Ces derniers jours de novembre 2022 marquent le troisième anniversaire de la reconnaissance par les autorités chinoises de l’existence d’une épidémie d’envergure survenue à la fin de l’année 2019 dans la capitale de la province du Hubei, Wuhan, où une pneumopathie particulièrement sévère submerge les hôpitaux et commence à créer la panique par le nombre de décès qu’elle occasionne. On se souvient de la réponse drastique du Pouvoir Central, imposant brutalement une quarantaine absolue, isolant la ville du reste du pays et mettant en œuvre, dans la ville même, un confinement total de tous les habitants verrouillés chez eux, souvent au sens strict du terme. On se souvient aussi qu’au début de 2020, quand nous-mêmes affrontions à notre tour ce virulent coronavirus dans la plus totale pagaille et la cacophonie des avis contradictoires sur les mesures à prendre, il nous est arrivé de saluer la réactivité chinoise et sa capacité à limiter spectaculairement le nombre des morts à Wuhan : la statistique chinoise annonçait en effet un total de décès sur les trois à quatre mois de durée de l’épidémie moins élevé que celui qu’on nous communiquait pour la France sur deux ou trois jours ! Même en supposant les chiffres de Pékin un peu minimisés, l’OMS et toute la communauté médicale mondiale ne purent que saluer l’efficacité des mesures chinoises.
Sont-ce nos applaudissements qui ont tourné la tête au Parti Communiste Chinois ? Toujours est-il qu’il s’est enferré dans cette méthode consistant à contrôler la population (celle des villes en tout cas) à outrance et en permanence sur un mode obsessionnel : test positif d’un unique individu (symptomatique ou pas) = cadenassage immédiat de tout un bloc d’immeubles, voire confinement de tout un canton. Arrêts à répétition de l’économie, stagnation des échanges commerciaux, frein bloqué dans les relations avec l’extérieur, tétanisation des esprits de tous et de chacun ! Sans compter les difficultés d’approvisionnement dans les districts à l’arrêt et les quartiers fantômes qui y ont entraîné des disettes : bien des habitants de Shanghai ou Pékin ont vraiment souffert de la faim ces six derniers mois. Bref, en un mot comme en mille, on a assisté et on assiste encore à un gigantesque fiasco ! Une erreur magistrale qui a détourné la Chine de mettre davantage l’accent sur la vaccination et lui a fait tout miser sur la coercition et l’incarcération de sa population.
Nous savons, pour l’avoir vécu à une échelle bien moindre, combien le confinement est générateur de mal-être et combien il détraque l’horlogerie intime des êtres sociaux que nous sommes. Il n’est pas difficile d’imaginer l’état de fatigue, de déprime et de ras-le-bol des habitants des grandes métropoles chinoises. C’est une épreuve littéralement insupportable qu’ils subissent et c’est ce ressentiment qui s’exprime actuellement dans les manifestations spontanées (ou orchestrées sur des réseaux sociaux, ce qui revient au même) qu’on voit se multiplier. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase clos qu’est la Chine depuis trois ans a été, sans surprise, « vue à la télé », l’absence totale de « gestes barrière » des foules immenses brassées par la Coupe du monde au Qatar. Il n’est guère étonnant que les manifestants expriment, par leurs feuilles blanches brandies, une grosse colère qui est forcément politique : la responsabilité de leur sort incombe entièrement aux autorités les plus haut placées et évidemment à Xi Jin ping qui vient encore, il y a juste un mois lors du 20ème Congrès, de réaffirmer avoir la haute main sur tout.
D’une manière générale, la Chine gère mal les épidémies car les virus sont des ennemis invisibles, sournois et surtout diaboliquement mutants qu’elle ne sait comment affronter. On se souvient de celle du SRAS en 2002-2003 qui, même si elle fut, à l’heure du bilan, assez peu meurtrière et se solda par quelques centaines de morts en Chine du Sud et à Hong-Kong, fut une chaude alerte pour le Pouvoir de l’époque. Dans le cas du Covid, le virus a mis la barre plus haut. Le PCC a cru pouvoir faire la démonstration de l’efficacité de sa politique de « contrôle social » permanent de la population qui jugulerait le péril d’une main de fer et ferait reconnaître mondialement la performance de l’Etat chinois. Sauf qu’après un apparent succès à Wuhan, cette tactique n’a abouti, au bout de trois longues années, qu’à attiser la grogne sociale et à faire descendre les Chinois dans la rue, sans pour autant contrecarrer le virus qui, facétieux, s’offre même ces dernières semaines un vilain pied de nez en ajoutant plein de chiffres au nombre total des contaminations !
La machine du Pouvoir chinois est très lourde et sa fonction marche arrière est rétive. Elle a toujours beaucoup de mal à se dégager d’un embourbement : jouent contre sa manœuvre la Face qu’elle s’astreint à ne jamais perdre, quoi qu’il en coûte, et l’irrépressible tendance à l’excès de zèle qu’on retrouve à tous les échelons de la chaîne des décisions à travers tout le pays. Il ne fait pas de doute que Xi Jin ping entend la colère et qu’il sait que ces feuilles blanches pourraient se couvrir d’une encre qui ne lui serait pas sympathique du tout. Son problème consiste à desserrer l’étau sans trop paraître s’incliner devant la colère et surtout à ne pas laisser se propager cet autre virus, celui du ressentiment, toujours susceptible d’une nouvelle mutation, plus clairement et massivement hostile au Parti. Il va devoir jouer serré, et ce précisément sans serrer la vis policière au-delà du supportable !
Quant à nos médias dans cette affaire ! Vous avez remarqué combien quelques manifestations en Chine les font immédiatement et bruyamment saliver ! Avec quel enthousiasme ils se mettent à japper en nous les relatant et combien cet enthousiasme décuplerait encore s’ils pouvaient mettre un tant soit peu d’huile sur le feu ! Ah ! les rapprochements avec « Tian An Men 89 » (événements qui avaient fort peu à voir avec ce qui se déroule actuellement), un vrai régal dont ils ne se rassasient pas ! C’est une épiphanie : il y avait si longtemps (33 ans) qu’on ne leur avait pas fait ce cadeau ! Ce qui manque pour le moment (ils le pensent tellement fort qu’on l’entend !), c’est un peu de sang ! Ce ne sont certes pas les policiers (et les contrôles tatillons) qui manquent, comme chacun a pu le voir, mais pour l’heure leurs directives n’émanent pas, semble-t-il, d’un Préfet Lallement !
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