« La Grande Démission », puis le Grand Chaos ? par Monsieur X

Aviez-vous entendu parler de « la Grande Démission » ? Il y a bien sur le Blog (merci Paul d’avoir relayé !) ce témoignage très brillant de Laurent Lievens. Un très grand merci à lui. Il explique parfaitement sa démarche, depuis le monde universitaire belge où il se trouve.

« La grande démission », donc. Le phénomène a pris d’abord de l’ampleur aux USA, parait-il. Mais il s’est étendu à l’Europe et la France. Le problème, c’est que nous avons l’impression d’être submergés par plusieurs crises simultanément, sans trop savoir quoi, à part sentir qu’il y a de plus en plus de choses qui « clochent »… Le Soliton de Paul avait fait mouche, et déjà 6 ans sont passés : crise sociale (souvenez vous avant le Covid-19 dans plusieurs pays dont la France), crise sanitaire (la pandémie Covid-19), crise écologique (no comment !), crise économique et financière (l’inflation bien réelle et la montée des taux d’intérêt, qui n’est pas accompagnée par une indexation des salaires, donc ?), crise militaire (guerre en Ukraine), etc.

Alors revenons à cette Grande Démission. Aujourd’hui je viens de quitter un collègue, qui travaille dans une grosse société d’Ingénierie de plus de 5000 employés en France et à l’international. Lui et son équipe collaborent avec moi sur un grand projet dont j’ai la responsabilité… Et il se trouve que je dois préparer une réunion de comité de pilotage décisive pour la suite, qui va avoir lieu dans les jours qui viennent… Évidement la pression monte, et je m’active avec les membre des équipes. Ce matin, nous avons une réunion. À son arrivée, il me dit : « Monsieur X, il faut que je vous parle. Ce n’est pas une très bonne nouvelle ». Je m’inquiète, pensant peut-être à un pépin de santé (il a un certain âge, et on sait que l’espérance de vie en bonne santé ne dépasse pas en moyenne 60 ans, donc…). Nous montons jusque dans la salle de réunion pour nous isoler et parler. Il me dit : « Monsieur X, c’est à propos de moi au sein de ma société (je passe les détails) », et il me dit encore : « Demain j’ai une réunion importante avec le comité de direction. Des résultats de cette réunion, j’ai pris ma décision de rester ou de démissionner ». Mon collègue est un peu plus âgé que moi (peut-être 61 ans), une famille avec au moins un enfant à charge qui doit entamer des études supérieures. Je ne m’attendais pas à ça de lui, et vu son poste, c’est un coup dure pour le projet et pour moi. La confiance étant grande entre nous deux, nous avions eu à commenter la « volatilité » des jeunes générations sur le marché du travail. Mais chez les séniors, cela semblait « résister ». Oui, parce que c’est plus difficile de bouger après un certain âge ? Et là, ça se produit. J’avoue que moi-même je me suis souvent posé la question. Mon collègue explique le contexte de la grande incertitude dans lequel il se trouve, outre la pression qu’il subit de plus en plus importante, menaçant sa santé. C’est son médecin qui l’a mis en garde. Tout ça l’aurait décidé, à contre-cœur. Dans son service, me dit-il, ils sont passés de 10 à … 1. Ils font appel à des sous-traitants, et encore, avec peine. Et on lui demande toujours de répondre à des offres pour d’autres clients et de travailler sur d’autre projets sans avoir la ressource. Bref, ça ne peut pas tenir… mais du coup, je me dis : « Et moi, comment je vais faire ? » Je ressens la pression monter encore d’un cran, et je réalise un sens du mot effondrement. Je pense à une falaise ou à un versant de montagne qui s’effondre. De proche en proche, au fil des départs, la charge de travail se concentre sur ceux qui restent… qui se trouvent à leur tour fragilisés. C’est un phénomène en chaîne. C’est bien un effondrement. Si c’est isolé, les choses se tassent et résistent. Mais en cas de généralisation, c’est bien un effondrement qui se produit.

Alors à quand le Grand Chaos ?


Auteur : Véronique Lalot : « Tohu Bohu » – 2022

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28 réponses à “« La Grande Démission », puis le Grand Chaos ? par Monsieur X”

  1. Avatar de Cober
    Cober

    Un effondrement q j’ai perçu et vécu depuis déjà au moins 2008, mais bien sûr avant…
    Tant q les vampires du passé, tristes et immobiles voudront perpétuer une domination/pression verticale et un modèle obsolète et faux, alors l’effondrement et le chaos en cours ne feront q s’amplifier…

  2. Avatar de emynonys
    emynonys

    J’ai le même sentiment dans mon entourage professionnel des improductifs (j’ai fini par me l’avouer) en télétravail derrière leur ordinateur : fuite des jeunes même dans le milieu de l’informatique qui est le mien, la grande démission fragilise ceux qui restent par effet domino. Alors à quand le grand chaos ? Au jeu des pronostics, je mise sur moins de dix ans, pour être large et sûr de gagner ce pari…

    1. Avatar de Emmanuel
      Emmanuel

      Oui, car il y a ceux qui partent, mais aussi ceux qui restent et sont de plus en plus « resignes », souvent pour de bonnes raisons…autre facteur aggravant…

  3. Avatar de Garorock
    Garorock

    La question est: que font toutes ces personnes qui démissionnent, toutes celles qui ne veulent plus travailler dans tel ou tel secteur d’activité?
    De quoi vivent-elles?
    De leurs économies, de rentes, de l’informel?
    Le RSA, c’est 510 euros/mois.
    Y’a plus de deux millions de personnes qui en bénéficient.
    Le RSA est le « revenu universel » dont rèvent les libéraux.
    Mon présent est votre futur.
    Et il est pas jojo!
    😎

  4. Avatar de timiota
    timiota

    Il n’y aurait pas comme un « effet chrysalide » ?
    Là où la valeur s’obtenait par la production de l’usine et se recyclait fordiennement dans les salaires, les logiques du numériques ont fêlé l’édifice.
    La « valeur » (pragmatiquement, l’opportunité de gratter des sous sur un ruissellement secondaire) est maintenant délocalisée sur une myriade de lieux virtuels. Les achats en ligne ne passent plus par des boutiques spécialisées (mon moulinet de pêche à telle boutique de Concarneau) mais par des structures qui se sont multipliées comme les virus qui s’enchâssent dans les bactéries qui s’enchâssent dans les tissues conjonctifs, dans les villi intestinaux, etc.
    Peut-être la fêlure a-t-elle atteint le point où une partie des industries est devenue « friable », et une partie des techniques va être perdue.
    Il est délicat de savoir si les degrés d’interdépendances de tout ça donnent des robustesses cachées en sus des fragilités évidentes (c’est un « théorème » connu des systèmes écologiques que « trop d’interaction » rend un système instable/fragile, théorème issu d’une belle analyse des valeurs propres des matrices aléatoires due à Robert May en 1972).
    Il n’est pas impossible qu’en 2028, on se mette à produire des puces comme celles des smartphones de 2015 (lambins et tout avec les App de 2022), pour avoir un « fond » d’objets robuste et fruste, mais assez versatile pour que les applications de base (terminal de paiement, régulation, monitoring de réseau de fluide, …) tiennent la route, même en cas de guerre sino-taiwanaise. Pour mémoire, les avions volent encore, pour beaucoup, sur des calculateurs de vols 32 bits à 128 MHz, mais résistants aux rayonnements d’une façon connue. Et ceux qui ont de la mémoire se rappellent que les autorisations CB prenaient des plombes, quand c’était fait par le téléphone, mais ça marchait quand même.
    Le facteur inconnu, c’est en effet si le plaisir de la débrouillardise disparait complètement du paysage, et que les gens n’aille plus s’investir pour « arranger les choses », par une sorte d’ignorance de leurs propres facultés gommés par les biais de la numérisation etc. Il y aurait alors une sorte de complaisance dans une anomie, qui peut s’aiguiser si la violence s’en mêle (ce qui se produit à Haïti, mais l’anomie a là des raisons toutes autres). Ce n’est pas évident qu’on prenne ce chemin quand on fréquente les élèves de 20 ans aujourd’hui, la façon d’être débrouillard a changé mais la dynamique de fond est présente. En revanche, c’est clair que les années covid leur ont indiqué des marges que leurs aîné.e.s n’avait pas penser pouvoir fouler, qu’on peut percevoir plus facilement dans le cas « extrême » des bifurcations (élèves d’Agro etc.).

    1. Avatar de Ruiz
      Ruiz

      @timiota Sans revenir à l’ane comme Brice Lalonde je crois, les moyens de transport pourraient encore comporter dans les années futures une part de véhicules diesel des années 80 sans électronique et réparables localement (comme les américaines à Cuba) alimentées en huile de colza ou tournesol, ou à essence reparamètrée pour l’éthanol de betterave.
      Avec bien évidemment une utilisation plus restreinte.
      Alors que la population est actuellement gavée de publicité sur les véhicules électriques, pour lesquels il n’existe encore aucune culture de maintien en condition dans le public, et qui restent à la merci du réseau électique, ce qui est une vulnérabilité supplémentaire en temps troublés.
      La technologie ne fait pas tout n’oublions pas que la première expédition sur la Lune et la seule à ce jour, s’est faite sans microprocesseur !
      L’abandon programmé du réseau filaire téléphonique n’est-il pas une décision prise pour imposer une vulnérabilité à des technologies plus difficilement maîtrisable comme les fibres optiques et surtout la rendre de fait irréversible ?
      Sait-on produire économiquement en Europe les cartes à puces qui serviront de jeton pour remplacer les tickets de Métro magnétiques, dont toute l’infrastructure est en place et ne pourra pas être reprise après abandon ….
      Bon on pourra proposer la gratuité et financer par l’impôt notament sur les entreprises.

  5. Avatar de Tout me hérisse
    Tout me hérisse

    Un cas concret: cette thèse serait-elle applicable à Twitter, rachetée récemment par E.Musk ; comment cette société va-t-elle se comporter à la suite de ce rachat, le licenciement massif du personnel (~50%), l’exigence d’E.Musk de voir le personnel restant se transformer en ‘stakhanov de l’informatique’ ou de quitter l’entreprise, ce que beaucoup ont fait à la suite de cette déclaration d’ailleurs…
    Ces coups portés à l’ancienne organisation de cette société vont-ils aboutir à un chaos et un effondrement ou les survivants vont-ils se sacrifier au travail pour assurer le succès de ce milliardaire fou ?? 🤑

    1. Avatar de Ruiz
      Ruiz

      @Tout me hérisse Pour Twitter il s’agit surtout d’une prise de pouvoir effective par Elon Musk, en profitant d’une législation du travail beaucoup plus souple aux Etats-Unis.
      Un coup d’accordéon sur le personnel est utile pour éliminer les moins productifs (mais là en arrivant il n’a pas forcément le recul suffisant sur les bons critères) mais surtout éliminer les opposants, ne garder que les enthousiastes à sa vision et son leadership et pouvoir par les départs leur proposer des promotions inespérées dont ils lui seront redevable, ainsi que placer aux postes clés ses fidèles ayant déjà fait leurs preuves d’efficacité et d’allégeance dans ses autres entreprises (Tesla ..).
      La pratique des purges …

    2. Avatar de Khanard
      Khanard

      très honnêtement et sans vouloir juger quiconque la disparition de twitter ne m’inquiète pas du tout . (si tant est que cela soit possible dorénavant) . Mais je vais passer pour un vieux amish en disant qu’on peut très bien vivre sans twitter .

  6. Avatar de konrad
    konrad

    Bonjour,

    J’ai assisté à cet effondrement depuis de nombreuses années, pour une bonne raison c’est que j’étais en bas de l’échelle. Petits bouleaux en usine, dans le bâtiment… En bas, tu es le premier à trinquer et à voir les dysfonctionnements.
    Délocalisation, main-d’œuvre étrangère bon marché, sous-traitance généralisée et responsabilité diluée, appel systématique à l’intérim… Cela induit une perte de reconnaissance, un sentiment d’inutilité, le sens du travail bien fait se perd, les collègues changeant rapidement la cohésion sociale ne tient plus, le « je m’en foutisme » gagne du terrain, la décomposition de la « valeur » travail est à son apogée, la messe est dite.

    1. Avatar de Ruiz
      Ruiz

      @konrad Ce constat n’est pas celui d’une évolution sous l’effet de contraintes exogènes non percues (mondialisation ..), mais s’accompagne d’une volonté affichée par des transformations désirées, comme le mouvement sur la qualité qui a pour effet de tout documenter, de demander aux acteurs de spécifier leur poste afin de rendre tout le monde interchangeable, avec le minimum de compétences. De même le grand effort des forces politiques pour casser les systèmes de retraite qu’en d’autres temps des employeurs comme l’Etat ou les compagnies de chemin de fer avaient établis pour se fidéliser un personel stable donc formable et attaché à l’entreprise.
      Le modèle idéal du travailleur est un entrepreneur individuel rémunéré à la tâche parcellaire, comme le journalier autrefois, et même avec une granularité inférieure comme le chauffeur Uber, mais avec un contrôle qualité numérisé.

      1. Avatar de konrad
        konrad

        @Ruiz,
        Je ne comprends pas tout de votre propos, mais question « qualité », elle n’est plus au rendez-vous. Aujourd’hui on ne répare plus, on change. Et si ça ne marche toujours pas, rappelez et patientez qu’un nouvel employé vous rechange l’objet. Tout le quotidien est affecté. Plus de responsable, plus de coupable, l’essentiel est le profit tout de suite à tout prix.

        1. Avatar de CloClo
          CloClo

          « Plus de responsable, plus de coupable, l’essentiel est le profit tout de suite à tout prix. »

          J’ai entendu récemment ce type de phrase sur la dilution de la responsabilité et de la culpabilité dans un conférence de Johann Chapoutot à propos du Nazisme (Le nazisme fut-il moderne collé d’ailleurs par toi ici non ?) et de son influence managérial dans le monde de l’entreprise.

          1. Avatar de konrad
            konrad

            @Cloclo,
            Pardon ?! Qu’essaies-tu de me faire dire ? Je ne marche pas dans ta combine. Soit tu précises, soit tu retires tes propos.
            J’ai horreur des insinuations. Tiens toi le pour dit.

            1. Avatar de CloClo
              CloClo

              Mais non, pas de parano Konrad, m’enfin, je dis juste que cette excellente conférence Y.Chapoutot explique que le nazisme, par l’intermédiaire d’anciens généraux SS qui se sont reconvertit en « penseur du management » et ont créé des écoles, a en fait influencé une partie des organisations modernes des compagnies mondiales.

              Et que la conclusion était l’extrême dilution des responsabilités, la mise en avant de l’innovation à tout crin et la liberté maximale des agents, car il semblerait que contrairement à l’idée répandu d’un Etat centralisé, le régime nazi était en fait extrêmement décentralisé et fonctionné par « projets » pour être « fidèle » à l’antique esprit germanique des forêts où chacun est … libre !

              Ca va tu captes mieux là ?

              1. Avatar de CloClo
              2. Avatar de konrad
                konrad

                @Cloclo,
                Disons qu’il y a des rapprochements et des accointances qui soulèvent en moi une répulsion immédiate. Je n’ai rien à voir, de près ou de loin avec le nazisme. Que la chose soit entendue.

                Mon propos est tout ce qu’il y a de factuel et concerne ce qui se passe dans l’artisanat et les petites entreprises dont j’ai des exemples concrets de délitement de responsabilité qui n’existaient pas il y a 20 ou 30 ans.
                Dans ce microcosme, qui n’a rien à voir avec le managériat d’inspiration nazi, j’assiste avec lucidité à l’effondrement de la valeur du travail bien fait.
                C’est tout ce que je dis.
                Merci.

                1. Avatar de CloClo
                  CloClo

                  Je comprends ta répulsion, bien normale, juste je complétais, avec des informations complémentaires ton constat !

        2. Avatar de Ruiz
          Ruiz

          @konrad Le mouvement sur la qualité, fait référence à une introduction de nouvelles méthodes il y a déjà plus de 20 ans dans les grandes entreprises et organisations .. visant à satisfaire le client (notion centrale et ambigue) et à tout décrire à cette fin, avec pour conséquence de ne pas prendre en compte les compétences implicites du personel et aboutissant de fait pour celui-ci à un sentiment de perte de qualité (chasse à la surqualité).

          De la même façon dans de grandes organisations en spécialisant les postes et les « procédures » il n’est plus besoin de professionnels formés. Restauration collective et grammages impérieux, pas besoin de cuisiniers dans un « Fast-food ».

          La non réparabilité est outre la mode du jetable, maintenant passée, la conséquence de l’optimisation économique avec le faible coût de l’énergie, des matériaux issus d’hydrocarbures et la délocalisation de la production, allant de pair avec une moindre compétence supposée ou espérée de l’utilisateur.

          Comme par exemple le fusible des Installations électriques domestiques, d’abord en porcelaine à tabatière à fil de plomb interchangeable, puis à fiches, puis à cartouches scellés calibrées jetables normalisés pour tableaux, puis disjoncteurs réenclenchables …

          C’est aussi sans doute une complexification du produit à fonction de base identique.

    2. Avatar de François Corre
      François Corre

      @konrad
      Sans parler de « grande démission », les suppressions/disparitions de postes « en bas » ces trois ou quatre dernières décennies ont semblé globalement moins émouvoir ou inquiéter, mais maintenant que ça touche aussi des « ingés » et/ou cadres, c’est le « grand chaos » ?
      Faudrait demander aux robots et autres machines ce qu’ils en pensent… 🙂

  7. Avatar de Dimitri
    Dimitri

    Le mathématicien et physicien Joseph Fourier fût en 1827, le premier à faire le lien entre les rejets de Co2 et le réchauffement planétaire, en pleine période de Révolution Industrielle et Agricole, le retard de la science dans un cadre de dynamisme économique a pour conséquence que le développement scientifique n’a pas permis à cette époque une prise de conscience des effets du pétrole et du charbon dans l’atmosphère.

    Dès le début des années 60, l’empreinte écologique humaine a dépassé les capacités d’absorption du Co2 par le système planétaire, les limites bio-compatibles fûrent aussi dépassées avec une science n’ayant pas les moyens de comprendre tous les mécanismes et les implications des problèmes écologiques.

    Pour comprendre que les activités humaines sont responsables du réchauffement climatique vers une extinction de masse, la première prise de conscience eût lieu en 1972 par la commande du Club de Rome du rapport (devenu livre) « Limites de la croissance » et au niveau international avec le Sommet de Rio en 1992, des conséquences logiques d’une absence prise de conscience.

  8. Avatar de ebolavir
    ebolavir

    Mauvais goût : j’ai cru entendre, au premier survol, le murmure du vieux : « De mon temps, … ah les jeunes … » Plus attentif, je lis que les deux héros du discours, le narrateur et l’homme-clé, ont la soixantaine, l’âge où on prend conscience du fait que la vie est courte et qu’il n’en reste pas beaucoup (j’ai eu la chance d’être transporté dans une nouvelle vie à cet âge là, et de prendre du retard ; mais ça y est). Autour de 1968, alors que la moralité ambiante était nettement plus rigide (ou ferme, ou tonique), j’entendais les vieux de cette époque (ils sont partis, je peux les faire parler sans risque) s’épouvanter de la tendance des jeunes à une vie de fuite loin de la production : hippies, religions indiennes (lire le guide du Routard d’époque), installation à la campagne et autoconsommation. Un de mes maîtres à penser de l’époque, psy universitaire qui s’était renié en devenant chef du personnel (en français DRH aujourd’hui) affirmait que la société d’abondance qui s’installait avait les moyens de nourrir une large frange de purs consommateurs à faibles besoins, qu’il fallait s’habituer au spectacle.

    En ce temps-là donc (autour de 1970) en Europe occidentale on venait de sortir de la nécessité, dont tous ceux qui étaient aux responsabilités avaient le souvenir. Digression personnelle : mon pouvoir d’achat de jeune travailleur était du même ordre que celui d’un titulaire du RSA aujourd’hui, mais il y avait tellement moins de choses à acheter que je me sentais prospère. Aujourd’hui on est dans l’encombrement de l’abondance, il est donc normal que ceux qui n’ont rien connu d’autre se disent que ça ne vaut plus la peine de vivre autour du travail, surtout que le « sens » du travail n’est plus évident pour la plupart. Le jeune informaticien (programmeur) que j’étais connaissait des personnes dans les entreprises pour lesquelles ma société de service travaillait, et ce à quoi mon travail servait. Pourtant l’expression « nonsense job » avait déjà été inventée.

    Le discours de Timiota, qui part des puces de 2015 pour expliquer qu’on peut descendre en gamme sans douleur, me semble très pertinent. J’aurais plutôt parlé des composants de 1996 qui faisaient tourner les Apple, les PC et les téléphones mobiles, ou les machines-outil à commande numérique de l’époque, avec lesquels on faisait la même chose que maintenant. Les mêmes aujourd’hui coûteraient vingt fois moins cher à fabriquer qu’en ce temps-là, quand des femmes en Malaisie tiraient encore les fils de connexion des microprocesseurs sous la loupe binoculaire. Donc on peut quitter l’encombrement sans quitter l’abondance.

    Pour revenir au propos de départ, j’affirme que l’impression de déréliction et d’effondrement de tout ce qui est cher au cœur d’un être humain sérieux et conscient, si bien exprimée par X., n’est ni nouvelle ni irrémédiable. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle se produit dans une société d’abondance pour tous comme l’humanité n’en avait jamais connu. Les états d’âme des aristocrates du temps de Louis XVI (seize, pas quatorze) à la portée de tous ceux qui savent lire. Pour nous rassurer, la même chose commence (à mon avis) en Chine, où il y a 18 ans (j’y étais) on vivait dans la même étroitesse matérielle qu’en France en 1960 (j’y étais), avec le même tonus (demain ça ira mieux, je participe), aujourd’hui, avec l’aide d’un gouvernement pris de délire, c’est la même déréliction (il n’y a pas d’avenir, il vaut mieux que je m’en aille, en attendant je m’absente avec mon smartphone).

    1. Avatar de Pascal
      Pascal

      « Ce qui est nouveau, c’est qu’elle se produit dans une société d’abondance pour tous comme l’humanité n’en avait jamais connu.  »
      D’une part, à l’échelle planétaire, ce qui bénéficient de l’abondance restent minoritaires. Mais là où vous avez raison, c’est que même chez les plus riches, il y a cet effondrement et peut-être même principalement chez eux.
      Donc ce que nous appelons « société d’abondance » avec des étoiles dans les yeux, est avant tout une société de pillages et d’exploitation des ressources naturelles et humaines. Ce que nous sommes en train de vivre c’est que cette « société d’abondance » non seulement n’est pas viable mais en plus ne rend pas heureux. C’est dire combien nous nous sommes fourvoyés. Pourtant, ils sont encore nombreux ceux qui veulent encore y croire, enfermé dans leurs croyances, aveugle aux changements du monde et surtout incapable de changer de mode de pensée.
      Alors quoi mettre à la place d’une « société d’abondance » ?

  9. Avatar de chat.inspire@gmail.com

    Cette grande démission pose aussi l usage des robots . visiblement Musk d ouvriers dociles donc de robots . Y arrivera t il , la est la question je pense aussi, pour l instant en tout cas il semble échouer dans ce domaine… inventer un robot docile et intelligent à la fois n est peut être pas aussi évident que ça même pour le grand capitaine d industrie Elon. Et puis est ce que intelligence et docilité ? ça va de paire?

  10. Avatar de Pascal
    Pascal

    Si vous voulez voir un autre effondrement, attendez le début de semaine prochaine.
    Je n’ai plus le détail mais les proportions sont de cette ordre.
    Personnes inscrites au concours pour devenir enseignants et qui ont effectivement passé le concours :
    2018 = 67000 personnes
    2020 = 61000 personnes
    2022 = 47000 personnes
    Pour un nombre de postes constant.
    Cette année, l’éducation nationale a rallongé de 15 jours la date limite pour s’inscrire au concours, jusqu’au 2 décembre, ce qui fait dire aux syndicats que les chiffres devraient être bien pire….

    1. Avatar de Ruiz
      Ruiz

      @Pascal C’est bien pourquoi il est essentiel et urgent de remettre en cause leur espérance de retraite associée à ce type de carrière, et de repousser le recrutement à Bac + 5 !

      1. Avatar de Pascal
        Pascal

        Pas de soucis pour la retraite, elle est à 67 ans en Allemagne !
        C’est dire qu’à 65 ans, les enseignants français seront encore des petits privilégiés 😉
        Je me rapproche tranquillement de la 60aine et je découvre chaque année un nouveau « ologue ». J’ai commencé par l’urologue, puis le néphrologue et dernièrement le rhumatologue 😂
        En deux ans de temps, j’ai presque eu autant d’arrêt de travail que dans le reste de ma carrière. Une population enseignante entre 60 et 65 ans avec des remplaçants contractuels recrutés par Pôle emploi. Les années scolaires vont s’apparenter à du gruyère.
        On n’a pas fini de pleurer sur Pisa.😭

      2. Avatar de Pascal
        Pascal

        Pour le Bac +5 de Sarkozy, je reste persuadé que c’était un coup politique.
        L’éducation nationale a toujours été un bastion socialiste, à Bac+5, on recrute plus dans les familles de CSP+ (qui votent à droite). Qu’est ce qu’on ferait pas pour des élections. J’attends qu’on me donne une raison plus valable.

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