Un ami m’écrit : « Les architectes ne seront-ils pas remplacés par ChatGPT ? ». La réponse n’est pas évidente, mais on peut s’essayer à un peu de prospective. Considérons la combinaison de deux outils numériques: le BIM d’une part, et une application dérivée de ChatGPT pour la conception de bâtiments, que l’on pourrait appeler « IA-B » comme « Imitateur Automatisé de Bâtiments », d’autre part. Le BIM (Building Information modeling) est un outil numérique existant, qui a connu un très fort développement ces dernières années. Notamment avec l’utilisation d’un logiciel dominant qui s’appelle Revit. Il s’agit d’un logiciel de maquette numérique en 3D, qui opère par un assemblage d’objets paramétrés : murs, fenêtres, toits, poignées de porte, etc., déclinés à l’infini. Les paramétrages permettent d’associer les objets d’une maquette de bâtiment à toutes sortes d’informations dérivées, quantitatives ou qualitatives. Ils permettent des simulations, que ce soit en phase de conception, de réalisation ou d’exploitation : visites virtuelles, héliotron, simulation d’exploitation, modifications dimensionnelles, remplacement d’un équipement, calcul de la consommation, métrage, etc. Ainsi, en y association une interface IA-B de type ChatGPT, qui aurait préalablement absorbé une très grande masse de données par des exemples de maquettes numériques et de composants batimentaires existants, on pourrait imaginer que la machine conçoive automatiquement des bâtiments.
À petite échelle, ce serait comme ce qui existe déjà partiellement quand vous allez chez IKEA au rayon cuisine. Vous arrivez avec votre plan de la pièce où vous voulez aménager votre nouvelle cuisine, et le logiciel vous propose automatiquement plusieurs configurations en fonction des composants d’équipements « sur étagères », que vous aurez choisis. En suivant vos instructions, il les représente en trois dimensions, et vous calcule automatiquement le prix.
Donc, la possibilité technique est là théoriquement, à condition de mettre en place le système d’Input en amont du BIM, qui emmagasinerait la masse des données sur des projets ou des réalisations existantes, et de concevoir une logiciel d’interface et de dialogue en aval, calqué sur le modèle ChatGPT. L’IA-B se présenterait comme suit : « Je voudrais acheter ce terrain. Peux-tu me dessiner une maison avec deux chambres, une salle de bain commune, une grande cuisine, un salon-salle à manger, et un garage où je pourrais bricoler ? Je voudrais qu’elle ressemble à la Villa Savoye de Le Corbusier, mais avec une piscine sur le toit. Mon budget est de 100 maximum ». IA-B se mettrait à dessiner une première maquette 3D. Puis le « client » réinterrogerait l’IA-B : « Peux-tu prévoir une cheminée dans le salon, séparer la cuisine de la salle à manger, prévoir des capteurs solaires photovoltaïques pour que je puisse produire mon électricité toute l’année, et me dire combien cela va coûter ». L’ IA-B se mettrait à nouveau au travail en modifiant sa première maquette, et ainsi de suite… Au fil du dialogue avec la machine, le projet serait affiné jusqu’à la fin, où les données seraient automatiquement communiquées aux entreprises (robotisées) pour la construction et l’assemblage sur le chantier.
Alors, est-ce que le métier d’architecte est voué à la disparition ? Premièrement, on disait déjà cela avec l’apparition de la CAO (conception assistée par ordinateur) dans les années 80, mais tel ne fut pas le cas. Deuxièmement, d’un point de vue de la faisabilité, ce n’est pas demain la veille que l’on pourra mettre en place un tel outil, car il n’engage pas seulement la mise en place technique d’un outil informatique, mais un très large écosystème de l’organisation de la société dans son ensemble. Troisièmement, Paul l’a bien dit, l’IA-B n’aura pas la faculté de créer, mais simplement de combiner et d’imiter en fonction de données préalables, et en fonction des instructions parmi une infinité de possibilités qui lui seront faites par les commanditaires.
Le risque, qui est déjà très présent avec le BIM aujourd’hui, est une standardisation et un appauvrissement des réalisations sur le plan architectural notamment, principalement par simplification et sous la pression d’intérêts économiques particuliers. Exemple réel, un ami me disait que la conception d’un nouveau site de supermarché se faisait en moins de 2 mois tout compris, de la conception initiale jusqu’à la réalisation des plans d’exécution (avec le BIM), et en 3 mois environ pour la construction. À l’autre bout, l’outil donnera par exemple, potentiellement, la possibilité de rendre plus accessible et de démocratiser la conception de sa propre maison. Mais la création dans tout ça ?
En conclusion, un tel outil est certainement techniquement faisable, pour le meilleur et pour le pire, avec le risque d’un emprisonnement dans des modèles standardisés et répétitifs, éliminant mécaniquement la créativité, et favorisant potentiellement un penchant totalitaire. À ce sujet, on se souvient du phénomène des grands ensembles construits à l’après-guerre, industriellement et en masse. L’idée de la répétition de « cellules d’habitation » toutes identiques avait d’ailleurs été vantée par le même Le Corbusier, avec le résultat qualitatif que l’on sait. Alors, la question ne serait-elle pas plutôt politique que technique ?
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