Le fondement scientifique douteux de l’économie de marché, par Bruno Colmant

Le fondement scientifique douteux de l’économie de marché

L’économie de marché est ambivalente. Elle attire par sa capacité à générer le progrès et à démultiplier la richesse. Mais, en même temps, elle est effrayante, voire suffocante, à cause de son narcissisme.

Publié dans La Libre le 29-01-2023 à 11h08

Une opinion de Bruno Colmant, membre de l’Académie Royale de Belgique

De nos jours, on assimile le capitalisme à l’économie de marché. Mais rien n’est plus faux : il y a différents types de capitalisme. Il suffit de penser à la différence de typologie entre les contextes américain et européen.

L’économie de marché est une autre modalité. Elle correspond au fait que l’allocation des biens et des services, ainsi que leur prix, est déterminée par la confrontation de l’offre et de la demande telle qu’établie par le libre jeu du marché. Mais ce n’est pas tout : le prix de marché, qui est fondé sur sa propre déstabilisation permanente, est considéré comme supérieure à toute autre valorisation. En effet, dans un monde parfaitement huilé, le prix des biens et des services correspond, à tout moment, aux conditions des échanges. Si le marché donne une valorisation plus exacte aux biens et services que des impulsions publiques, pourquoi s’embarrasser des obstacles imposés à sa fluidité ?

C’est ainsi que le terme d’économie de marché s’est popularisé dans les années quatre-vingt. La porte était donc ouverte sur un autre ordre politique que celui qui avait prévalu après la Seconde Guerre mondiale : le néolibéralisme venant des États-Unis. Il fallait déréguler et déréglementer pour qu’enfin la loi de l’offre et de la demande s’épanouisse librement. L’économie néolibérale est alors devenue normative lors de sa consécration par le Consensus de Washington de 1990. Celui-ci affirma proprio motu la suprématie idéologique du capitalisme américain en formulant dix principes dérivés des enseignements de l’École de Chicago, dont la privatisation et la déréglementation de l’économie. Parmi les dix affirmations péremptoires de ce consensus de Washington, on lit les revendications suivantes : une réorientation des priorités de dépenses publiques vers des domaines offrant à la fois une rentabilité économique élevée, l’abaissement de la fiscalité, la libéralisation du commerce extérieur, les privatisations des monopoles ou participations de l’État ou entreprises publiques, la déréglementation des marchés et de l’économie, etc. Il ne faut pas être un grand clerc pour constater que ce référentiel de marché ne promouvait en aucune manière les droits du travail ou la protection de l’environnement.

Dès ce moment, tout devint “marché” : marché de l’emploi et marché des capitaux, dans l’effervescence étourdissante d’une salle d’enchères. Ceci ramène aux théories de Léon Walras (1834-1910), un des plus illustres mathématiciens de l’économie. Il postulait qu’une économie s’oriente vers l’équilibre dans le cadre d’une concurrence parfaite. Ce postulat conduit à la théorie du “tâtonnement walrasien” qu’on peut résumer, à l’instar d’une bourse, comme un lieu d’échanges où les prix se forment par essais et erreurs, ou plutôt par itérations, jusqu’à ce que les intentions d’offre et les intentions de demande coïncident. Cette valeur de marché se diffusa même dans la comptabilité des entreprises qui est désormais fondée sur la juste valeur (en anglais : fair value), considérée comme supérieure à tout autre référentiel.

Mais s’il est compréhensible de parler d’un marché des capitaux, il est inqualifiable de parler du marché du travail, sauf à réduire l’humain à un mobile fongible productif de manière éphémère. Pourtant, cette objection fut balayée par la pensée dominante au motif que le travail devait être flexibilisé et mobile pour s’ajuster aux gisements de croissance, comme on le constate aux États-Unis.

De surcroît, l’idée se développa qu’il fallait gérer un État comme une entreprise qui agit dans le marché. Cette idée fut fondée sur l’échec avéré des politiques publiques dans les années septante, au cours desquelles les industries de services supplantèrent les entreprises manufacturières. Bien sûr, certains rappelèrent que, malgré ce que le postulat néolibéral s’évertue à affirmer, on ne gère pas un État comme une entreprise, à commencer par le fait que le mode de décision de cette dernière n’est pas démocratique. Une entreprise est en quête de monopole et obéit aux lois de rentabilité qu’elle essaie d’influencer. L’État est une formulation morale qui s’exprime dans le subtil équilibre de la prospérité individuelle. On écarta rapidement ces esprits chagrins.

Mais il fallait une justification vaguement scientifique à cette supériorité du marché. Elle est venue par la finance moderne, qu’on commença à enseigner dans les années septante sous le vocable CAPM pour Capital Asset Pricing Model. Sous certaines conditions (qu’on ne vérifie bien sûr jamais), le rendement espéré d’un actif est intimement lié à celui du marché. Tout est marginal et dilué par rapport à ce dernier. Il ne sert à rien d’imaginer un prix et une rentabilité pour un actif hors du marché puisque celui-ci englobe cet actif. Comme tout est dans tout, il n’y a pas d’échappée. On comprend la puissance politique de cette affirmation si on l’applique à l’économie réelle. Mais ce fameux CAPM, enseigné depuis un demi-siècle, dit autre chose d’encore plus prépondérant : le risque diversifiable n’est pas rémunéré par les marchés. Il faut donc diversifier. Et cela conduit naturellement à l’émiettement de tout, dont le travail que le néolibéralisme veut voir émietté et fracturé, et surtout sans capacité de négociation collective.

Mais il eut encore plus, à savoir l’hypothèse d’une efficience du marché, c’est-à-dire que les prix des facteurs de production reflètent toute l’information disponible qui les concerne. L’efficience des marchés financiers, essentiellement développée par le mathématicien français Louis Bachelier (1870-1946) et l’économiste américain Eugène Fama (1939 -), prix Nobel d’Économie en 2013, constitue le socle de la finance moderne. Si les marchés sont efficients et disposent de toute l’information disponible, leur supériorité est établie puisqu’aucun individu ne peut affirmer qu’il détient, de manière continue, des informations qui ne seraient pas connues des autres intervenants. Chacun est “dans le marché” dont il ne peut s’extraire pour le battre.

On comprend le caractère schizophrénique de ce concept puisque les agents économiques savent qu’ils doivent affronter le marché par leurs actes spéculatifs tout en sachant qu’il leur est impossible d’en battre systématiquement les performances. Les hommes se battent contre une perfection et un aboutissement qui leur est interdit. Est-ce que tout cela est très solide d’un point de vue intellectuel ? Très honnêtement, et bien que je l’enseigne depuis trente ans, je n’en sais plus rien. Cela ressemble à un horoscope ou à l’haruspicine, c’est-à-dire l’art divinatoire de lire dans les entrailles d’un animal sacrifié pour en tirer des présages quant à l’avenir. Quoi qu’il en soit, cet axiome d’efficience fut idéologiquement capturé pour légitimer la supériorité de l’efficacité de l’économie néolibérale.

Alors, que penser de cette économie de marché ? Elle est ambivalente. Elle attire par sa capacité à générer le progrès et à démultiplier la richesse. Mais, en même temps, elle est effrayante, voire suffocante, à cause de son narcissisme. Dénuée de mémoire, elle ne s’accommode que d’utilités financières. Elle ne tolère pas l’immobilisme et se révèle aussi volatile que les cours de bourse qu’elle anime.

Une chose semble néanmoins claire : l’économie de marché est un modèle dans lequel le travail est, de manière inqualifiable, parfois une externalité, voire une variable d’ajustement. Et cela conduit résolument à l’idée que le marché et l’État, responsable des équilibres sociaux, doivent être l’avers et le revers de la même pièce.

Partager :

31 réponses à “Le fondement scientifique douteux de l’économie de marché, par Bruno Colmant”

  1. Avatar de Nosfératus
    Nosfératus

    « …elle est effrayante, voire suffocante….. »
    C’est bien dit, mais que faire. Il faut prendre en considération le fait que le néolibéralisme déchaîné d’inspiration anglo-saxonne s’est infiltré partout, même dans les classes moyennes – c’est une sorte de totalitarisme. De plus, les députés, donc membres décideurs d’un parlement, cèdent en général aux offres de l’industrie, du commerce et de la finance pour faire du « lobbying » (néologisme de ma part) en faveur d’une organisationà vocation économique. Donc rien ne changera. On publie des tonnes d’ouvrages et d’articles dénoncant la dérive d’un capitalisme déshumanisé, d’un fossé de plus en plus criant entre richesses accumulées et pauvreté galopante, mais peut-on parler de changements?
    Le système néolibéral est tellement bien cimenté en terme organisationnel, structurel et juridique, il est ancré dans l’esprit des gens, qu’il semble difficile de lutter contre. Le seul moyen: descendre dans la rue et faire du vacarme. C’est dont les gouvernements craignent, notamment en France – ses « élites » 🙂 n’ont pas oublié Mai 68. Mais il convient de ne pas oublier une chose: l’argent et le marché sont le dieu omnipuissant du néolibéralisme.
    Durant l’Ancien Régime on disait: tu es pauvre parce que Dieu le veut ainsi. Aujourd’hui nous avons « le marché », à la différence que le marché est l’oeuvre de l’homme, il n’a rien de sacré.

    1. Avatar de Ar c'hazh du
      Ar c’hazh du

      1 Rien ne nous permet de penser que Dieu n’est pas lui aussi l’oeuvre de l’homme…
      2 Le Néo-libréraliste « Tout est marché » est un effectivement un totalitarisme.
      3 Protester dans la rue, d’une manière policée par les syndicats, fait parti du système ; protestez autrement et la force publique se chargera de vous policer.
      4 Le point de blocage de cette infernale machinerie ne sera atteint que lorsque la composante environnementale (Gaïa se fâche) viendra rapeller à ces faiseurs d’argent sur la prédation des hommes et de la nature, qu’ils sont, eux aussi, mortels… D’ici là, les 4 cavaliers de l’apocalypse :
      – Conquête (pour le capital c’est fait),
      – Guerre (c’est en cours),
      – Famine (ça commence à peine) et
      – Mort (l’éternel indépassable n’en déplaise aux transhumains).

  2. Avatar de l'arsène
    l’arsène

    Très bon texte qui peut faire réfléchir sur la notion de  » marché ».
    Le marché pour réguler la vente de chaussures ou de haricots verts en conserve, oui, mais le marché pour rentabiliser l’hôpital et tous les services publics ?
    Une absurdité absolue digne d’une secte qui devrait être éradiquée.
    Le seul problème est que cette secte possède tous les moyens, médiatiques et policiers pour arriver à ses fins.
    Alors le marché a encore de beaux jours devant lui.

    1. Avatar de Maxfriend
      Maxfriend

      « Le marché pour réguler la vente de chaussures ou de haricots verts en conserve, oui »

      Quand des Hedge Funds ont le pouvoir d’acheter des récoltes entières pour assécher l’offre, puis d’entretenir artificiellement une pénurie dans le but de faire monter les prix ; y a-t-il eu un bénéfice pour le producteur ? Non. Pour le Hedge Fund, oui. Qui paye la différence : vous et moi à la caisse du supermarché en posant notre boîte de haricots sur le tapis.

    2. Avatar de Martin
      Martin

      Même le marché pour le prix des chaussures et des haricots verts est méprisable.
      Il exploite les employés de la cordonnerie et empoisonne l’environnement à coups de pesticides sur les cultures de haricots.
      Une économie rationnelle incluerait dans le prix des externalité
      s comme de bonnes conditions de vie pour les travailleurs et des mesures pour assurer un environnement naturel sain.
      Le marché est incapable d’assumet ses responsabilités.
      « L’efficience » est simplement l’art de pelleter les externalités dans le camp du voisin.

  3. Avatar de éponine
    éponine

    Mais qu’est-ce qu’il fait chez vous le papa des intérêts notionnels (et sans doute d’un tas d’autres turpitudes) ?
    (https://www.levif.be/belgique/trahison-bruno-colmant-pret-a-trucider-ses-interets-notionnels/)

    1. Avatar de timiota
      timiota

      Jorion et Colmant ? C’est un peu comme Flamands et Wallons. … On dit qu’il y a des papiers où, figurez-vous éponine, ils cohabitent.

    2. Avatar de Otromeros
      Otromeros

      Colmant semble depuis au moins un an en plein « repentir »… et pour ceux qui l’ont connu « en vitesse de croisière » cela doit quand même être un choc de le lire… aujourd’hui.
      Un (très probable) de ses « parrains de pénitence » me semble être/est notre hôte… Peut-être Paul JORION a-t-il tenu l’agenda de leurs conversations/confrontations indispensables à l’écriture en duo de certaines publications..?
      Bien sûr nous comprendrions l’impératif du secret de la confession… mais… sait-on jamais!

  4. Avatar de Maxfriend
    Maxfriend

    « Le fondement scientifique douteux de l’économie de marché »

    Si l’économie de marché était une science, ça se saurait.
    L’économie de marché n’est rien d’autre que du parasitisme sur le dos de la production et sur le dos de la consommation.
    Pour le reste, il y a l’intermédiation, qui était le rôle premier des banques, avant que la déconne financière ne prenne le pouvoir…

  5. Avatar de Chabian
    Chabian

    « L’État est une formulation morale qui s’exprime dans le subtil équilibre de la prospérité individuelle. » Colmant
    « La vie est un tissu de coups de couteau qu’il nous faut boire goutte à goutte ». (Christophe, Les facéties du sapeur Camembert).
    Deux très belles expressions pour évoquer…, je vous le donne en mille !
    L’injustice fiscale, évidemment.
    Ou bien la guillotine ?
    « Très honnêtement, et bien que je l’enseigne depuis trente ans, je n’en sais plus rien. »

  6. Avatar de Khanard
    Khanard

    très bon exposé car il aborde des notions souvent complexes avec un vocabulaire abordable . Voilà pour la forme . En ce qui concerne le fond nous avons là une antienne qui je le crains sincèrement n’émeuve pas les impétrants de cette politique .
    alea jacta est , attendons simplement que tout s’effondre .

    1. Avatar de timiota
      timiota

      Tss tss, pas d’akwabonisme sur ce blog, c’était le mot d’ordre qui n’a pas dû disparaitre, que je Zaz.

      Disons qu’on peut au moins donner des chiquenaudes, à l’alea en question, pendant la chute de son jacta.
      Et que, foi de Lulu (Lucrèce) et de son clicli (clinamen, de natura rerum ), les perturbations à la chute verticale peuvent atteindre quelque importance, De beaux grumeaux. La même importance qui fit que des « Justes », dans toutes les barbaries du monde, donnèrent et donneront encore des chiquenaudes au sort de leurs prochains.

  7. Avatar de Gépé
    Gépé

    Il semble que beaucoup de jeunes gens se mettent en route pour former cette Grande Vague de « désenclosures » qui reviendra sur… les enclosures.

  8. Avatar de Ruiz
    Ruiz

    Nous sommes en France dans une économie de marché, et Macron en représente un adepte, mais alors comment justifier le bouclier énergétique ? voir la loi imposant à EDF de vendre son électicité nucléaire à prix « coutant » ?

    1. Avatar de Romain Vitorge
      Romain Vitorge

      Le bouclier énergétique pour éviter une explosion sociale.
      La vente d’électricité à prix coutant pour privatiser un monopole.

    2. Avatar de Pascal
      Pascal

      Le monopole, Ruiz, le monopole. Pire le monopole d’Etat, ce qu’exècre le néolibéralisme ! Un obstacle inacceptable à la « concurrence libre et non faussée ».
      Le paradoxe risible dans tout ça, c’est de vouloir supprimer les monopoles d’Etat pour gérer un Etat comme une entreprise qui, comme le rappelle B. Colmant, se caractérise par le fait qu’elle « est en quête de monopole » ! Mais l’argumentaire néolibéral n’est pas à un foutage de gueule près.

      1. Avatar de Ruiz
        Ruiz

        Bouclier énergétique et suppression du tarif réglementé le comble du « En Même temps »©

        Un état n’est pas en quète de monopole, (pas seulement) il est déjà un monopole, en terme de sécurité et de contrôle police justice taxes sur un territoire reconnu par ses résidents (guerre civile), et à l’extérieur par ses pairs (frontières, guerre extérieure).

        Après reste à savoir si l’économie de marché est un outil au sein de cet état pour assurer l’allocation des ressources et (?) la prospérité, ou si l’économie de marché est un principe supérieur auquel (de part des accords internationnaux …) l’état doit se soumettre.

        Quand à la Crimée et au Dombass l’état s’y cherche ou y est en question.

        1. Avatar de Romain Vitorge
          Romain Vitorge

          Je vous avais répondu vers 10h50 :
          « Le bouclier énergétique pour éviter une explosion sociale. La vente d’électricité à prix coutant pour privatiser un monopole », ce que Pascal a développé pour le monopole et qui donne une piste pour le bouclier

          1. Avatar de Ruiz
            Ruiz

            @Romain Vitorge Les raisons sont bien celles là, et éviter l’explosion sociale est une contrainte externe, mais comment celà peut-il se justifier raisonnablement d’introduire un bouclier énergétique pour un partisan d’un vrai libéralisme économique sans renoncer à ses valeurs ?

            Comment justifier sans contradiction flagrante un telle action alors que l’on est en train de promouvoir la suppression du tarif réglementé à brève échéance, pour des raisons idéologiques ?

            Comment les raisons externes (U.E. ?) qui imposeraient la suppression de ces tarif réglementés seraient-elles compatibles d’un bouclier énergétique ?

            De même forcer EDF (déjà en partie privatisée) à vendre une partie de son électricité nucléaire à prix « coûtant » est tout à fait en contradiction avec des valeurs de libéralisme économique et d’établissement des prix sur un marché, ou par la libre négociation entre les parties et constitue une distortion des prix de marché évidente
            analogue à un bouclier énergétique pour les seuls gros consommateurs/distributeurs (?producteurs ??) concurrents d’EDF, voire une sorte de tarif réglementé à leur seul profit !
            Fait pour plaire aux orientations de l’U.E. cela reste une démarche curieuse si l’on applique un bouclier énergétique à destination du consommateur final, pourquoi recourrir alors à des intermédiaires et ne pas appliquer un tarif réglementé, et assumer éventuellement un monopole !

            Qui plus est la privatisation du monopole n’est pas en cours puisque la part privatisée est rachetée par l’Etat !

            Gribouille ?

  9. Avatar de Michael R.
    Michael R.

    Passage de M. Colmant en direct pour le moment sur la radio La Première de la RTBF dans l’émission « Tendances Première ».

    A réécouter par après via le site Auvio https://auvio.rtbf.be

  10. Avatar de Guy Leboutte

    Bonjour,

    Bruno Colmant semble prendre une direction inattendue depuis quelque temps, mais vu son passé même récent, je demande à voir. Son affirmation qu’il y a plusieurs sortes de capitalisme ne mange pas de pain, et pourrait bien être le refuge théorique de sa position ultime.

    Il redécouvre ici une affirmation de Karl Polanyi, formulée il y a près de 80 ans: que le travail soit une marchandise (et qu’il y ait un marché du travail) est une fiction.

    Colmant n’attribue la qualité fictive de marchandise propre au travail qu’au néolibéralisme, alors que Polanyi, qui écrit avant l’avènement du néolibéralisme, l’attribue au capitalisme en général, et parle en outre de trois marchandises fictives dans le capitalisme, avec, en plus du travail, la monnaie et la nature. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Grande_Transformation

    Deux marchés fictifs sont au bout du rouleau: celui de la monnaie depuis 2008, et celui de la nature. Il reste au marché fictif du travail à réaliser son impasse constitutive.

    Pour ceux que ça intéresse, Alain Supiot s’inscrit totalement dans cette vision. (Et c’est lui d’ailleurs qui m’y a introduit.)

    1. Avatar de Timiota
      Timiota

      Merci, j’avais oublié cela de ma lecture de Polanyi. Mais en effet c’est sous-jacent à son analyse du désencastrement de l’économie.
      Pour le travail, il me semble qu’il commence la discussion par le cas instructif de Speenhamland, qu’on devrait faire lire à pas mal de syndicalistes qui aiment trop la simplification… il faudrait que je relise !

    2. Avatar de Benjamin
      Benjamin

      Bonsoir Guy Leboutte,

      Les termes « marché du travail » et « gestion des ressources humaines » ont tendance à m’horripiler car il réduisent les personnes en « choses »… ou, plus précisément, en « actifs », terme utilisé pour qualifier les personnes en âge de travailler.

      Remarquez qu’avec nos histoires d’âge légal de départ à la retraite et de nombre d’annuités de cotisations retraites, d’une certaine manière, on fixe une durée de vie à ce type d’actif (ou une date de péremption).

      Bienvenu dans un monde économique déshumanisant… Et après, certains s’étonnent aujourd’hui qu’une partie des « actifs » veulent sortir le plus vite possible du marché ?

  11. Avatar de Dimitri
    Dimitri

    L’économie de marché a amélioré la condition de vie humaine, elle fonctionne sur les richesses comme des collections, voulant toujours plus de figurines ou d’objets lié.es à un thème que l’on aime dans la vie, en ayant la possibilité de l’avoir et de faire croître sa collection avec des nouveautés quotidiennes.

    Ce système économique fonctionne par une accumulation de richesse en constante progression, et les riches comme les pauvres à différents degrés accumulent de la richesse mensuellement mais à des niveaux nettement plus élevés que lors de l’Antiquité et du Moyen-Age, de manière plus stable que les récoltes avec des récessions et des crises qui rebondissent très vite.

  12. Avatar de Tout me hérisse
    Tout me hérisse

    Tant qu’il ne sera pas apporté un traitement efficace aux tares du capitalisme actuel, les choses ne pourront qu’empirer au détriment de la majorité des populations devant subir les ‘suggestions’ ou ‘conseils’, sinon les interventions plus directes des acteurs capitalistes auprès des personnes démocratiquement élues en vue de représenter la part la plus importante de la population.
    Souvenons-nous de ce qui a été découvert récemment au niveau du parlement européen, et plus anciennement les suspicions au sujet de BlackRock: https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/07/09/blackrock-gourou-de-la-finance-qui-murmure-a-l-oreille-des-puissants_6045661_3234.html
    Ce qui avait justifié une enquête de la Médiatrice de l’Europe :
    https://www.ombudsman.europa.eu/fr/press-release/fr/135414
    Toutes les guerres sont un véritable malheur pour les populations concernées directement, sauf bien sûr quelques-uns pour qui cela représente une véritable ‘opportunité’ de réaliser de très bonnes affaires :
    https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/guerre-en-ukraine-le-jackpot-de-l-industrie-militaire-americaine-30-01-2023-2506704_53.php
    Tout cet argent destiné à aider l’Ukraine en fait saliver plus d’uns et aimeraient pouvoir gérer ces flux :https://trends.levif.be/economie/banque-et-finance/blackrock-les-investisseurs-sont-prets-a-inonder-l-ukraine/article-news-1622077.html
    À une échelle bien moindre, certaines sociétés en Belgique ont tenté de réaliser un bénéfice avec la revente de chars d’assaut Léopard 1 qu’ils avaient acheté 15.000€ l’unité à l’armée belge pour proposer de les revendre à 500.000€ en vue de ce que l’état belge puisse en faire cadeau à l’Ukraine…
    https://www.moustique.be/actu/belgique/2023/01/27/apres-les-avoir-vendus-la-belgique-peine-a-recuperer-ses-chars-500-000e-pour-un-char-que-nous-avons-cede-a-15-000e-255604

    1. Avatar de Timiota
      Timiota

      Ah dans le Guardian ils parlent d’un achat à 37000 € et de grosses dépenses pour les remettre en état (le gus–de Sluys ?– a une culture d’equipementier haut de gamme notamment en optique…).
      Drôle de deal en tout cas.

      1. Avatar de timiota
        timiota

        l’industriel de l’affaire : Versluys

  13. Avatar de timiota
    timiota

    A propos d’économie, on parle dans la presse des résultats 2022 d’Exxon, publiés hier aux USA.

    J’ai lu que le bénef était Aaaastronomique, de 56 milliards de $. (du à la conjonctions de facteurs, dont les coûts abaissés dans la phase post-covid, et la hausse des hydrocarbures en 2022 bien sûr). Même 59 avant imputation de certains passifs potentiels.

    Le nb d’employés n’est que de 64000 d’après wikipedia (il a eu monté jusquà 80 000), bon peut-être y a-t-il là un effet spécial entre filiales et USA.

    Toujours est-il qu’en divisant 56 10^9 par 64 10^3, j’obtiens 900 000$, presque 1 million de $.

    Qu’une boite de 3 pékins traders fasse 1 million de $ de benef par tête de pipe ne m’interroge pas trop (quoique, ça veut dire un CA de 20 M€ qui est « trait » comme vache). Mais qu’une boite entière comme Exxon fasse un tel bénéf par tête de pipe ! Je veux bien qu’il y ait 10 000 cadres sup et que chacun ait pu rapporter (benef, pas CA) 300 000 $ , mais ça ne ferait « que » 3 milliards de $, loin du compte, même avec un x3 pour passer au benef obtenu par le gros des troupes, employés de base compris.

    Sans doute que TotalEnergies n’est pas très loin et je découvre la Lune : ~100 000 employés, 16 milliards de $ de résultats net pour 2021, ça tourne quand même à 160 000 $ par employé.

    Energie, Sismondi, même combat ?

    1. Avatar de Ruiz
      Ruiz

      @timiota Le Bénef fait partie de la Valeur Ajoutée, celà n’a rien d’étonnant, cela prouve simplement qe la valeur ajoutée n’a rien à voir avec le travail (la « valeur travail ») elle est dans ce cas principalement due au capital, bien investi dans des concessions devenues fructueuses, cela n’a rien à voir avec le personnel, de plus une partie de l’activité technique peut sans doute être externalisée.

      1. Avatar de Lagarde Georges
        Lagarde Georges

        Je m’étais dit la même chose à propos de la sous-traitance mais ça ne tient pas: si au lieu d’effectuer tout le travail on en fait que la moitié et qu’on sous-traite le reste les profits correspondant devraient diminuer de moitié.

        Comme on a souvent l’occasion de le constater, utiliser des sous-traitant permet de ne pas s’embarrasser avec la gestion de la main-d’œuvre et en particulier de s’en débarrasser à peu de frais.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta