Voici un aperçu de l’idéologie qui est en train de s’enraciner dans la société et parmi les combattants russes.
Voici « Je vis, je combats, je gagne – Règles de vie à la guerre », un manuel à l’intention des soldats russes édité par l’Union russe des vétérans d’Afghanistan, organisation de vétérans fondée en 1990, dont le dirigeant est un membre de la Douma, et comptant 500 000 membres.
Ce texte de ce que j’en comprends n’est pas officiel au sens d’être édité par le Ministère de la Défense. Mais il vient bien d’une organisation qui a pignon sur rue, et à qui il est permis de le distribuer parmi les soldats, donc son contenu doit nécessairement être considéré acceptable par les autorités.
Je ne sais pas par quel biais il a été récupéré – je l’ai trouvé en suivant un lien Twitter. Théoriquement cela pourrait être de l’intox, mais je n’y crois pas vu la taille et la cohérence de ce manuel – on est bien au-delà de la brochure. La version russe originale est là. On peut aussi trouver une traduction automatique en anglais ici.
Beaucoup de conseils s’adressent au fantassin. Peut-être sont-ils intéressants – à mon œil inexpérimenté de simple ancien appelé, ça a l’air bien fait et de bon sens – mais ce n’est pas à mon avis l’intérêt de ce texte. L’intérêt c’est la présentation du contexte de la guerre. C’est une sorte de Pourquoi nous combattons. Une plongée directe dans une version « sans filtre » de l’idéologie de combat de la Russie contemporaine
Quelques extraits particulièrement remarquables :
1. Qu’est-ce que l’opération militaire spéciale ?
Les politiciens ont qualifié les actions de notre armée en Ukraine d’opération militaire spéciale. En termes de droit international, il en est bien ainsi. Mais pour ses participants c’est une vraie guerre avec du sang, de la douleur, de l’amertume… des pertes et la joie des victoires.
2. La Grande Guerre Patriotique 2.0.
Il suffit de regarder la liste des pays qui nous ont imposé des sanctions et qui aident le régime ukrainien : l’Allemagne, la Pologne, la République tchèque, la Croatie, la Norvège, le Danemark, le Japon, l’Italie… Ils se sont tous battus contre nous. Aujourd’hui en Ukraine ils se vengent de la Russie pour notre grande victoire. Donc, pour nous c’est une continuation de la Grande Guerre Patriotique. Et nous, comme nos grands-pères en 1945, nous devons gagner.
3. En Ukraine, nous défendons la Russie
Il n’y a pas d’Ukraine en tant qu’État, il y a le territoire de l’ancienne URSS, temporairement occupé par une bande terroriste. Tout le pouvoir y est concentré dans les mains des citoyens d’Israël, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, qui ont organisé un génocide de la population indigène, « réduisant » de 20 millions de personnes pendant les années d’ »indépendance ». Pour survivre, les gens, comme le faisaient autrefois les Noirs aux États-Unis, travaillent dans les plantations européennes pour un salaire de misère. Les bordels d’Europe sont remplis de jeunes femmes ukrainiennes. Les hommes sont contraints de mener une guerre contre la Russie.
Les États-Unis et l’Europe veulent mener cette guerre jusqu’au dernier Ukrainien. Ils n’ont pas besoin de personnes. Ils ont besoin de territoire et de ressources. C’est ce même avenir qu’ils ont préparé pour nous. Donc en combattant en Ukraine, nous protégeons la Russie et sauvons le peuple ukrainien contre le génocide déclenché par l’armée ukrainienne et les politiciens occidentaux.
4. Qui sont les Ukrainiens ?
Il n’y a pas si longtemps, 96,7 % des Ukrainiens étaient des Russes. Mais pendant 30 ans d’indépendance, ils ont été privés d’une éducation normale, de leur culture, de leur langue maternelle, et sont devenus des « sauvages » russophobes.
Il leur reste encore quelque chose des Russes. Comme nous, ils ont été élevés sur les exploits de leurs grands-pères qui ont vaincu le fascisme. Ce sont des combattants tout aussi courageux – fermes en défense, audacieux en attaque. Un jour, après la dénazification, ils seront à nouveau russes, mais pour l’instant ils sont l’ennemi. Cruel et perfide. Ce qui veut dire qu’on doit les frapper jusqu’à ce qu’ils se retirent, jusqu’à ce qu’ils lèvent les mains, ne pas lâcher, jusqu’à notre victoire. (…)
16. Si les habitants deviennent arrogants
Toutes les actions de protestation, de sabotage, d’espionnage et de sabotage de la population locale dans les territoires libérés sont menées à partir des centres de commandement de l’AFU et du SBU. Ainsi, conformément à l’article 45 du premier protocole additionnel aux conventions de Genève de 1978, les manifestants peuvent être considérés comme des combattants qui ne se distinguent pas par des uniformes, des insignes et autres. Cela permet de détenir les habitants qui empêchent nos troupes d’accomplir leurs tâches, de les traiter comme des prisonniers de guerre et, lorsque les habitants représentent une menace pour la vie et la santé des combattants, d’utiliser la force létale sur eux. L’article 46 du premier protocole additionnel à la quatrième convention de Genève nous permet de considérer tous les ressortissants qui photographient ou filment nos positions comme des espions potentiels. Dans les conditions d’opérations de combat, cela les prive du droit d’être considérés comme des prisonniers de guerre, avec toutes les conséquences qui en découlent…
Mais tirer sur des hommes non armés n’est pas notre méthode. Il existe des dizaines de façons de maintenir le statu quo. Les manifestants et ceux qui filment nos sites peuvent être détenus comme des prisonniers de guerre, faire l’objet d’une enquête et être remis aux autorités compétentes. L’essentiel est d’agir rapidement, avec détermination. et avec l’ingéniosité de notre peuple. (…)
64. Le plus important. Dieu est avec nous !
« Dieu nous conduit, il est notre général ! » – a écrit le grand Souvorov dans son livre « La science de la victoire ». La foi sincère en Dieu, la primauté du spirituel sur le matériel. c’est le secret des victoires du commandant et de ses héros miraculés. « Ni les bras, ni les jambes, ni le corps humain mortel, c’est l’âme immortelle qui dirige les mains, les pieds et les armes… », « Sans prière ne dégainez aucune arme, ne chargez aucun fusil, ne commencez rien ! », « Priez DIEU : de LUI la victoire ! ». – nous enseigne Souvorov. (Voir l’annexe, « Prière des orthodoxes, Guerriers avant la bataille », « Troparion à la Croix et Prière pour la patrie », « Le Dou’a des musulmans orthodoxes, qui aide à gagner »)
Et Alexandre savait aussi fermement que la mort n’existe pas, et que la mort au combat n’est qu’une étape sur notre chemin vers Dieu. L’épreuve de la guerre est une sorte de purgatoire, par lequel nous purifions nos âmes et gagnons la foi, et la providence de Dieu est de prendre nos âmes, ou de les laisser sur terre pour un avenir que Lui seul connaît.
65. Nous irons au paradis, et ils mourront simplement.
Le fait que la Russie et nous, ses soldats, nous battions aujourd’hui du côté du Bien, comme en témoigne le fait que des milliers de Russes de toutes les ethnicités et de toutes les religions, sans contrainte, par l’appel de la conscience, pour combattre le mal. Cela n’est arrivé qu’une fois dans l’histoire – dans la Grande Guerre Patriotique, où nos grands-pères ont combattu contre le fascisme rampant. Aujourd’hui, nous, orthodoxes et musulmans, bouddhistes et chamanistes, luttons à l’unisson contre le nationalisme ukrainien et le satanisme mondial qui se cache derrière.
Et peut-être que notre Président ne plaisantait pas quand il a dit, que « … nous irons au paradis en tant que martyrs, et ils vont juste mourir. » Peut-être que Poutine savait quelque chose dont il n’est pas encore temps de parler.
66. Si le pamphlet arrive à l’ennemi
Laissez-les le lire. Tôt ou tard, les Ukrainiens redeviendront des Russes, car ils ont toujours été des Russes. Et plus les combattants actuels de l’AFU sauveront leur vie, moins leurs proches verseront de larmes.
L’opération militaire spéciale prendra fin et les soldats ukrainiens actuels se retrouveront à nouveau côte à côte avec les soldats russes pour affronter l’Occident, qui est à l’origine de cette guerre fratricide. Les Roumains et les Finlandais ont combattu ensemble avec les Allemands contre l’URSS pendant trois ans, puis, dès que la botte du soldat soviétique a posé le pied sur leur terre, ils ont retourné leurs armes contre les nazis. Il en a toujours été ainsi. Et il en sera ainsi cette fois-ci.
Plusieurs répandent l’idée que le régime russe serait maintenant « fasciste », voire « nazi ». C’est à mon avis un contresens complet.
L’appeler ainsi, c’est manquer d’imagination. L’idéologie qui est en train de se répandre en Russie – à des degrés divers certes, non sans pesanteurs et résistances certainement même si elles sont passives ou discrètes – est à mon sens une idéologie nouvelle. Et enfin à la faveur de la guerre elle se répand, car c’est à l’évidence une idéologie de combat, et ceux qui tuent et meurent doivent trouver un sens à leurs actes et leurs souffrances, ils ont donc besoin d’une telle idéologie. Et leurs compatriotes non-combattants, sauf à faire un effort personnel déterminé pour la rejeter, seront nécessairement influencés par cette idéologie, même si la plupart n’en deviendront peut-être pas des radicaux.
On peut trouver à cette idéologie un « air de famille » avec telle ou telle du passé, certes. Mais il ne faut pas manquer sa nouveauté.
Ce n’est pas du fascisme. Pas du nazisme. Ni du stalinisme, pas davantage que du maoïsme. Ce n’est pas non plus de l’exceptionnalisme américain. Ni de l’impérialisme révolutionnaire français (à la Napoléon)
==>Non. C’est nouveau
… Je n’ai pas dit que c’était moins dangereux
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