d’Œdipe peut se scinder en trois étapes : celle d’un jeune enfant innocent « exposé », car abandonné par père et mère, mais désigné comme coupable avant même sa naissance, d’après la prédiction de l’oracle de Delphes, d’être celui qui tuerait son père et épouserait sa mère ; dans un second temps, en jeune adulte qui se voit accusé d’être un enfant illégitime ; puis enfin, celle de sa rencontre tragique avec un vieil homme qu’il tue sans savoir qu’il s’agit de son père, après une dispute qui a mal tournée à un carrefour. Plus tard, Œdipe, en découvrant ses crimes, se crève lui-même les yeux pour ne plus les voir… Bref, tout cela, le mythe antique nous le raconte.

    Mais ce mythe antique nous dit aussi qu’il est parfois très difficile d’y voir clair quand les choses se compliquent en amont de sa propre existence ; tout cela rejaillissant dans nos futures relations aux autres, dans notre propre corps et nos propres sensations. « J’existe et je dérange… » Comment, par conséquent, ne pas avoir la conscience un peu dérangée par « des créatures qui viendront occuper mon espace » ? Ou, comment mettre de l’ordre, quand à un carrefour, plusieurs représentations se croisent et s’entrechoquent, entre ce qu’on croit être sa place et celle reconnue ou refusée par les autres membres de la fratrie à laquelle on appartient…

    Edvard Munch : « Ma peinture est en réalité un examen de conscience, une tentative pour comprendre mes rapports avec l’existence. » Dans tout cet arrangement, la femme joue effectivement un rôle-clé, car « c’est par elle que se fait le décalage…». Pour Munch également. « Je suis un enfant-tronc », semble nous dire Munch, caché en Œdipe derrière un tronc d’arbre sanguinolent.

    « Connais-toi toi-même » dit l’adage grec inscrit au fronton du temple de Delphes. Aussi, pour conclure, je me demande si ces trois représentations de la femme, et par correspondance, les trois étapes de la vie d’Œdipe, tout comme les trois étapes de l’énigme du Sphinx, ne forment pas en réalité pour le peintre, un seul être : celle de l’homme et sa place dans la nature au sens total et primordial du terme, à l’image d’un autre mythe, celui du couple de l’homme et de la femme de la genèse, formant à l’origine un seul et même être, avant que ne se dresse entre les sexes une solitude existentielle qui scelle leur désunion.

    Puis, le Sphinx donna une deuxième énigme : « Il y a deux sœurs : l’une donne naissance à l’autre et elle, à son tour, donne naissance à la première. Qui sont les deux sœurs ? ». Œdipe répond encore juste : « C’est le jour et la nuit, car le jour met au monde la nuit et la nuit met au monde le jour. » Angela Lampe et Clément Chéroux (extrait du catalogue : Edvard Munch, L’Œil moderne) : « Pour Goethe, la couleur est un obscurcissement de la lumière qui est par définition blanche, de même qu’elle est un éclaircissement du noir. Le rouge représente la couleur la plus intense, révélatrice d’un état intérieur de force, dans un sens à la fois physique et moral »…

  6. Avatar de Endora et Dimitri
    Endora et Dimitri

    Comme une Mère à son Fils, la mentalité de l’âme doit être que les conseils doivent s’appliquer comme des ordres, il ne faut pas discuter l’ordre, l’appliquer immédiatement et voir ses effets pour en faire une critique uniquement après, c’est à dire pas avant et pas pendant, le regard critique doit se faire après avoir complètement accompli le conseil ou l’ordre.

    Quand un ordre est donné, il faut demander toutes les informations de l’ordre pour l’appliquer entièrement du début à la fin, toutes réflexions sur l’ordre devient une perte de temps temporel donc un retard qui a avoir des conséquences diverses dans différents domaines., il ne faut pas perdre de temps et l’appliquer immédiatement, la discussion de l’ordre ne doit intervenir qu’après l’application de l’ordre, dans le but de le modifier pour l’améliorer, noter sur écrit en rentrant chez soi les améliorations non voulues par son ou sa supérieur.e pour après s’en resservir avec un.e autre supérieur.e.

  7. Avatar de PHILGILL
    PHILGILL

    Un article intéressant de Marc-André COTTON, partant du constat que « l’être adulte reste profondément imprégné d’un vécu émotionnel non résolu et donc prisonnier de schémas de comportement hérités du passé ».
    http://regardconscient.net/archives/0104oedipe.html

  8. Avatar de PHILGILL
    PHILGILL

    « En étant mon frère aîné, mon père m’a usurpé ma place. »

    Question : en serait-il de même du conflit russo-ukrainien ?

    Evidemment, cette comparaison est un peu tirée par les cheveux. N’empêche que…, si on y réfléchit un peu, ne pourrait -on pas trouver certaines similitudes entre le complexe dŒdipe, du moins tel que revisité par Paul Jorion, et l’agression armée de l’Ukraine par la Russie ?

    « Nous ne serons jamais frères ; ni de même patrie, ni de même mère ». Tels sont les mots adressés par la poétesse ukrainienne Anastasia Dmitruk au peuple russe en 2014, miroir inversé des discours récents de Vladimir Poutine qui ne cesse de souligner au contraire l’identité commune entre les deux pays.
    — Extrait de la quatrième de couverture du livre « Jamais frères ? » d’Anna Colin Lebedev

    L’Union soviétique, au temps des Mères héroïques, était composée de quinze républiques, dont bien sûr la république russe et la république d’Ukraine. Cependant, si historiquement la république russe, avec pour capitale Moscou, a été le berceau de la future Union soviétique, la république d’Ukraine, avec Kiev pour capitale, a été la première capitale des terres russes, et considérée historiquement comme la « mère des villes russes ! »
    Et trente après la dislocation de l’Union soviétique, force est de constater que la Russie dispute toujours à l’Ukraine l’héritage de ce « berceau commun »…

    Mais de là à imaginer, pour comprendre la nature de cette guerre, l’émergence progressive d’une rivalité (œdipienne) entre frères ennemis, en place, ayant qui plus est presque le même prénom… ce serait un coup de théâtre vraiment surprenant !
    Volodymyr : « J’existe et je le dérange : Vladimir veut m’éliminer carrément. C’est la guerre des pénis ! Il ne m’a jamais pris au sérieux. Il s’arrange pour me dénigrer en tant que soi-disant frère aîné. Je n’ai aucune chance, mais… » Cependant, se pourrait-il, tout comme l’affirme Anna Colin Lebedev que Poutine, après avoir engagé les hostilités, ait « sous-estimé le petit frère ukrainien » ?

    Dans ce cas, comment expliquer une telle erreur ? Eh bien, peut-être parce qu’en tant que président de la Fédération de Russie, et qui plus est, s’imaginant être le seul et unique digne successeur légal de l’URSS, cela a fait de Zelensky, automatiquement, ce petit frère… censé chercher à déboulonner Poutine.

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