La Chine, on le sait désormais assez clairement, est un abondant réservoir de virus de type grippal. La grippe saisonnière que nous connaissons bien démarre classiquement en Chine son périple autour du globe. En cause les gigantesques élevages de canards (et leurs fientes) ? Ou la chauve-souris qui fait toujours un bon suspect dans ce genre de cas ? (Les Chinois en ont fait, par homophonie, un symbole du « Bonheur », mais nous savons bien, nous autres, que l’anagramme de « chauves-souris » est « souches à virus », il ne faut pas nous en conter !).
Je ne m’attarde pas sur la grippe et ses ravages que chacun connaît pour en venir plus vite aux coronavirus qui ont marqué ce début des années 2000. Qu’on me permette un petit souvenir personnel : il se trouve que j’ai fait un court voyage (10 jours) en Chine en mars 2003. Mon périple se limitait aux régions situées au nord du Yangzi et je n’ai rien su de la panique qui commençait à s’emparer du pays, en particulier dans le sud (le premier patient décédé était à Hong-Kong). Nos guides n’en ont pas parlé (il est vrai que ce voyage était destiné à susciter des initiatives de type touristique !) et ce n’est qu’à l’aéroport de Pékin pour le vol de retour en France que j’ai pris conscience d’un inhabituel branle-bas de combat : une foule de soignants filtrait les voyageurs et mesurait leur température, les fiévreux étant placés à part, probablement en quarantaine. C’est seulement à Paris que j’ai appris l’existence et le nom du fléau. Finalement il semble que l’alerte tourna court : l’épidémie de SRAS (Symptôme Respiratoire Atypique Sévère) n’eut pas la virulence redoutée, ne causa en Chine même que quelque trois à quatre cents décès et renonça à faire des ravages dans le reste du monde. Mais la Chine maintint ses mesures de prévention au moins durant un an puisque, de retour en Chine en avril 2004 avec un groupe, nous eûmes, comme tous les passagers de l’avion qui venait d’atterrir à Shanghai, à rester à bord sans bouger un cil le temps qu’une équipe de ces « martiens » en combinaison blanche (que nous connaissons bien maintenant) évalue la température de chacun. La Chine a peur des virus qui peuvent franchir ses frontières sans l’indispensable « visa » qu’elle maintient pour tous les voyageurs ! C’est son vieux syndrome « Grande Muraille » qui ne lâche pas prise.
Avec l’épidémie de l’automne 2019 qui sévit brutalement à Wuhan, les choses prennent vite une dimension très inquiétante. Des malades en grave détresse respiratoire de plus en plus nombreux et bientôt un pic inédit de décès donnent l’alerte mais, autant qu’on puisse en juger, il n’y a pas d’autres foyers épidémiques dans le pays. Observons ce qui se produit dans ce type de cas dans un régime comme celui de la Chine : les responsables du Parti sur place (exactement comme les mandarins sous l’Empire) tentent d’abord d’évaluer les risques que courent leur Face et leur poste : il n’est jamais bon de faire remonter une mauvaise nouvelle, mais la cacher peut aggraver les choses et coûter encore plus cher quand on sera obligé de la reconnaître. Les choses ont donc tendance à traîner un peu sans que des mesures soient prises. Mais quand on décide d’en prendre, pas question qu’elles ne le soient qu’à demi : à Wuhan, pour compenser les probables tergiversations du début, on est allé au plus loin dans ce qu’on peut appeler la « répression » musclée du virus : habitants barricadés, commerces bouclés, hôpitaux de campagne construits en quelques heures pour accueillir les cas symptomatiques, vie mise en suspens total pour une dizaine de millions de gens. Ce confinement draconien a finalement pu être levé pour le début de l’Année du Buffle (le 12 février 2020). Ce qui est apparu comme un succès et en Chine et chez nous qui commencions tout juste à sentir que nous étions bel et bien concernés ! Si les dirigeants locaux ont été sanctionnés pour avoir hésité à la mettre en œuvre, on peut imaginer que l’ensemble de la population chinoise s’est montrée très satisfaite de la solution choisie et a jugé sur le moment que cette stratégie, qui l’avait protégée, avait amplement fait ses preuves. Sauf que le transport aérien mondial ne s’était pas encore interrompu et, pendant que le virus pouvait tout à fait se répandre à bas bruit en dehors du Hubei, il entrait encore plus facilement en Chine par la fenêtre, c’est-à-dire par les terminaux d’aéroports, maintenant que son déploiement était planétaire.
A donc commencé un long cauchemar (qui pourrait tout aussi bien ne pas avoir de fin !). C’est lui qui provoque l’actuelle grosse poussée de colère très compréhensible de la population : quasi deux années se sont écoulées pendant lesquelles les villes chinoises, à tour de rôle ou en même temps, ont vécu au rythme des menaces de contamination sous une férule de fer : tests quotidiens, restrictions drastiques dans les transports en commun, interdiction de quitter son domicile (ou son usine dans le cas de Foxconn), quartiers barricadés et districts fantômes, contrôle de tout mouvement, confinement imposé par la force brutale…etc. Faute de services d’approvisionnement capables de fonctionner dans cet étau, beaucoup de citadins ont souffert de la faim et encore bien plus sans doute de symptômes dépressifs lourds. Bref ce qui avait semblé une réussite à Wuhan prenait des allures de désastre. La Chine, sans plus guère de contacts avec l’extérieur, prenait le chemin de l’autisme.
Comment expliquer le choix de cette gestion extrême de l’épidémie ? On pourrait penser que le noyau dirigeant autour de Xi Jinping a voulu ainsi tester en XXL le contrôle de tous les instants qu’il a élaboré pour maintenir sous son regard l’ensemble de la population. C’est une hypothèse, mais elle n’est pas seule en lice. Voyant à quel point ce coronavirus jetait la planète, pays après pays, dans un total désarroi au fil du premier semestre de 2020, la Chine incarnée par Xi Jinping a voulu, par souci de Face (et aussi par un sentiment de culpabilité diffus) faire la démonstration de sa capacité à juguler l’indésirable mieux que tout le monde. Un grand pays qui candidatait au titre de première superpuissance n’allait pas se laisser défier par un micro-organisme mal intentionné. L’objectif « Zéro covid » serait né d’une grosse poussée d’hubris ! L’émulation était d’autant plus forte que Taïwan était en train d’afficher des résultats de premier de la classe (et pourrait éventuellement tenter de démontrer par là sa supériorité pour narguer Pékin une fois de plus !). Même le voisin vietnamien pouvait s’enorgueillir de ne compter qu’une pincée de cas ! D’où la fuite en avant et le feu vert donné à tous les « patrons » des villes pour tout mettre en œuvre pour barrer la route au virus. Comme d’habitude en Chine, la consigne a été interprétée partout avec la furieuse tendance à l’excès de zèle qui règne à tous les échelons de responsabilité dans le Parti. D’où la bien compréhensible colère des « gens » ! D’où le retour de bâton des « incidents de masse » !
C’était un pari risqué de la part du Pouvoir ! Il est perdu mais personne n’a gagné : si le gouvernement relâche la pression, ce qu’il va devoir faire, il va livrer une population très peu immunisée, sans anticorps par contact avec l’agent pathogène et de surcroît trop peu vaccinée, à la gloutonnerie d’un virus qui est toujours bien là et dont nous-mêmes ne pouvons pas nous croire débarrassés. Que se passera-t-il si l’on assiste à une hécatombe ? Comment réagiront les gens face à une mortalité soudaine et sans frein ? Croisons les doigts pour que cela n’arrive pas, mais il n’y a guère pour le moment d’autre feuille de route pour Xi Jinping, paratonnerre tout désigné au regard de son exorbitant pouvoir, que de lever les blocus, de tenter de rattraper le retard vaccinal et de moduler savamment le jeu des restrictions-permissions jusqu’à une date sur laquelle aucun Chinois ne tolère sans grogner de faire l’impasse : celle du Nouvel An qui verra, le 22 janvier, le Lapin succéder au Tigre. C’est traditionnellement le grand moment des retrouvailles familiales et celui où les Chinois se déplacent le plus. La colère de ces derniers jours est là aussi : il serait plus que temps d’acheter les billets de train et d’avion ! Et pour cela il importe de savoir si oui ou non les déplacements seront possibles ! Puisque partout ailleurs dans le monde des gens vont et viennent à leur guise, sans masques ni tests, comme l’ont montré les images de la Coupe du Monde de foot, la Chine ne comprend plus ! C’est cette incompréhension qui s’exprime actuellement et Xi Jinping a entre ses mains une des responsabilités les plus lourdes que comporte son poste ! C’est désormais pile ou face ! Et la façon dont tombera la pièce d’un yuan nous concerne aussi bien sûr !
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